Les données simulées
Après la sélection des événements, les processus de signal proviennent de la production de paires tt¯ et de quarks top célibataires et les processus de bruit de fond principalement de bosons W- ou Z produits en association avec des jets, avec aussi une petite contribution provenant de processus de production de dibosons (WW, W Z, Z Z) et de ttV¯ . Les événements ne contenant pas de leptons prompts, c’est à dire issus de la désintégration semileptonique du boson W produit par le quark top, contribuent aussi aux bruits de fond à travers la mauvaise identification des jets ou de photons ainsi qu’avec la présence d’électrons ou de muons non-prompts passant les critères d’isolation des leptons. Cette contribution est appelée «leptons faux et non-prompts» dans la suite.
Tous les événements de signal et de bruits de fond sont modélisés grâce à des échantillons MC simulés, à l’exception du bruit de fond dû aux leptons faux et non prompts qui est estimé à l’aide d’une méthode basée sur les données (cf. section 4.4.4). Les lots simulés sont utilisés pour estimer les nombres d’événements attendus, vérifier la concordance des distributions attendues des observables avec les données de collision et estimer les incertitudes systématiques des analyses.
La chaîne de simulation d’événements Monte-Carlo
Au LHC, les particules entrant en collision sont des protons composés de trois quarks de valence (uud) et d’une mer de quarks et de gluons virtuels. Le processus de création de pairestt¯a lieu par interaction forte et fait intervenir un parton de chaque proton entrant en collision. En raison de l’augmentation de la constante de couplage forte aux faibles énergies, un calcul perturbatif en théorie quantique des champs n’est pas possible pour l’ensemble du processus d’interaction des protons et de désintégration des particules produites. En effet, la série perturbative n’est pas convergente car la constante de couplage forte αS augmente et devient supérieure à l’unité lorsque l’échelle d’énergie diminue. Néanmoins, grâce au théorème de factorisation [170], les calculs peuvent être séparés en une partie perturbative constituée par le processus dur d’interaction entre les partons provenant des deux protons et deux parties non perturbatives, la première donnant lieu à la modélisation des partons à l’intérieur des protons et la deuxième étant constituée du développement des gerbes partoniques (showering) et du processus d’hadronisation.
La figure 4.1 montre cette séparation en plusieurs étapes alors que la figure 4.2 montre une représentation simplifiée de la formation de jets dans un événement tt¯semileptonique.
Collision dure et élément de matrice
La première étape de la chaîne de simulation est la collision de deux protons lors d’une interaction profondément inélastique à laquelle est associée un important transfert d’impulsion. En pratique un parton de chaque proton intervient au sein d’un processus connu sous le nom d’«interaction dure» qui peut être calculé à l’aide de la théorie des perturbations. Cette collision diffuse à grand angle les deux partons, ou les produits de leur annihilation, en particules massives ou en résonances. Ces résonances ont une durée de vie courte et leurs produits de désintégration, tels que le quark top, sont considérés comme faisant partie de l’interaction dure. À ces échelles d’impulsions, les partons se comportent de manière asymptotiquement libres et peuvent donc être décrits selon la théorie des perturbations et à l’aide du modèle partonique. La section efficace de production du processus peut être définie comme :
Les douches partoniques
Avant et après la collision dure, les partons émettent des gluons ou des paires de quark-antiquarks, produisant ce qui est appelé une douche partonique. Cette émission, parfois appelée «Bremsstrahlung QCD» est comparable au processus de radiations de photons issus de l’électrodynamique quantique (QED). Ces processus de radiation sont décrits à l’aide de la QCD perturbative. Par convention, les processus d’«Initial State Radiation» (ISR) font références aux gluons émis par les partons initiaux, quand les processus de «Final State Radiation» (FSR) correspondent à ceux provenant des partons crées lors de l’interaction dure; ces deux classes d’émissions de gluons font références au même processus physique. Les gluons ainsi crées peuvent émettre à leur tour d’autres gluons tout comme ils peuvent s’assembler en paires de quark-antiquark qui produisent in fine le développement de douches partoniques.
Ces douches partoniques peuvent également être de deux sortes; selon qu’elles se développent à la suite d’un parton initial de l’interaction dure, auquel cas elles sont dénommées «Initial State Shower», ou à la suite d’un parton produit lors de l’interaction dure, dénommées alors «Final State Shower».
La combinaison des éléments de matrice et des douches partoniques
Les résultats obtenus à partir du calcul des éléments de matrice et de la modélisation des processus de douches partoniques sont ensuite combinés afin de bénéficier des avantages de ces deux approches et de pouvoir simuler efficacement les événements contenant plusieurs partons dans l’état final. Afin de prévenir tout double comptage, dans le cas où ces états finaux exclusifs auraient déjà été générés via la douche partonique, plusieurs méthodes ont été développées, en exploitant des approches différentes. Plusieurs de ces approches sont décrites dans la référence [62]. Celle utilisée en particulier dans les échantillons simulés exploités dans cette thèse est la correction aux éléments de matrice [175], [176]. Au lieu d’associer les éléments de matrice à ordre fixe avec les douches partoniques, cette nouvelle approche fait le chemin inverse : elle part des douches partoniques et améliore leur résultat en utilisant les éléments de matrice. Pour ce faire elle interprète tous les ordres associés à la douche partonique comme des «distributions d’essai» qu’elle corrige avec des éléments de matrice en appliquant un critère d’unitarité.
Cette méthode permet d’obtenir des résultats quasi-invariants de l’échelle d’énergie et respectant le principe d’unitarité. Surtout cette méthode ne génère pas d’événements à poids négatifs, et n’a pas besoin d’échelle d’association. Enfin en pratique elle nécessite un temps de calcul réduit. La librairie VINCIA [177], qui peut être associée au générateur Monte-Carlo Pythia 8 [178], [179] est fondée sur cette approche.
Hadronisation et fragmentation des quarks
Il n’existe pas de quarks ou de gluons libres du fait du confinement. Après la douche partonique, les partons ont une impulsion tellement basse que la constante de couplage forte est très grande et les partons commencent à créer des hadrons stables. Ce phénomène est appelé «hadronisation». À cette échelle en énergie, typiquement en dessous de 1 GeV, la théorie des perturbations est remplacée par une description non perturbative dans laquelle les partons sont liés au sein de hadrons de charge de couleur nulle. Beaucoup de ces hadrons sont de nature instable et se désintègrent en hadrons plus légers, des leptons, des photons. Ceux-ci ont une durée de vie suffisamment longue pour être considérés comme stables au sein du détecteur. Ces hadrons sont détectés sous la forme de gerbe de particules, appelées «jets». Deux modèles d’hadronisation sont communément utilisés dans les programmes de simulation, le modèle de cordes de Lund-Bowler [180] et le modèle en amas [181].
Le modèle de cordes de Lund, illustré dans la figure 4.3, implique des flux de couleurs appelés cordes, formés dans la partie perturbative de la fragmentation. Ces cordes lient les quarks d’une paire.
Les gluons sont ajoutés en tant que noeuds aux cordes. La densité en énergie, ou la tension de la corde k, est constante le long de celle-ci et est de k ∼ 1GeV/fm. Plus les quarks se séparent d’une distance d, plus cette corde s’étend en accumulant une énergie proportionnelle à d, E(d) ∼ k · d. Arrivée à une énergie suffisante, la corde donne une paire de qq¯. Dans la limite où l’extension transverse des cordes est plus petite comparée à celle longitudinale, les quarks q et q¯ sont produits dos à dos, et donc pt,q = pt,q¯ = pT. Ainsi, l’énergie minimale de création de paires est Emin = 2 q m2 q + p 2 T = 2mT , avec mT la masse transverse. Cette paire qq¯ possède alors des charges de couleur imposées par la compensation locale des couleurs. Ce processus s’itére jusqu’à ce que l’énergie restante dans les cordes n’est plus suffisante pour transformer une paire virtuelle qq¯ en une paire réelle. La distribution de la fraction d’énergie z emportée par la paire qq¯ s’appelle la fonction de fragmentation communément appelé f (z) dont les paramètres sont déterminés expérimentalement grâce à des ajustements de distributions sensibles à la fragmentation. Pour l’hadronisation des quarks lourds (b et c), l’extension de Bowler [182] lui fait prendre la forme suivante
Événements sous-jacents, reconnexion de couleur et empilement
Parmi les événements provenant de collisions pp, les événements sous-jacents représentent une activité additionnelle qui n’est pas associée à l’interaction dure. Les événements sous-jacents sont liés à des processus d’interactions molles, ce qui implique qu’il n’est pas possible de développer une approche perturbative pour les décrire et que des modèles phénoménologiques doivent être développés afin de les étudier et de pouvoir in fine les simuler. Ainsi les paramètres associés à chacun de ces modèles sont déterminés à partir de données issues d’expériences mettant en jeu des collisions de particules. Les événements sous-jacents ont un impact direct sur la façon dont les partons issus de l’interaction dure vont à la fois se développer en douche partonique et s’hadroniser. Ces événements peuvent également déposer une énergie supplémentaire dans des régions où se développent des jets provenant de l’interaction dure.
