Le microbiote, l’épigénétique et la schizophrénie
Il est possible que la flore intestinale influence l’expression génétique et épigénétique etcontribue à la physiopathologie de la schizophrénie. Nous avons vu dans la partie 5.2.1 que l’action du microbiote sur l’épigénétique pouvait se faire par le butyrate (métabolite des fibres), en inhibant l’histone acétyltransférase, mais aussi via l’acétylation des histones grâce à l’apport de groupements acétyles sur les lysines.
Les patients schizophrènes posséderaient des méthylations de l’ADN au niveau de plusieurs gènes, par exemple :
– Le proto-oncogène Spi-1, qui exerce une action sur les cellules myéloïdes et lymphoïdes B (171) ;
– Le facteur de régulation de l’interféron 8 (qui joue un rôle important dans la microgliogénèse) (168) ;
– Les gènes stabilisateurs de la membrane pré et post-synaptique : neurexin et SH3 (168) ;
On retrouve aussi des taux H3K9me2 augmentés (55). Il s’agit d’une protéine d’empaquetage de l’ADN au niveau de l’Histone H3, et son rôle est de réprimer l’expression des gènes et d’empêcher l’acétylation (172). Chez des patients schizophrènes, il a, post-mortem, également été observé des altérations épigénétiques au niveau des leucocytes et des cellules épithéliales (168).
Dans la revue de Zhuo et al., on retrouve deux mécanismes d’action hypothétiques :
– L’acétylation et la méthylation (via l’inhibition de l’histone désacétylase par le butyrate) modifient l’ADN et l’expression génétique de certains gènes, conduisant à la schizophrénie (55) ; – L’excès d’apport en méthionine modifierait la méthylation des histones laquelle, à son tour, va modifier l’expression génétique conduisant à la schizophrénie (55). La revue retrace l’étude de Jaff et al. dans laquelle plus de 2 000 îlots CpG étaient différents entre les patients schizophrènes et les témoins. Les îlots CpG se composent de 2 nucléotides : C et G ; lorsque la cytosine est méthylée, l’expression du gène est réprimée. Les chercheurs se sont aperçus qu’il y avait une corrélation entre les îlots CpG, associés à la schizophrénie, et les îlots CpG présents lors de la transition pré/postnatale (stress maternel, infections, nutrition pendant la grossesse, etc.). Donc ces éléments-là pourraient être potentiellement « déclencheurs » de la maladie (55).
De plus, dans le cas de la triméthylation du groupement lysine de l’histone 3 (H3K4), une diminution de cette triméthylation a été observée dans le cortex préfrontal des patients schizophrènes (55). Or, celle-ci régule l’expression des gènes de manière positive, favorisant l’action des histones acétylases (173). La diminution de la triméthylation de H3K4 a entraîné une diminution de l’expression de l’enzyme GAD 1 (glutamate décarboxylase) (55). Cette enzyme permet la transformation du glutamate en GABA. La production de GABA est donc diminuée. Ce qui se corrèle bien avec les études actuelles sur la schizophrénie (55). Concernant la méthionine, elle favorise l’abondance des bactéries pathogènes. Des apports chroniques à base de méthionine entraînent des comportements similaires à ceux des patients schizophrènes. La méthionine joue-t-elle un rôle sur le niveau de méthylation ? Et la flore intestinale influence-t-elle la disponibilité de la méthionine ? Des études dans ce domaine sont encore à mener pour comprendre l’influence de l’épigénétique dans la schizophrénie (55).
Une dysimmunité chez les patients schizophrènes
Le lien entre les AGCC et la schizophrénie
Les acides gras à chaîne courte ont des effets anti-inflammatoires. Le butyrate inhibe la protéine NF-kB, qui permet la transcription de gènes pro-inflammatoires et favorise indirectement l’inhibition de la neuro-inflammation.
Ainsi, chez les patients schizophrènes, le taux de bactéries productrices d’AGCC est diminué (174).
Les bactéries du genre :
– Faecalibacterium (170) (72) ;
– Eubacterium (72) ;
– Roseburia (72) ;
– Coprococcus (72) ; et la famille des Lachnospiraceae (170) sont productrices d’AGCC. Or, nous avons vu, dans les études de Shen et al., que les taux des genres Roseburia et Coprococcus étaient réduits chez les patients schizophrènes (164). Quant à l’étude de Zhang et al., elle a relevé que le genre Faecalibacterium était également réduit (170).
La dysbiose chez les patients schizophrènes entraînerait donc la diminution de la production d’AGCC. Leur activité anti-inflammatoire est, par conséquent, compromise.
Comme nous l’avons vu dans la revue de Schilderink et al., le butyrate favorise l’assemblage des jonctions serrées et améliore l’imperméabilité paracellulaire (117). Une diminution du butyrate modifie la perméabilité intestinale, laissant passer dans la lymphe et dans le sang des résidus de pathogènes (provenant notamment des protéobactéries), et entraînant un état inflammatoire à bas bruit (117). Après que des souris GF ont reçu des espèces bactériennes productrices d’AGCC, cet apport a permis de normaliser la perméabilité de la BHE alors que, en l’absence de microbiote, celle-ci était augmentée (117).
