Thérapie Cellulaire et Cordes Vocales cicatricielles

Introduction

La micro-structure des cordes vocales (CV) [1] est complexe, particulièrement du fait de son organisation feuilletée. Selon la théorie du body-cover d’Hirano [2], la CV se compose d’une couche supérieure composée de l’épithélium, la membrane basale et la partie superficielle de la lamina propria (« cover ») et d’une couche inférieure composée de la partie profonde de la lamina propria et du muscle thyro-aryténoïdien (« body »), les 2 étant séparées par la couche intermédiaire de la lamina propria. Cette architecture spécifique permet à ces deux unités fonctionnelles de vibrer indépendamment. Elle est présente à la partie moyenne des CV, les zones antérieure et postérieure, siège des maculae flavae, présentant une architecture différente qui joue un rôle d’amortisseur. Les proportions des composants de la matrice extracellulaire (MEC) et leur organisation déterminent en grande partie les propriétés biomécaniques des CV. La couche superficielle de la lamina propria est composée principalement de matériel amorphe pauvre en fibres de collagène et d’élastine. La couche intermédiaire contient plus de fibres élastiques et la couche profonde plus de fibres collagéniques. Dans les suites d’une microchirurgie laryngée, on peut parfois observer un état cicatriciel de la CV secondaire à une disparition partielle de la lamina propria dont la partie superficielle et/ou intermédiaire est remplacée par du tissu fibreux. Cette modification tissulaire empêche le découplage mécanique entre épithélium et muscle, entraînant ainsi une difficulté vibratoire [1].
Un tissu cicatriciel peut également être présent sans cause iatrogène, de manière congénitale, ou plus souvent acquise, par un mécanisme s’apparentant aux vergetures cutanées ou résultant de traumatismes ou de phénomènes inflammatoires chroniques.
Cette cicatrisation pathologique comprend trois étapes [3] : une phase inflammatoire, une phase proliférative et une phase de remodelage. La première phase fait intervenir des facteurs inflammatoires tels que l’Interleukine 1β ou le TNFα, synthétisés 4 à 8 heures après la blessure. Puis il existe une augmentation de l’expression de la Hyaluronan Synthase 1 et 2, du Procollagène I et III, de la Cyclo-oxygénase 2. Un recrutement cellulaire massif s’en suit, concernant majoritairement des cellules aux caractéristiques fibroblastiques et provenant des maculae flavae ou de tissus à distance tels que la moelle osseuse. Leur densité est maximale aux 5 ème – 7 ème jours mais elles échouent parfois à restaurer ad integrum la CV [1]. Il existe alors une différenciation des fibroblastes en myofibroblastes, une désorganisation des faisceaux de collagène et d’élastine qui perdent leur parallélisme, une diminution de la densité en élastine, en acide hyaluronique (AH), en fibromoduline et en decorine, un remplacement du collagène de type III de fin calibre par du collagène de type I et une augmentation de la densité en fibronectine [1]. Il s’y associe fréquemment une perte de volume avec insuffisance glottique.
Les conséquences vocales de ces situations sont un handicap pour les patients, en particulier pour les professionnels de la communication. Or les possibilités thérapeutiques actuelles sont réduites, la haute complexité de la micro-structure des CV participant à la difficulté de trouver un traitement efficace. La résection des tissus fibreux a des résultats souvent décevants en raison d’une possible ré-adhésion. L’injection d’acide hyaluronique a montré des effets positifs sur la viscoélasticité à court terme mais sa durabilité tissulaire est limitée [4,5]. Les matériaux autologues (essentiellement graisse et fascia) ont l’avantage d’une excellente biocompatibilité : la graisse est facile à prélever et bien tolérée mais le tissu graisseux injecté selon la technique de Coleman peut se résorber. Ces techniques ne permettent pas de restaurer la souplesse de la partie vibrante de la CV et n’ont d’intérêt que pour redonner du « volume » en cas de fuite glottique.