C’est pourquoi une connaissance aussi précise que possible de ces événements est nécessaire afin de pouvoir mesurer correctement les propriétés des objets issus de l’interaction dure et de les corriger si besoin. Les événements sous-jacents proviennent principalement de quatre processus distincts.
Le premier processus correspond aux interactions partoniques multiples (MPI). Plusieurs paires de partons peuvent être amenées à générer des processus d’interaction dure ou «semi-dure» dans un même événement, créant de fait plusieurs jets. La caractéristique principale des jets provenant d’interactions partoniques multiples est qu’ils sont produits dos-à-dos et associés à une impulsion transverse faible. Le deuxième processus correspond aux effets de reconnexion de couleur (CR) [185], [186]. Les événements produits lors d’interactions partoniques multiples sont par nature liés au reste de l’événement, aussi bien d’un point de vue cinématique que d’un point de vue des charges de couleur et des charge électromagnétiques. C’est pourquoi afin d’améliorer les modèles de simulation d’interactions partoniques multiples, des modèles de reconnexions de couleurs non-perturbatifs ont été développés. La structure en couleur des interactions partoniques multiples peut engendrer des changements non triviaux dans la topologie en couleur du système associé à la collision, ce qui peut avoir d’importantes conséquences sur la multiplicité des particules présentes dans l’état final. Le modèle d’hadronisation utilisé par le générateur joue aussi un rôle important lors des processus de reconnexion de couleur. Des approches adaptées ont été mises en place en fonction du générateur Monte-Carlo utilisé, l’idée générale étant de reconnecter en couleur les différents partons produits lors d’interactions partoniques multiples. Cette reconnexion a un impact direct sur la multiplicité de l’état final. La méthode la plus simple est d’imposer comme critère régissant la reconnexion de couleur la distance entre deux partons. Dans l’approche de Lund cela correspond à réduire la longueur de la cordelette, dans le modèle d’amas, cela correspond à réduire la longueur de couleur. Enfin ce critère de reconnexion de couleur a pour effet de réduire la multiplicité de l’événement final et de répartir ainsi plus d’énergie entre les particules produites .
Le troisième processus correspond aux restes de faisceaux. Chaque particule incidente peut laisser derrière elle des restes, c’est-à-dire dans le cas de collisions pp une partie du proton qui n’a pas été impliquée dans un processus d’interaction dure, d’ISR ou de MPI. Ces restes de faisceaux sont modélisés à l’aide de modèles phénoménologiques qui tentent de maintenir les lois de conservation propre à la physique hadronique, telles que la conservation de l’impulsion au sein de l’événement et le conservation de la charge de couleur entre les restes de faisceaux et le reste de l’événement.
Enfin, le dernier processus est lié aux effets d’empilement. À haute luminosité, plusieurs paires de protons peuvent interagir ensemble à chaque croisement de faisceaux, produisant ainsi plusieurs événements. Afin de simuler ces phénomènes d’empilement, n interactions semi-dures distinctes sont générées à des vertex de collision selon des distributions de Poisson de valeur moyenne centrée autour de < n >. Une fois la simulation terminée, ces événements sont ajoutés à l’événement simulé correspondant à l’interaction dure, via des évènements de biais minimum simulés grâce au générateur Pythia 8 (v8.230) utilisant les PDFs MSTW2008LO [187] et le réglages de paramètres A3 [188]. La simulation prend également en compte l’empilement hors-temps correspondant à l’interaction des protons contenus dans les faisceaux avec le gaz présent dans le tube à vide (principalement du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène), aux interactions des protons avec les collimateurs de faisceaux et aux interactions générées
par des particules de longues durées de vie présentent dans la caverne du détecteur. Le nombre moyen de collision d’empilement pour ces évènements simulés a été optimisé, à l’aide de poids appliqués à chaque événements, pour correspondre à celui observé lors de la prise de données.