Les entrées de ville: une définition floue pour un objet historique

Les entrées de ville à l’époque gallo-romaine

Les historiens français divisent l’époque gallo-romaine en deux périodes, le Haut Empire de 27 avant JC à 235 après JC et le Bas Empire de 235 à 476 après JC. On observe pendant ces deux périodes,un changement de contexte politique et militaire du aux premières invasions barbares qui n’est pas sans conséquence pour la forme des villes et donc de ses franges.

Le Haut Empire (-27 – 235)

Le Haut Empire est marqué par la Pax Romana dans la majorité des cités gauloises qui ne nécessitent donc pas d’enceinte défensive. Dans ces conditions, il est difficile de retrouver les restes d’éventuelles portes surtout que les écrits sont quasi-inexistants. Seules quelques villes se sont dotées d’enceintes, la plupart dans l’est de la France. Le tracé des enceintes suit le relief et déborde parfois très largement de la zone urbanisée. Construites sur des fondations réduites voire inexistantes, elles sont d’épaisseur relativement faible, de deux à trois mètres, leur hauteur est modérée, de cinq à huit mètres. Au croisement des routes stratégiques avec l’enceinte, des portes monumentales sont aménagées comme à Autun ou à Trèves.
Difficile à défendre à cause de leurs dimensions, les enceintes avaient avant tout un rôle symbolique. Il s’agissait de marquer le territoire de la cité et d’en signifier l’importance et le prestige aux nouveaux arrivants. Les portes d’entrée de la cité de par leur architecture monumentale devaient magnifier la fonction symbolique des enceintes austères et l’arrivée en ville.

Le Bas Empire (235 – 476)

Contrairement au Haut Empire, le Bas Empire est une période mouvementée qui oblige les cités à se renouveler en se dotant d’importants dispositifs défensifs. De nombreuses enceintes fortifiées sont construites entre la seconde moitié du IIIème siècle et la fin du IVème siècle. Celles-ci ont en priorité une vocation militaire. Elles sont épaisses, souvent plus de trois mètres et leur hauteur pouvait dépasser les dix mètres. Leur périmètre est réduit pour améliorer l’efficacité défensive et des tours viennent renforcer cette muraille.
Les portes sont peu nombreuses et assez étroites contrairement aux portes monumentales du Haut Empire. Ce sont des poternes qui permettaient l’accès à la cité sans fragiliser l’édifice en cas d’attaques. Bien qu’à vocation militaire, les murailles et ses poternes font l’objet d’une attention esthétique manifeste notamment dans le choix des matériaux.

Les entrées de ville médiévales

Le Moyen Age se divise en différentes périodes, le Haut Moyen-Age, le Moyen-Age central et le Bas Moyen-Age.
Au cours de ces périodes, les villes n’ont cessé d’évoluer au fil des guerres et des changements sociopolitiques.
Le Haut Moyen-Age (476 – 987) : Avec le schisme de l’Empire Romain en deux puis la disparition de la partie occidentale en 476, l’Europe entre dans une aire de déclin. Cette période marque l’effacement progressif de la ville antique gallo-romaine, des institutions urbaines et du mode de vie urbain. L’Occident se ruralise de plus en plus et s’organise en petits villages plus ou moins fortifiés et éparpillés sur le territoire.
Dans ce contexte de décadence urbaine, les villes se resserrent sur elles-mêmes ou disparaissent. Il est donc difficile de parler d’un renouveau des entrées de ville à cette période.

Le Moyen-Age central (987 – 1280) 

Les villes et formes urbaines réapparaissent sporadiquement, puis de manière beaucoup plus dense. Construite pour certaines aux nouveaux croisements commerçants autour d’un noyau de pouvoir (monastères, châteaux…) et pour d’autres sur d’anciennes villes antiques, elles sont néanmoins différentes de ces dernières. La ville du Moyen-Age central est généralement individualisée par un mur d’enceinte qui enserre des maisons étroitement pressées les unes contre les autres. Au fur et à mesure des extensions urbaines et de l’implantation de faubourgs (littéralement hors les murs), des enceintes fortifiées ont été construites successivement et concentriquement afin de protéger ces nouveaux quartiers urbains qui ne trouvent pas de place intramuros et qui participent au rayonnement économique de la ville. Le prix élevé de ces enceintes fortifiées les réservait aux villes les plus importantes qui voyaient là un moyen de montrer leur puissance. Cela leur permettait également de filtrer les marchandises et les personnes entrant et sortant par les portes et ainsi de les taxer. Les portes de la ville étaient des lieux très fréquentés notamment par les commerçants. Leur architecture était donc un enjeu important pour le pouvoir communal.
On pouvait observer principalement deux types de portes :
– Les portes monumentales flanquées de deux tours pouvant dépasser les vingt mètres qui encadraient un passage voûté ou à ciel ouvert, couvert de pignons et de herses. Les porte en elles-mêmes étaient de forme ogivale et bloquées par deux vantaux de bois.
– Les poternes aux niveaux des axes les moins fréquentés étaient de simples ouverture dans le mur.

Le Bas Moyen-Age (1280 – 1498) 

Cette période est marquée par la Guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre. Ce conflit a entrainé la création d’une nouvelle forme de ville orchestrée par les rois de France, la bastide. Villes fortifiées pour la plupart, elles s’organisent souvent autour d’un château ou d’un bourg castral selon un plan en damier. Construites pour défendre le territoire lors de conflits, elles n’en étaient pas moins des lieux fréquentés pour le commerce.
Les portes étaient le reflet de cette double vocation, assez larges pour laisser se croiser les charrettes et assez étroites pour pouvoir être défendables face à des assaillants.
Le plan en damier hérité de l’antiquité permettait aux bastides de mettre en scène le parcours des habitants et des nouveaux arrivants jusqu’au château, lieu du pouvoir. La porte étant le point de départ de ce parcours.
En ce qui concerne les villes « classiques », leur forme a peu évolué depuis le Moyen-Age central. Par contre, elles n’ont cessé de s’agrandir au fur et à mesure des extensions et des enceintes radioconcentriques.