Expérimentation in vitro

Kumai [13,14] a montré que les fibroblastes cicatriciels produisaient plus de collagène et proliféraient plus vite que les fibroblastes normaux. Il a ensuite montré que ces fibroblastes, mis en co-culture avec des ADSC, proliféraient moins, et exprimaient moins l’α-SMA (Smooth Muscle Actin), marqueur de différenciation en myofibroblaste. Ils produisaient une MEC contenant moins de collagène mais plus d’acide hyaluronique (AH) et d’Hépatocyte Growth Factor (HGF). La neutralisation de l’HGF inhibait l’effet des ADSC sur la production de collagène, confirmant ainsi les propriétés antifibrotiques connus de l’HGF. Son rôle au niveau laryngé a en effet déjà été étudié dans plusieurs études [15,16]. Chen et Thibeault [17] ont placé en co-culture des fibroblastes de CV, saines ou cicatricielles, avec des BM-MSC associées à un hydrogel d’AH. Ces dernières inhibaient la prolifération des fibroblastes sans changement de morphologie ou viabilité. L’étude du transcriptome confirmait l’augmentation de l’expression du gène de l’HGF ainsi que celui du VEGF. A l’inverse de Kumai, Chen et al. Ont retrouvé une augmentation de la production de collagène I en présence de BM-MSC. Hiwatashi et al. [18] ont étudié l’implication de la voie du TGFβ1 en réalisant des co-cultures de fibroblastes de CV normales et d’ADSC ou BM-MSC, en présence ou non de TGFβ1.

Expérimentation in vivo

La majorité des études précliniques in vivo (Tableau2) correspondait à des xénogreffes de cellules souches (11 études) d’origine humaine (moelle osseuse ou embryon), de souris ou de lapins (moelle osseuse). Certaines études rapportaient l’utilisation de protocoles d’immunosuppresseurs type tacrolimus pour éviter un rejet [10,11,19,20]. Plus rarement les études évaluaient l’autogreffe (8 études) ou encore l’allogreffe de cellules souches d’un autre individu de la même espèce (4 études). Plusieurs études utilisaient des produits de la bioingénierie pour potentialiser les effets des CSM ou permettre une meilleure survie de celles-ci : des hydrogels (collagène, atélocollagène, fibrine, AH, plus ou moins associés [21-26]), des éponge d’atélocollagène [9,27], une matrice extracellulaire synthétique [28] ou encore un gel acellulaire issu de sous-muqueuse jéjunale porcine [29]. Une étude associait de l’HGF aux CSM [23]. Une seule équipe administrait lors de chaque intervention une injection d’antibiotiques associés à des corticoïdes [30].
Le modèle animal était globalement similaire dans chaque étude : réalisation d’une cicatrice au niveau d’une ou des 2 CV jusqu’au muscle thyro-aryténoïdien avec laser, électrocautérisation ou instruments froids. Seule l’étude de Bonnecaze [31] comportait une cervicotomie avec laryngotomie médiane. L’injection dans la CV des cellules (conditionnées ou non) ou d’une solution contrôle était le plus souvent réalisée immédiatement après blessure. Pour certaines études le délai entre la blessure et l’injection était plus long : de 4 jours jusqu’à 18 mois pour l’étude d’Angelou [30]. Ce dernier modèle correspondait ainsi plus à la pratique clinique chez l’homme où le traitement d’une CV cicatricielle ne doit être envisagé qu’au minimum 6 mois après chirurgie [32]. Dans 2 études, l’injection était réalisée 4 jours avant réalisation de la cicatrice, à titre préventif [24,25]. Si les cellules étaient associées à une éponge d’atélocollagène, l’injection était alors remplacée par une incision de la CV avec mise en place de l’éponge au sein d’une logette sous-épithéliale [9,27]. Le délai entre l’injection et l’endoscopie et / ou l’euthanasie était en revanche très variable, entre 2 semaines et 12 mois.
Les objectifs de l’analyse étaient :
– d’évaluer les effets de l’injection de CSM sur la cicatrisation par étude macroscopique et microscopique des cordes vocales, étude des propriétés viscoélastiques, de la matrice extracellulaire, des fibroblastes (prolifération, différenciation, survie) ;
– d’étudier la survie et la différenciation des cellules injectées, marquées par une molécule immunofluorescente.
Concernant la morphologie des CV, Peng [12] a étudié l’effet de l’allogreffe de CSM d’épiglotte chez des chiens. A 2 semaines, celles-ci permettaient une cicatrisation avec diminution du tissu granulomateux, de l’inflammation et de la fibrose. A 4 et 8 semaines, les
CV traitées étaient moins atrophiques et moins cicatricielles. Des résultats similaires étaient observés à 8 semaines pour Choi et Kanemaru [25,29] (avec des BM-MSC conditionnées ou non dans un gel de sous-muqueuse jéjunale de porc) et Kwon [23] (avec des ADSC associées à de l’AH ± HGF), à 12 semaines pour Hong, Kim ou Angelou [30,33,34] et à 24 semaines pour Lee [24] (CSM seules).
Concernant les propriétés viscoélastiques, plusieurs paramètres étaient utilisés. La viscosité dynamique analyse la résistance d’un matériel à un flux de cisaillement ; le module d’élasticité (module de Young) analyse la raideur d’un matériel dans un flux. La vidéokymographie repose sur l’analyse du déplacement d’un point de la CV grâce à une caméra ultrarapide. L’étude qualitative des kymogrammes est basée sur l’observation de la symétrie droite-gauche, les phases d’ouverture et de fermeture, la périodicité, l’amplitude, la différence de phase. Svensson et al. [11,19,20] et Cedervall et al. [10] retrouvaient des résultats similaires entre les CV normales et celles traitées par CSM / CSE, tous deux meilleurs que ceux des CV blessées non injectées. Ils étudiaient notamment la viscosité dynamique ou le module d’élasticité. Le module d’élasticité était également amélioré avec CSM dans l’étude de Hertegard et al. [35]. Dans l’étude de Kim et al. [22], les modules d’élasticité et de viscosité étaient significativement améliorés avec les CSM associées à un hydrogel mais la vidéokymographie n’était en revanche pas modifiée. Choi et al. [29] ont retrouvé une amélioration de l’amplitude de vibration en vidéokymographie avec les CSM à condition qu’elles soient associées à une MEC d’origine porcine. Hiwatashi a étudié 3 paramètres :
– la pression sous-glottique au seuil phonatoire (pression sous-glottique minimum pour initier la vibration des CV) ;
– l’amplitude de la vibration muqueuse ;
– la taille de la fente glottique.
Ces 3 éléments étaient améliorés par l’injection de CSM, qu’ils s’agissent de BM-MSC ou d’ADSC [9]. De Bonnecaze a mesuré la fréquence fondamentale de ses larynx excisés placés dans un agitateur électrodynamique, celle-ci permettant de caractériser les propriétés biomécaniques du tissu [31]. La diminution de la fréquence était significativement moindre en cas d’injection d’ADSC mais de manière peu pertinente (en moyenne 212 Hz pour les CV normales, 100 Hz pour les CV cicatricielles et 120 Hz pour les CV cicatricielles injectées). Ohno et al. [27] ont retrouvé des propriétés viscoélastiques améliorées par des BM-MSC associées à une éponge de collagène. L’amélioration de ces propriétés permet de faire l’hypothèse d’une amélioration de la dysphonie chez l’homme dans les suites de l’injection de CSM dans des CV cicatricielles.

