Utilisation de pictogrammes
Les images en contours en relief sont largement utilisées dans le domaine éducatif pour rendre accessible des schémas, graphiques ou cartes (Rowell & Ungar, 2003). De nombreux livres tactiles utilisent également ce type d’images qui permettent une mise en relief plus rapide et moins coûteuse que l’utilisation de texture. De plus, ces techniques rendent les images plus robustes que les images texturées. En effet, à force d’être touchées et manipulées les textures collées sur le livre peuvent être abimées et se décoller.
Si ces images présentent un certain nombre d’avantages lors de leur conception, elles sont cependant, difficile à reconnaître. Le taux de reconnaissance moyen d’images en relief observé dans la littérature est de 42% (SD = 21) (méta-analyse de 15 études : Picard et Lebaz,(2012)). Dans le Chapitre 1 nous avons rapporté plusieurs hypothèses émises pour expliquer ces difficultés : l’expérience visuelle (non-voyants précoces, tardifs ou voyants) et l’utilisation de conventions visuelles dans les images ou encore la compétence et la familiarité avec les contenus bidimensionnels en relief. De plus, chez les enfants, les capacités motrices sont encore en développement. La mise en place de mouvements d’exploration adaptés peut donc être plus difficile. La mémoire de travail est également en développement. L’intégration mentale des fragments d’information extraits par le système haptique lors des mouvements d’exploration peut donc être plus difficile à réaliser pour les enfants.
Les pictogrammes tactiles
Dans les études présentées dans ce chapitre nous avons proposé de simplifier les images en contours en relief en utilisant des pictogrammes pour représenter les personnages ou objets.
Les pictogrammes sont utilisés dans la vie quotidienne (panneau de signalisation, étiquettes de danger des substances chimiques, étiquetage pour l’entretien des textiles…). De plus, différentes banques de données de pictogrammes ont été créées pour aider des personnes en situation de handicap. Par exemple les systèmes ARASAAC et PACS pour les personnes avec des troubles du spectre autistique ou les pictogrammes MAKATON ou BLISS pour les personnes sans communication verbale. Les pictogrammes MAKATON ont également été utilisés dans le cadre du handicap auditif. Nous pensons que ce type de représentation peut également être adapté pour le handicap visuel. De plus, des pictogrammes ont déjà été utilisés dans certains livres pour enfants voyants (Figure 33).
Utilisation de tablettes à picots rétractables
L’utilisation de pictogrammes peut également permettre l’utilisation de nouvelles technologies telles que des tablettes à écran déformable de type « pin-array display » : picots mobiles qui montent et descendent en fonction du contenu à afficher comme illustré dans le
Le blindpad (Zarate et al., 2017) est un dispositif créé à bas coût et programmable facilement. Cependant, il présente la plus grosse taille de point ainsi que le plus gros espace entre les points. Ce dispositif a été évalué pour la perception de groupements de points (à droite, à gauche, en haut, en bas) et dans certains scénario d’usages décrits précédemment (Chapitre 1Partie 7.2). Cependant, à notre connaissance, il n’a pas été évalué pour l’affichage de formes géométriques (simples ou complexes). Nous avons donc proposé d’évaluer l’utilisation de pictogrammes en points pouvant être affichés sur ce dispositif.
Etude 1 bis : Reconnaissance de pictogrammes en points
Cette étude correspond en fait à la condition « pictogrammes » de l’étude 1 déjà décrite dans le Chapitre 2 Partie 2.
Questions de recherche
Peut-on utiliser des pictogrammes affichés sur des tablettes à picots rétractables pour illustrer des livres pour enfants ?Cette étude nous a permis d’observer l’utilisation de pictogrammes en points sur la reconnaissance des images et de discuter de l’utilisation de tablettes à picots rétractables chez des enfants voyants et non-voyants. En effet, aucune étude n’avait encore évalué l’utilisation de formes en points distincts sur la reconnaissance d’images tactiles chez des enfants.
Méthode de création des pictogrammes
Les pictogrammes sont basés sur le design du Blindpad (Zarate et al., 2017) : points de 4mm espacés de 4mm.
Tout d’abord, nous avons créé des pictogrammes en points sur une matrice de 5×5 car : (i) il semble que ce soit la taille minimale pour créer un set de 30 pictogrammes figuratifsdifférents et (ii) cela permet d’afficher quatre pictogrammes en même temps sur la tablette (cequi permet d’illustrer une scène avec plusieurs personnages ou objets, Figure 34). Pour chaquemot illustré, nous avons conservé au moins une caractéristique discriminante de l’objet, plante ou animal (e.g. les oreilles du chat, les ailes de l’oiseau, etc.)
Nous avons mené une pré-étude avec ces pictogrammes auprès de huit adultes voyants travaillant sans voir et de deux enfants voyants de 8 ans travaillant sans voir. Nous avons utilisé la tâche d’apprentissage associatif présentée dans le chapitre précèdent (Chapitre 2 Partie 2.4). Lors de la phase de rappel le taux de réponses correctes était de 73%. Au cours de la session, les participants ont été invités à expliquer leurs difficultés et à indiquer les pictogrammes qui leurs avaient posé problème. Lespictogrammes non reconnus ou signalés par les participants lors des séances ont ensuite étéreconçus avec ces onze participants. Nous leur avons demandé de remplir une matrice 5×5 points pour représenter chaque pictogramme. Nous avons ensuite retravaillé les pictogrammes en nous basant sur les points communs dans les représentations proposées par les participants.Enfin, nous avons testé tous les pictogrammes avec un adulte non-voyant qui a pu identifiertoutes les images. La tablette n’a pas été utilisée pendant l’expérimentation, les picots étaient simulés par des points en relief thermogonflé.
