Les lésions cervicales non carieuses

Définition des lésions cervicales non carieuses

Historique

A l’opposé des lésions cervicales carieuses, dont l’étiologie est bactérienne, se trouvent les lésionscervicales non carieuses au niveau de la jonction émail-cément ou collet anatomique dentaire, sansintervention bactérienne. (6)
Historiquement l’usure dentaire est décrite en 1778, dans un des premiers livres traitant de ladentisterie évoquant la présence d’usure par abrasion au niveau des surfaces occlusales, ce quipermettrait d’harmoniser la hauteur des dents, durant leur croissance.
Plus tard, en 1907, Miller décrit pour la première fois les différents processus impliqués dans les LCNC. Il expose différents mécanismes pour expliquer l’usure dentaire ; par action mécanique, chimique, combinée, ou l’une à la suite de l’autre, mais aussi l’influence de l’environnement buccal sur les structures dentaires. (8)
La définition de l’attrition et de l’abrasion, telle que nous la connaissons de nos jours est attribuée au travail de Pindborg en 1970. (9)
L’érosion est définie en 1982, comme une perte de tissus dentaires par action chimique pure sans implication bactérienne. (10) On doit l’introduction plus récente du terme d’abfraction défini pour la première fois par
Grippo, pour désigner des LCNC issues des contraintes occlusales. Son travail faisant suite àun travail préliminaire de McCoy en 1982 proposant le bruxisme comme étiologie primairedes LCNC, puis Lee and Eakle en 1984. (11)
On peut se rendre compte de l’augmentation du nombre de publications concernant les LCNC depuis 1980 dans le graphique présenté ci-dessous.

L’étiologie multifactorielle des LCNC

Actuellement, la plupart des études s’accordent pour reconnaitre l’origine multifactorielle desLCNC. (12)
La lésion finale est le résultat de différents facteurs qui peuvent coexister, agir seul ou de façon concomitante, et même potentialiser les effets de l’un par action de l’autre. Il est difficile de classer une lésion dans une catégorie distincte (érosion, abrasion, abfraction) car les différentes étiologies agissent de concert, dans des proportions variables, pour former la lésion finale.
Cette origine multifactorielle impose une prise en charge étiologique dans un premier temps.
La restauration de ces lésions sans la prise en compte et la gestion préliminaire des facteurs de risque s’expose à une récidive.

Prévalence des LCNC

L’évaluation de la prévalence des LCNC dans la population générale présente des résultats assez variables mais des tendances sont observables.
Les raisons fréquemment invoquées pour expliquer ces disparités sont :
– Une grande variabilité dans le choix des échantillons, échantillons de convenance
– Le manque d’homogénéité de l’âge des participants
– La taille réduite des échantillons
– L’exposition différente aux facteurs de risque (études déclaratives) ou l’aspectgéographique (terminologie variable)
– Les critères de diagnostic des LCNC
Après revue de la littérature, Levitch et coll. observent une prévalence variant de 5% à 85%.(6) Une étude épidémiologique transversale récente, sur 3187 patients de 7 pays Européens rapporte que 29% des sujets présentaient au moins une LCNC.Malgré cette incertitude, les auteurs se rassemblent pour dire que la prévalence est enaugmentation avec l’âge du sujet. L’âge est aussi associé à la taille et la sévérité des lésions observées. (18) Ceci s’explique par le phénomène cumulatif des phénomènes tout au long de la vie du patient et également l’augmentation de certains facteurs de risque.
Mais ces lésions sont en augmentation chez les adultes jeunes. Cette croissance semble attribuée à des changements de mode de vie et d’alimentation de cette génération, avec uneérosion plus marquée.
Concernant la répartition des LCNC en fonction du type de dent, les prémolaires sont rapportées comme les plus concernées. Généralement, les résultats convergent vers une plus grande atteinte des prémolaires et canines, les incisives et molaires seraient moins représentées.
La face vestibulaire est beaucoup plus atteinte, 2% seulement des lésions sont palatines ou linguales.
Certaines théories sont avancées pour expliquer cette répartition quasi exclusive sur la face vestibulaire. Une d’entre elles s’appuie sur le facteur salivaire, et suggère que la clairance est augmentée en lingual/palatin, les faces vestibulaires seraient donc plus susceptibles àl’érosion. (21) Une autre se base sur la différence d’épaisseur de l’os cortical, inférieure envestibulaire par rapport à la table osseuse interne. Il s’en suivrait une flexion diminuée parl’amortissement osseux et donc une moindre influence de l’abfraction. (22) Enfin, le brossage des faces linguales/palatines est inférieur en quantité et qualité par rapport aux faces vestibulaires ce qui pourrait favoriser le facteur abrasif.
Le tableau suivant rapporte les prévalences calculées d’une liste non exhaustive d’articles,majoritairement épidémiologiques, parus ces deux dernières décennies, afin de souligner l’hétérogénéité des résultats rencontrés et quelques limites de ces études.

