Representative Concentration Pathways
Projections
Forçages Dans cette section, nous prolongeons la simulation historique précédente jusqu’en 2100, en suivant chacun des quatre scénarios développés pour le cinquième rapport IPCC (Meinshausen et al., 2011b). Ces scénarios, baptisés RCP (Representative Concentration Pathways), sont nommés en fonction de la valeur approximative du forçage radiatif qu’ils atteignent en 2100. Pour chaque scénario, les forçages anthropiques sont disponibles sur la base de données dédiée (IIASA, 2012a), sauf ceux relatifs à l’usage des sols qui viennent des mêmes travaux d’harmonisation qu’en section 1.3.1 (LUH, 2012). La transition entre données historiques et scénarios a été linéairement lissée de 2008 à 2018, sauf pour les forçages d’usage des sols. Puisque les émissions de N2O fournies incluent celles de combustion de biomasse, nous avons réduit leur total d’un facteur 85 %, égal au rapport d’émissions de biomass burning sur les émissions totales dans l’inventaire EDGAR sur la période 1970–2008. Tous les drivers sont illustrés en figures 4.2 et 4.3.
Faisons quelques commentaires sur ces forçages. D’abord, on constate que les émissions de gaz à effet de serre sont les variables par lesquelles les scénarios se différencient le plus. Ceci est flagrant pour le CO2 (tous RCP) et le CH4 (en particulier, le RCP 8.5). Inversement, on constate que les émissions de précurseurs d’aérosols, sauf celles de NH3, sont strictement décroissantes quel que soit le scénario envisagé. Cela peut paraître étrange puisqu’une part significative des émissions de SO2, OC ou BC ont lieu lors de la combustion de carburants fossiles. Par ailleurs, les changements d’usage des sols dans les RCP ont été à plusieurs reprises critiqués, et ceux-ci semblent sous-estimés, en particulier parce que ces scénarios sont trop optimistes quant aux rendements agricoles futurs (e.g. Tilman et al., 2011). Enfin, notons que les composés halogénés modélisés dans OSCAR ne sont pas tous présents dans les RCP (auxquels cas les émissions futures sont supposées nulles), et qu’une seule trajectoire d’émissions a été développée pour les ODS.
Résultats Les résultats, pour douze variables climatiques, des projections suivant les RCP sont présentés en figure 4.4. À ces quatre scénarios, on a ajouté un scénario particulier dans lequel tous les forçages anthropiques sont instantanément arrêtés après 2008. Bien qu’irréaliste, ce scénario illustre l’inertie du système climatique et montre les changements environnementaux futurs qui sont déjà engagés (“committed”) du fait de nos actions passées. Ainsi, d’après notre modèle, même si toutes les activités humaines s’interrompaient (ou devenaient non-polluantes) du jour au lendemain, les concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre, bien que décroissantes, resteraient tout au long du XXIè significativement supérieures à celles du pré-industriel ; seuls le méthane et l’ozone troposphérique tendraient vers une valeur négligeable d’ici la fin du siècle. À l’inverse, l’effet des aérosols, puisqu’à durées de vie faibles, s’estomperait quasi-instantanément. On constate que ceci induirait une rapide augmentation de température, qui se stabiliserait, à horizon 2100, aux alentours de +1.1 °C par rapport au pré-industriel. Cette valeur correspond au réchauffement global, moyen et minimal, qui aura lieu vers la fin du siècle en cours, d’après notre simulation.
CCS dans le RCP 2.6
Principe Attardons-nous maintenant sur le RCP 2.6 et son extension, pour lequel nous avons constaté plus haut que des émissions négatives étaient nécessaires. Concrètement, il est possible d’obtenir des émissions au bilan négatif par deux techniques distinctes. D’une part, on peut combiner le développement d’agro-carburants, dont le carbone constitutif est issu de l’atmosphère, et la capture et le stockage géologique du carbone (Carbon Capture and Storage, CCS) qui est émis lors de la combustion de ces carburants. D’autre part, on peut imaginer des dispositifs capables de capturer directement du CO2 à partir de l’air ambiant ; carbone qui serait ensuite stocké géologiquement comme dans le premier cas. Ces techniques peuvent être désignées comme techniques de “géo-ingénierie” (e.g. Royal Society, 2009) ; nous les regrouperons sous l’acronyme CCS.