Caractéristiques et valeur ajoutée de la fraction vasculaire stromale

L’injection de tissu adipeux autologue est pratiquée depuis longtemps en chirurgie réparatrice selon la technique de Coleman pour favoriser la revascularisation des greffes et la reconstruction des tissus mous, sans risque de rejet. La graisse permet un effet volumateur mais aussi un effet trophique, par l’action des adipocytes matures mais surtout celle de cellules souches et de cellules progénitrices présentes dans la FVS.
En pratique, après une lipoaspiration, le tissu graisseux est lavé puis traité avec une enzyme (collagénase) afin de séparer les adipocytes et la FVS (manuellement ou à l’aide d’automates). Cette dernière est alors récupérée par centrifugation. Parfois appelées ADRC pour Adipose Derived Regenerative Cells, il s’agit d’une population hétérogène de cellules composée de CSM, fibroblastes, leucocytes, progéniteurs et cellules endothéliales, péricytes (Tableau 3, Fig. 1). L’IFATS (International Federation of Adipose Therapeutics and Science) et l’ISCT (International Society for Cellular Therapy) ont élaboré des recommandations permettant une caractérisation précise des différents éléments de la FVS [38]. Les CSM peuvent être isolées et mises en culture avant l’ajout éventuel de facteurs spécifiques pour favoriser unevoie de différenciation. La FVS constitue également une option thérapeutique en devenir, pouvant être injectée sans étape de mise en culture.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *