Mécanisme d’internalisation cellulaire, incorporation et localisation subcellulaire

Généralités

Les études cellulaires présentées ici ont été réalisées sur une souche humaine de fibroblastes dermiques (voir figure 6.3), HS68. Cette lignée a été développée en 1969 au laboratoire naval de biosciences (NBL) à Oakland, CA. Le matériel a été prélevé sur un garçon nouveau-né, de type « caucasien », apparemment normal au moment du prélèvement.
Les fibroblastes sont des cellules de grande taille, fusiformes, provenant des tissus conjonctifs (tissu de remplissage et de soutien rencontré fréquemment dans l’organisme et contenant des fibres élastiques et du collagène). Ces cellules ont la caractéristique d’être en voie de prolifération, de multiplication. Les fibrocytes sont les mêmes cellules arrivées à maturité. Les fibroblastes sont couramment utilisés comme modèle cellulaire, notamment du fait de leur grande taille, qui facilite les
observations microscopiques, et de la facilité de leur mise en culture. De plus, dans le cadre de notre étude portant sur l’incorporation préférentielle des porphyrines par les tissus prolifératifs, les fibroblastes sont un modèle d’autant plus approprié qu’il s’agit de cellules en multiplication.
Cultivés in vitro, les fibroblastes ne peuvent se diviser qu’un nombre limité de fois. Au delà, les cellules subissent un phénomène de crise qui les empêche d’entrer dans le cycle mitotique [144]. Les fibroblastes meurent ensuite rapidement.
Cependant, certaines cellules échappent à ce phénomène et subissent alors une profonde transformation. La crise et la sénescence s’accompagnent de modifications oncogéniques. Ces variations peuvent permettre d’appréhender les interrelations vieillissement/cancer. La sénescence est associée à un mécanisme de réduction télomérique. Ces phénomènes, observés in vitro, peuvent expliquer en partie le vieillissement in vivo : le nombre de cycles cellulaires d’un fibroblaste en culture diminue avec l’âge du donneur. Ce nombre de cycle est moindre dans les maladies où on observe un vieillissement précoce.
Pour la lignée HS68, prélevée sur un nouveau-né, les études de longévité effectuées au NBL ont démontré que les cellules peuvent être maintenues correctement jusqu’à 42 passages. De façon à éviter tout problème lié au vieillissement cellulaire et à la sénescence, nous avons toujours utilisé les cultures cellulaires entre le 13è et le 19è passage, c’est à dire à un moment où leur pouvoir prolifératif est maximum.
Les localisations cellulaires de la deutéroporphyrine et de la phtalocyanine d’aluminium disulfonée ont été observées par microscopie de fluorescence, en utilisant les propriétés optiques de ces deux molécules. Il faut noter que certains constituants naturels des cellules sont également fluorescents. Nos conditions d’excitation et les filtres utilisés en émission ont néanmoins été choisis de façon à ce que les structures cellulaires non marquées par les photosensibilisateurs (i.e. fluorescence naturelle) aient une intensité de fluorescence négligeable au regard de celle des porphyrines exogènes. En moyenne, le « fond » (zone noire, en dehors des cellules) de nos prises de vues en fluorescence était à 140±10 coups pour des intensités de fluorescence significatives autour de 400 à 1000 coups. Nous avons donc considéré qu’il était noir. De même, la fluorescence verte du lysoTracker n’est passignificative sur les prises de vues avec un filtre rouge en émission, et réciproquement, la fluorescence rouge de la phtalocyanine n’est pas significative lorsque le filtre à l’émission est vert. Dans nos expériences de co-marquage (voir chapitre « Matériel et Méthodes »), la fluorescence verte et la fluorescence rouge sont donc suffisamment bien séparées par nos jeux de filtres pour qu’il n’y ait ni interférence ni superposition artéfactuelle.

Observations microscopiques de l’incorporation dans les cellules

Les incubations des cultures cellulaires avec les molécules tétrapyrroliques ont été réalisées juste avant les observations. Les protocoles sont résumés en figure 6.4.
(1) Pour le premier type d’expériences, les molécules (DP 2.5×10-7 M ou AlPcS2, moins fluorescente, 1×10-6 M) ont été « préchargées » dans les LDL (1×10-7 M). Dans ces conditions, 97% des molécules de deutéroporphyrine sont associées aux LDL, et 85% des molécules de phtalocyanine. Les complexes photosensibilisateur-LDL obtenus seront notés respectivement DP-LDL et AlPcS2-LDL, les notations DP et AlPcS2 seront réservées aux molécules libres en solution. Les cellules ont ensuite été incubées avec ces solutions pendant 15 min à 37°C sous atmosphère humidifiée contenant 5% de CO2.
(2) Un second type d’expérimentations a également été réalisé, en utilisant le même protocole d’incubation mais avec des photosensibilisateurs en solution dans le tampon (HBSS), sans étape de préchargement dans des LDL. (3) Le troisième et dernier type d’expérimentations a été utilisé comme contrôle et consistait à suivre le même protocole, mais cette fois sans photosensibilisateur ni LDL dans la solution. Dans tous les cas, les cellules ont été rincées soigneusement trois fois de suite avec du tampon avant l’observation.