De plus, 30 à 40 % des patients schizophrènes présentaient une déplétion dans le gène de la claudine 5 (jonctions serrées de la BHE) (175). Lors d’une greffe fécale par l’équipe de Branisteet al., la perméabilité était normalisée et claudine 5 aussi (176).
La translocation bactérienne, source de l’inflammation
Nous avons vu qu’une barrière intestinale trouée entraînait le passage de marqueurs bactériens dans la circulation sanguine. Cela peut être dû, notamment, à un déficit en AGCC. Mais tout démarre par une modification de la composition du microbiote. Cette dysbiose est alors perçue comme étrangère à notre organisme, et entraîne l’activation de l’immunité innée.
Une suractivation des TLR-4 chez les patients schizophrènes
Les TLR constituent la première ligne de défense de l’organisme face à un agent pathogène en ce qu’ils reconnaissent les motifs moléculaires associés aux pathogènes. Les LPS des bactéries pathogènes entrent en contact avec les TLR-4, entraînent la production de cytokines et altèrent ainsi la perméabilité intestinale (175) (108).
Les patients schizophrènes auraient un niveau plus élevé de TLR-4 et de TLR-5 (175) (108).
Les CD14, acteurs de l’inflammation chronique
Les CD14 sont des récepteurs présents sur les monocytes et les macrophages, et ils reconnaissent les LPS des bactéries.
L’étude de Sévérance et al. se base sur 2 cohortes :
– La première comptait 141 patients schizophrènes, 78 contrôles et 75 bipolaires ;
– La seconde comptait 78 patients schizophrènes de 1er épisode, naïfs d’antipsychotiques, et 38 schizophrènes sous traitement médicamenteux.
Le taux de CD14 (marqueur de la translocation bactérienne) des patients schizophrènes était trois fois plus élevé que celui des témoins. Et le taux de CRP était corrélé avec celui des CD14 et des LPS présents dans le sang (177).
Un état inflammatoire permanent est retrouvé chez les patients schizophrènes (177). Le système immunitaire se retrouve en hyperactivité et déréglé.
Un déséquilibre entre les cytokines pro-inflammatoires et antiinflammatoires
Selon la revue de Drexhage, 60 % des monocytes des patients schizophrènes sont dans un état « pro-inflammatoire » (178).
La méta-analyse de Miller et al. se base sur 40 études chez des patients schizophrènes de 1er épisode ou en rechute aiguë. Les taux de cytokines IL1β (174), IL-6 et TGFβ étaient élevés (179). L’ajout d’un antipsychotique a ramené ces taux à la normale. Par contre, les taux d’IL12, IFNɣ, TNF! et IL2 sont restés augmentés (179).
L’isolement social chez le rat est une méthode validée pour étudier la schizophrénie. Cela induit des changements de comportement, mais aussi des altérations du microbiote et du taux de cytokines (180). L’équipe de Dunphy et al. a réparti 24 rats, à leur 24e jour de naissance et pendant 4 semaines, entre différents groupes : un groupe où les rats étaient à plusieurs dans une maison, d’autres groupes où ils étaient 6 ou 3, et des “groupes” à un seul rat, (180). Les rats isolés présentaient une modification de leur microbiote avec une augmentation du phylum Actinobacteria et une diminution de la classe des Clostridia. De plus, il y avait une corrélation positive entre la diminution d’IL-6 et d’IL-10 dans l’hippocampe, et la modification de la composition du microbiote. Chez les patients schizophrènes, il a également été constaté une diminution de l’interleukine 10 (180).
Cette étude en a conclu que l’isolement social au début de la vie des rats conduisait à des comportements similaires à la schizophrénie (néophobie, hyperactivité, augmentation du taux de dopamine), associés à une perturbation du microbiote (180).
Des taux élevés de cytokines inflammatoires dans le sang peuvent traverser la BHE, activer la cascade inflammatoire et entraîner une neuro-inflammation chronique (180).
Les cellules TH17
La production de cellules TH17 se fait à la suite d’une infection bactérienne ou fongique. Pour permettre l’amplification de la réponse immunitaire, les cellules produisent des cytokines inflammatoires : les interleukines 17 et 22. Le but est de stimuler l’activation des neutrophiles (181). L’IL22 intervient dans le maintien de la perméabilité de la barrière épithéliale, notamment dans le tractus intestinal. Elle permet la sécrétion de défensines, c’est-à-dire de peptides antimicrobiens, qui vont protéger l’intégrité de la barrière intestinale et éviter des « fuites » (181).
Les cellules TH17 sont donc indispensables au niveau de la barrière intestinale, mais leur activation chronique entraîne un état inflammatoire permanent et devient alors délétère pour l’organisme (181).
Pour activer la production des cellules TH17, les cellules présentatrices d’antigènes de la réponse immunitaire innée vont, grâce aux cytokines IL-1, IL-6 et IL-23, stimuler les cellules naïves CD4+ (Figure 33). Ces dernières vont activer le facteur de transcription Stat 3, la cytokine TGFβ et le facteur de transcription RORC, pour permettre la différenciation des cellules CD4+ naïves en TH17 (181). Fait intéressant, la cytokine TGF β est normalement un inhibiteur de la réponse immunitaire mais, en association avec IL-6 ou IL-1, elle stimule les cellules TH17 (181).