L’abrasion

Pindborg définit l’abrasion comme une perte de substance dentaire due un processusmécanique impliquant un corps étranger, autre qu’un contact dentaire.
C’est une usure à trois corps, où deux solides s’affrontent avec interposition d’un troisième corps constitué par des particules abrasives. Cette abrasion peut être généralisée ou focale.
L’abrasion généralisée intéresse toutes les faces dentaires et est liée à l’abrasion du bol alimentaire durant la mastication.
L’abrasion générale avancée était observée dans les populations historiques du fait d’un régime alimentaire plus abrasif. De nos jours, l’abrasion générale diminue au profit d’uneabrasion plus focale.
Cette abrasion focale intéresse la JEC et elle peut-être causée par un brossage iatrogène/traumatique. Le degré d’usure est fonction de la technique, de la fréquence et de la durée du brossage, du matériel utilisé et de l’indice d’abrasivité du dentifrice. (RDA – Relative Dentin Abrasivity). Une méthode de brossage horizontale associée avec une brosse à dent aux brins durs et un dentifrice abrasif causerait une détérioration de la région cervicale. (37) En rapport avec l’étiologie, certains patients peuvent présenter des lésions majoritairement unilatérales, en opposition avec la main qui sert au brossage. (38) Mais une méta-analyse de Heasman et coll. révèle que les preuves actuelles en faveur d’une association entre le brossage traumatique et LCNC et les récessions gingivales sont insuffisantes.
Morphologiquement l’abrasion provoque des lésions en « V », en encoche avec des angles plus marqués, des bords nets. Le fond de la lésion est dur, lisse et brillant, en association avec le polissage effectué. Elle peut parfois présenter des micro-stries/rayures horizontales, témoignant d’un brossage traumatique.

L’érosion

L’érosion est un phénomène d’usure chimique se produisant lors de la présence répétée d’acides non bactériens, qui participent à la déminéralisation de l’émail, de la dentine et du cément.
Les acides en cause dans la déminéralisation ont deux origines possibles :
– Origine exogène : alimentation, boissons acides, environnement professionnel (41)
– Origine endogène :
 Reflux gastro-œsophagien qui est le passage involontaire d’acide gastrique (pH 0,8-2) dans l’œsophage ou la cavité buccale, hernie hiatale.
 Troubles du comportement alimentaire ; anorexie, boulimie
En fonction de la provenance des acides, l’érosion concernera les faces linguales, palatines et occlusales (endogènes) ou les faces vestibulaires (exogènes). La localisation des lésions aide à déterminer l’origine des acides.
L’érosion ne doit pas être confondue avec de l’abrasion globale, où les facettes d’usure se correspondent en OIM, ou une usure avancée causée par des parafonctions (bruxisme).
La lésion est en forme de « U », présentant des bords lisses et des angles peu marqués, elle est plus large que profonde. Avec la libre circulation de l’agent acide, plusieurs dents sont généralement touchées.
Une diminution du flux salivaire, entrainée par certaines médications (neuroleptiques notamment) ou par déficit fonctionnel des glandes salivaires, peut favoriser le pouvoir érosif des acides.
Au terme d’érosion, Grippo préconise l’emploi du terme de corrosion qui est l’altération d’un matériau par réaction chimique avec un oxydant.
La proportion d’érosion augmente dans les populations contemporaines, ce qui est principalement dû à une modification du régime alimentaire et une augmentation de la consommation de boissons acides. (17) Dans le passé l’attrition et l’abrasion étaient plus marquées en raison d’habitudes alimentaires différentes. De nos jours les modifications de nos habitudes alimentaires et de vie tendent à faire croitre la proportion de lésions dues à l’érosion. Même si l’abrasion globale due à l’alimentation diminue, une abrasion focaleattribuée au brossage traumatique reste présente.

L’abfraction

Le terme d’abfraction désigne un procédé d’usure mécanique provoquant des contraintes coronaires internes, qui divise encore de nos jours. Ce concept prend aussi le nom de « théorie de la flexion ».
Le dictionnaire de prothèse odontologique le définit comme « un processus de perte pathologique des tissus durs des dents dû à des contraintes biomécaniques. Elle est considérée comme le résultat de la fatigue en flexion et de la dégradation de l’émail et de la dentine à distance du point de contrainte ». (44) Selon le dictionnaire francophone des termes d’odontologie conservatrice, c’est la « théorie expliquant la formation des lésions soustractives cervicales par disjonction et fragmentation des prismes d’émail qui résulteraient d’une concentration de contraintes dans cette région du fait des flexions dentaires excessives sous l’effet de charges occlusales ».