Incorporation cellulaire de la deutéroporphyrine

Après quinze minutes d’incubation avec l’une des solutions contenant la deutéroporphyrine (DP ou DP-LDL), l’observation de la préparation cellulaire montre une fluorescence rouge, correspondant à la présence de porphyrine, relativement diffuse, suggérant une incorporation membranaire et cytosolique de la molécule (figure 6.5). Un certain nombre de structures en réseau semblent marquées légèrement plus intensément que les autres structures. Il pourrait s’agir de mitochondries et/ou du réticulum. Le noyau, par contre, est parfaitement exempt de fluorescence. Les molécules de deutéroporphyrine ne franchissent donc pas la membrane nucléaire.
Aucune modification visible de cette répartition n’est induite par la vectorisation du colorant par les LDL. Cependant, et bien que ce résultat ne soit probablement pas significatif, il faut remarquer la légère tendance à une diminution de l’incorporation cellulaire en présence de LDL. L’intensité relative moyenne (l’intensité du « fond » ayant été retranchée) des cellules incubées avec DP-LDL se situe autour de 160 coups, contre 310 coups pour les fibroblastes incubés avec la DP seule (voir figure 6.6, la légende donne la méthode de détermination de ces intensités).

Analyse des observations

In fine, les LDL ne semblent pas influencer significativement les phénomènes observés ici : ils ne modifient pas la localisation subcellulaire de la deutéroporphyrine. Comme prévu, cette dernière s’est redistribuée très rapidement entre les différentes structures cellulaires et est donc localisée dans toutes les membranes cellulaires. Ces observations sont en accord avec celles d’autres auteurs [77, 78], et ce bien que la localisation subcellulaire soit vraisemblablement influencée par le type cellulaire utilisé ainsi que par le protocole d’incubation mis en œuvre [79].Quoi qu’il en soit, les interactions impliquées ont des dynamiques extrêmement rapides. Les échanges de molécules de DP entre les LDL et la membrane plasmique doivent donc également être très rapides. Etant donné que le flip-flop transmembranaire est lui aussi caractérisé par sa grande vitesse, il est probable l’association des molécules de porphyrine aux LDL ne soit pas le facteurdéterminant. Une grande partie des porphyrines entre vraisemblablement dans la cellule par diffusion passive. Elles sont ensuite redistribuées entre les différentes structures membranaires selon les mêmes mécanismes. Dans le milieu extracellulaire, l’équilibre est donc fortement déplacé dans le sens de l’incorporation cellulaire : la porphyrine est « aspirée » par les membranes cellulaires. De plus, même la portion de molécules qui peut, éventuellement, entrer par endocytose via les LDL va rapidement être captée par les structures lipidiques intracellulaires et sera donc rapidement redistribuée entre les différents composants membranaires de la cellule. Notamment, la fuite des molécules depuis les endosomes et les lysosomes est favorisée par le gradient de pH transmembranaire évoqué dans le chapitre 3. Les LDL n’ont donc que peu d’influence sur les processus de distribution de ce colorant. D’autre part, il semble que les mitochondries soient légèrement plus marquées que les autres structures cellulaires. Cette observation peut se comprendre au regard des résultats présentés dans le chapitre 3. Le pH de la matrice des mitochondries, autour de 8, peut en effet défavoriser leur fuite. Enfin, il faut noter qu’il est possible qu’une partie des porphyrines reste associée aux LDL dans le milieu et ne soit donc pas disponible pour interagir avec les cellules. Ceci pourrait notamment expliquer pourquoi le marquage des cellules incubées en absence de LDL est un peu plus intense que pour les cellules incubées avec DP-LDL.

Incorporation cellulaire de la phtalocyanine

A l’inverse du cas de la porphyrine, l’internalisation de la phtalocyanine d’aluminium est fortement influencée par le mécanisme d’entrée des molécules dans les cellules. Comme le montre la figure 6.7a, lorsque les cellules ont été incubées avec le photosensibilisateur sans LDL (AlPcS2), les molécules de phtalocyanine sont principalement incorporées dans des vésicules intracellulaires, ce qui laisse penser à une éventuelle localisation lysosomiale.
Afin de pouvoir précisément identifier la nature de ces vésicules, nous avons réalisé des expériences de co-localisation avec un marqueur spécifique des lysosomes, le LysoTracker green. La superposition des images prises respectivement avec les filtres rouges et verts en émission montre clairement que la fluorescence de ce marqueur et celle de la phtalocyanine ne sont pas co-localisées.
Les vésicules intracellulaires visibles sur cette figure ne sont donc pas des lysosomes.
Il s’agit très probablement de granules intracellulaires de lipides neutres (« lipid droplets »). Pour être certain de cette attribution, nous aurions pu les identifier par marquage spécifique au Nile rouge. Malheureusement, ce fluorophore a, comme la phtalocyanine, une émission dans le rouge et n’était donc pas utilisable pour des expériences de co-marquage dans notre cas.

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