Dans cette section nous cherchons à quantifier la quantité de CCS nécessaire afin de suivre la trajectoire du RCP 2.6 et de son extension. Cette quantité n’est pas simplement la somme des émissions négatives vues en figure 4.6. En effet, les émissions compatibles que nous avons calculées précédemment sont les émissions nettes vues par l’atmosphère. Or, on peut décomposer ces émissions nettes en somme d’émissions brutes positives et d’émissions brutes négatives. La quantité de CCS nécessaire devenant alors la somme des émissions brutes négatives. Pour définir les émissions brutes positives, nous introduisons la notion d’“émissions plancher” (emission floor, Efloor ), définies comme le seuil de réduction maximale des émissions fossiles à un instant donné. On peut alors déterminer le flux de CCS annuel (FCCS ) requis pour suivre une trajectoire d’émissions compatibles :
Réponses impulsionnelles
Réponses au CO2
Principe Dans cette section, nous calculons les réponses en CO2 atmosphérique et en température de notre modèle lorsqu’il est soumis à une impulsion de carbone fossile. Pour ce faire, nous suivons scrupuleusement le protocole expérimental décrit par Joos et al. (2013) qui consiste, schématiquement, à fixer l’ensemble des forçages anthropiques à leurs valeurs de 2010, à émettre une impulsion instantanée de 100GtC au début de l’année 2015, et à suivre l’évolution de la concentration atmosphérique en CO2 et de la température, relativement à une expérience de contrôle où l’impulsion n’a pas eu lieu. On normalise alors les concentrations en dioxyde de carbone (∆[CO2]) et les températures de surface (∆TAS ) par l’amplitude de l’impulsion, afin d’obtenir les réponses impulsionnelles en carbone et en température liées aux émissions fossiles (notées rC,ff et rT,ff respectivement). Ces fonctions sont le modèle le plus simple qui soit permettant de projetter l’évolution du CO2 atmosphérique et des températures, suivant les convolutions suivantes :
Réponses au land-use change
Principe On peut tirer partie du module explicite d’usage des sols d’OSCAR pour reproduire les mêmes expériences que précédemment, mais en imposant cette fois des impulsions de changement d’usage des sols et non plus des impulsions de CO2 fossile. L’intérêt est de pouvoir construire de nouvelles fonctions de réponse impulsionnelle (rE,luc) qui permettent de calculer simplement les émissions annuelles dues aux changements d’usage des sols, sous réserve de connaître ces changements (i.e. δS).
En effet, comme en section 4.3.1, une simple convolution donne :
Résultats La figure 4.13 présente chacune des fonctions de réponse en émissions obtenue. On constate que ces réponses varient significativement, en termes de profil temporel, en fonction du type de conversion considérée. De plus, l’intensité des réponses est également différente en fonction des régions dans lesquelles ont lieu la conversion. Observons la non-symétrie qu’il y a entre déforestation (e.g. F → C) et l’abandon de terres en faveur des forêts (e.g. C → F). Par conservation de la matière, le cumul (i.e. l’intégrale à l’infini) des émissions induites par ces deux conversions opposées sont les mêmes, au signe près. Ce cumul est d’ailleurs strictement égal à la différence de densité carbone entre les deux biomes (Gasser et Ciais, 2013). Cependant, on constate en figure 4.13 que la dynamique temporelle est très différente : la déforestation est une activité très émettrice à court terme, tandis que la repousse de forêts retire annuellement de l’atmosphère des quantités plus faibles de carbone mais sur une longue période.
Métriques d’émissions
Principe Les réponses impulsionnelles peuvent également être utilisées afin d’établir des métriques d’émissions : des grandeurs permettant de comparer simplement différents forçages anthropiques entre eux. Les deux plus couramment utilisées sont le potentiel de réchauffement global (Global Warming Potential, GWP) et le potentiel de température global (Global Temperature Potential, GTP). La première consiste à estimer l’impact induit par une impulsion d’un composé X, en termes de forçage radiatif cumulé jusqu’à un certain horizon temporel (noté TH), par rapport à l’impact d’une impulsion du gaz de référence qu’est le CO2. La seconde consiste à estimer cet impact en termes de changement de température moyen, pris instantanément au même horizon temporel (cf. Forster et al., 2007). Ces métriques sont normalisées par la taille des impulsions (Epulse), et s’expriment donc en grammes de CO2 équivalent par gramme de composé X (gCO2(eq) gX−1 ).
Conclusions intermédiaires
Dans la première partie de cette thèse, nous avons longuement décrit le modèle OSCAR v2.1 ; que ce soit chaque module en détail (aux chapitres 1, 2 et 3), ou sa capacité à simuler des observables climatiques globales de façon satisfaisante (en section 4.1). Nous avons ensuite illustré les capacités d’OSCAR, et en particulier de sa structure de méta-modèle, en s’intéressant aux RCP et aux émissions de CO2 fossile compatibles avec ces scénarios climatiques (en section 4.2.2). Nous avons même pu pousser la discussion jusqu’à la question du réalisme du RCP 2.6, en estimant la quantité de CO2 qu’il faudrait capturer et stocker pour effectivement suivre cette trajectoire (en section 4.2.3). Nous avons ensuite utilisé OSCAR afin de discuter de la pertinence de modèles aussi simples que les réponses impulsionnelles, constatant l’influence importante des conditions environnementales de fond sur ces fonctions de réponse (en section 4.3.1). Enfin, nous avons soulevé la question de la pertinence des métriques d’émissions, en particulier vis-à-vis de la rétroaction climatique qu’elles ignorent complètement (en section 4.3.3). La seconde partie de cette thèse porte sur la méthodologie et les résultats des exercices d’attribution qui constituent le cœur de nos travaux.