Conséquences cliniques des LCNC

Les LCNC ont des conséquences cliniques qui peuvent amener le patient à consulter, c’est le cas lors de l’hypersensibilité dentinaire ou par apparition d’un défaut esthétique. L’altération de l’organe dentaire a quant à lui des conséquences fonctionnelles.

Préjudice pulpaire

L’hypersensibilité dentinaire apparait lorsque la dentine cervicale est exposée. Cela se produit lorsque la LCNC progresse jusqu’à la disparition de l’émail cervical ou en cas de récession gingivale. (46) Ce symptôme est un motif fréquent de consultation et constitue le premier signe d’appel des LCNC si elles n’ont pas été diagnostiquées précocement.
Lorsque la déminéralisation est rapide, les canalicules dentinaires n’ont pas le temps de se scléroser et sont donc perméables aux agressions chimiques, thermiques et mécaniques.
La douleur rencontrée est brève, intense, provoquée par un stimulus. Le mécanisme en cause fait appel à la théorie hydrodynamique de Brannström, qui stipule que la circulation liquidienne dans les canalicules est responsable de la stimulation nociceptive.

Préjudice esthétique

En cas de progression asymptomatique de la lésion, le patient peut consulter plus tardivement lors de l’apparition d’une dyschromie ou d’une altération esthétique de l’organe dentaire. L’usure progressive de l’émail dans la zone cervicale menant à sa disparition en raison de sa faible épaisseur, conduit à l’apparition de la dentine sous-jacente qui donne une coloration jaunâtre à la lésion. Quand la lésion progresse, le volume de la perte tissulaire fait paraitre la dent délabrée. La présence d’une récession gingivale associée peut amener l’impression d’une dent « longue », avec déséquilibre des collets et perturbation de la ligne du sourire. (48)

Préjudice fonctionnel

Les LCNC peuvent causer une rétention alimentaire à cause d’une concavité à la JEC ce qui peut mener par la suite à des problèmes parodontaux comme les récessions mais aussi favoriser la pathologie carieuse en cas d’hygiène bucco-dentaire insuffisante.
La présence de LCNC sur une dent support de crochets rétentif d’appareil amovible peut tendre à déstabiliser celui-ci, ou rendre délicat sa désinsertion.
Dans des cas avancés de délabrement, la perte de substance est telle qu’elle peut aboutir à uneatteinte pulpaire ou une fracture coronaire.

Recommandations actuelles de prise en charge des LCNC

L’attitude des praticiens à l’égard des LCNC est très opérateur-dépendant. Le manque de compréhension à propos du pronostic des LCNC, avec ou sans intervention, est un facteur dans les variations de la gestion de ces lésions. (48)
L’approche thérapeutique des sujets présentant des LCNC doit se faire de façon globale, à la suite d’une première consultation et d’une anamnèse détaillée. La détermination des facteurs étiologiques intervenant dans la lésion est primordiale, notamment pour adapter les mesures prophylactiques nécessaires, c’est le diagnostic étiologique. (14)
A l’heure actuelle, le traitement des LCNC est organisé en deux volets. Un premier temps préventif, où l’on cherche, à diminuer les facteurs étiologiques en cause. Connaitre et comprendre les effets des facteurs de risque va permettre au praticien de choisir le traitement le plus approprié et mettre en place des mesures préventives adaptées.
Dans un second temps, il peut être nécessaire de réaliser la restauration des tissus, lorsque la perte tissulaire s’étend jusqu’à la dentine ou en cas d’hypersensibilité invalidante.

Attitude préventive

L’approche étiologique est indispensable avant toute intervention restauratrice. Elle a l’avantage d’être non invasive et permet d’influer sur les facteurs qui concourent à la lésion.
Elle nécessite la détection et caractérisation précoce des LCNC, le diagnostic précis est donc primordial. Le praticien doit réaliser un questionnaire spécifique qui reste à développer suivi d’un examen clinique rigoureux, avec des aides optiques. Il concerne toutes les faces dentaires préalablement séchées et doit rechercher les lésions débutantes et l’usure occlusale associée.
Les points suivants sont à explorer dans le cadre du questionnaire :
– Les habitudes de vie du patient.
– Ses habitudes alimentaires.
– L’hygiène bucco-dentaire : technique de brossage, fréquence et matériel utilisé.
– Antécédents médicaux et médications sialoprives.
– Les troubles médicaux et comportementaux (RGO, anorexie/boulimie, substances addictives, habitudes nocives ; onychophagie).
– Le milieu professionnel (sportif de haut niveau, exposition professionnelle aux acides).
– L’usage de produits éclaircissants. (50)
– Les troubles de la salivation et les médications sialoprives.
– Les parafonctions (bruxisme, grincement ou serrement des dents).
Les comportements nocifs doivent être expliqués au patient et acquis afin qu’il prenne conscience des risques et adopte de bonnes habitudes.

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