Participants et protocole
Les participants et le protocole sont décrits dans le chapitre précédent (Chapitre 2 Partie 2).
Hypothèses
L’utilisation de pictogrammes peut permettre de limiter les mouvements d’exploration et le travail d’intégration mentale. De plus, il semble que l’utilisation de points distincts pour représenter une forme ne pose pas de problème de reconnaissance majeur (Chapitre 1 Partie 7.2). Nous avons fait l’hypothèse que les pictogrammes en points seront bien reconnus par les enfants.
Discussion
La condition correspondant aux pictogrammes en points a été présentée dans le Chapitre2 Partie 2, en comparaison avec les illustrations en ronds de textures. Nous avons observé que les pictogrammes en points étaient moins bien reconnus que les images texturées et les images en ronds de texture. Nous discutons ce résultat dans cette partie. Chez les enfants voyants, nous avons observé un taux de reconnaissance de des pictogrammes en points 46.9% (IC 95% = [35.9, 58.3]. Chez les enfants non-voyants nous avons observé un taux de reconnaissance des pictogrammes en points de 54,0% (IC95% = [46.3, 61.8])
Ces résultats sont cohérents, avec la moyenne des taux de reconnaissance d’images en relief retrouvée dans la littérature (Picard et Lebaz (2012) : méta analyse de 15 études : moyenne = 42%, SD = 21). À noter que notre étude consistait en une tâche d’apprentissage d’associations contrairement à la plupart des études qui mettent en place des tâches de reconnaissance plus ou moins guidées. Cependant, nous nous attendions à ce que l’utilisation de pictogrammes facilite la reconnaissance des images. En effet, les pictogrammes sont des formes simplifiées qui seraient donc, selon nos hypothèses, plus faciles à explorer et à intégrer. Nous proposons plusieurs hypothèses pour expliquer ces résultats : l’utilisation de pictogrammes ne serait pas adaptée pour des enfants, l’espace entre les points serait trop important, l’utilisation de formes en points distincts ne serait pas adaptée pour des enfants.
Il est possible que l’utilisation de pictogrammes ne soit pas adaptée pour la perception tactile des enfants. En effet, les enfants ont tendance à mettre en place des stratégies de« devinette » lors de l’identification haptique d’images en relief en se basant sur une seule caractéristique de l’objet comme par exemple les cornes de la girafe (Overvliet & Krampe, 2018). Les pictogrammes que nous proposons ne reprennent que certaines caractéristiques spécifiques de l’objet représentés (e.g. les ailes pour l’oiseau qui n’a alors pas de bec ni de pattes). Il est possible que les pictogrammes ne soient pas assez détaillés pour permettre aux enfants de se raccrocher à des caractéristiques locales de l’objet (e.g. si l’enfant ne comprend pas que ce sont les ailes de l’oiseau il n’a pas d’autres indices locaux lui permettant de reconnaitre l’image). L’utilisation de pictogrammes ne permettrait donc pas de faciliter la reconnaissance pour les enfants.
Les résultats observés dans notre étude sont également très inférieurs aux performances observées dans les études utilisant des tablettes à picots (taux de reconnaissance moyen = 88%).
Pour saisir la forme de ces pictogrammes, il est nécessaire de percevoir les points distincts comme formant un tout. Ce principe de proximité a été décrit dans la théorie de perception de la Gestalt (Goldstein, 1999; Kubovy, Holcombe, & Wagemans, 1998). Différentes études ontmontré que le principe de proximité de la Gestalt est applicable au toucher (Chang et al., 2007;Gallace & Spence, 2011). Cependant, Hatwell et al. (1990) montrent que le toucher est moins sensible que la vision au principe de proximité. Ces études ne mentionnent pas de seuil critique à partir duquel l’écart entre les points peut rendre difficile la perception de formes distinctes comme appartenant à un tout. Selon les recommandations pour la transcription de documents éditées par l’Institut national supérieur formation et recherche handicap et enseignements adaptés (INSHEA), l’espacement entre deux éléments (point ou tiret) peut être compris entre 0,5 mm et 4mm, valeur au-delà de laquelle la notion de trait n’est plus perçue. Dans notre étude l’espacement entre les points est de 4mm soit la borne maximale des recommandations.
L’espacement entre les points pour les autres études utilisant des tablettes à picots rétractable présentées précédemment (1.7.2) était compris entre 1.5 et 2.75 mm. L’espacement entre les points a donc pu être un frein à la reconnaissance tactile entrainant de moins bonnes performances dans notre étude.
Lorsque nous avons proposé les pictogrammes en point à cinq enfants malvoyants qui pouvaient voir les pictogrammes le taux de réponses correcte était de 80% (IC95% = [79.232, 80.60]). Nous pensons que les 20% d’échec reflètent les capacités en mémoire encore en développement chez l’enfant. Il est possible qu’ils ne parviennent pas à stocker les dixpictogrammes en mémoire. Il semble donc que lorsque les enfants ont la possibilité de voir lespictogrammes, ces images ne présentent plus de difficultés du point de vue perceptif.
L’espacement entre les points ne poserait pas de problème lors de la perception visuelle, plus sensible au principe de proximité que la perception haptique (Hatwell et al., 1990)