Les entrées de ville à l’époque contemporaine

De la Révolution française à la fin de la Seconde République (1789 – 1848) : Après la Révolution française et le Premier Empire qui ont peu modifié la morphologie des moyennes et grosses villes, il faut attendre le retour à l’Ancien Régime et le début du II Empire pour voir s’enclencher une vraie révolution urbaine. Ce renouvellement des principales villes de France s’appuie sur des concepts issus du siècle des Lumières. L’arrivée des chemins de fer et des gares intramuros au début du XIXème siècle vont également jouer un rôle dans cette transformation des villes.
Cette période trouble modifie les flux commerciaux, ce qui profite à de nombreuses petites villes qui grossissent rapidement. Très peu de ces villes modestes avaient des remparts, dans le cas contraire, ces derniers étaient démolis par souci d’espace et par besoin de matériaux. Ces nouvelles villes qui apparaissent au cours de cette période n’ont donc pas de portes à proprement parlé. L’entrée en ville est marquée par la présence de caractères urbains et se fait donc de manière progressive même si la rupture urbain / rural est facilement perceptible.

Du début de l’ère industrielle à la fin de la Seconde Guerre Mondiale (1848 – 1945) 

L’industrialisation de la France marque le début de l’exode rural. A cette période la plupart des villes rencontrent des problèmes de salubrité, de circulation, d’encombrement des rues liés à la forte croissance démographique et économique. Pour répondre à cette crise urbaine, les moyennes et grandes villes se libèrent « définitivement » de leurs anciens remparts sauf exceptions comme Paris. Les vestiges des murailles ainsi que leurs glacis transformés pour la plupart en boulevard périphérique marquent une profonde rupture dans le tissu urbain.
En plus de cette cicatrice urbaine, l’arrivée en ville est annoncée par les usines et ses quartiers d’habitations ouvrières qui se concentrent anarchiquement autour de la ville. Ces nouveaux quartiers urbains remettent en question plusieurs siècles d’organisation structurée de la ville et dédiée aux pouvoirs politique et religieux. Les portes physiques de la ville déjà mis à mal par l’apparition des faubourgs disparaissent encore un peu plus. La transition entre le rural et l’urbain se dilue. On observe un mitage du territoire.
L’industrie modifie également la hiérarchisation des villes. Certaines villes grossissent tellement rapidement qu’elles perdent leur identité médiévale. Elles semblent être des villes sans passé, des villes nouvelles.
Dans les villes industrielles, on observe une nouvelle forme d’urbanité. La centralité s’est déportée vers la périphérie des villes, ce qui remet en cause la forme monocentrique de la ville antique et moyenâgeuse.

De l’Après-Guerre à nos jours (1945 – …) 

Après les deux Guerres Mondiales, beaucoup de villes sont en partie voire totalement détruites et sont donc à reconstruire. L’Etat français va jouer un rôle capital dans cette reconstruction rapide en mettant en place une politique centralisée d’aménagement du territoire et en débloquant les budgets nécessaires. Mais les guerres ne peuvent pas expliquées à elles seules le bouleversement urbain de cet fin de XXème siècle.
La décolonisation et la vague d’immigration qui a suivi ont également eu un impact considérable sur l’aménagement du territoire français. De même, le développement rapide de l’industrie agroalimentaire a favorisé un exode rural massif entraînant un surplus de population dans les villes et leur périphérie.
En plus d’avoir à reconstruire la France dévastée par les guerres, l’Etat français doit donc gérer dans l’urgence l’afflux de population désirant avoir un mode de vie urbain. Ce contexte de crise du logement et de boom économique va engendrer une politique de construction et d’aménagement basée sur les principes du Mouvement Moderne : constructions standardisées et hors sols, coûts de construction bas, séparations des fonctions… Pour des raisons financières, l’Etat décide de construire des barres d’immeubles à proximité des villes sur les terrains agricoles.

La place des entrées de ville dans la ville d’aujourd’hui

Avec l’émergence en Europe de la ville contemporaine, qui repousse et absorbe les limites, la dichotomie entre l’urbain et le rural parait de plus en plus artificielle et superficielle. L’urbain semble se généraliser de manière continue et irréversible. Les limites des villes sont diluées et finissent par se rejoindre pour former une sorte de conglomérat urbanisé. Certains intellectuels parlent même de la mort de la ville (F. Choay, 1994, F. Braudel, 1992). Il devient donc de plus en plus difficile de définir la ville et ses limites.
Deux groupes de pensée s’opposent sur le modèle de la ville actuelle et de ses limites. Le premier est nostalgique de la ville traditionnelle, concentrique et compact (F. Choay, 1992, J. Lévy, 2003). Il affirme l’importance de régénérer la ville, de refaire « la ville sur la ville ». Cette démarche relève d’une tradition ancienne de composition urbaine et d’une croyance dans laquelle les centres sont seuls créateurs d’urbanité.
Le deuxième, de plus en plus important (Y. Chalas, 2006, F. Asher, 2006, B. Secchi, 2002) voit l’émergence d’une nouvelle forme de la ville avec une multiplication des centralités urbaines périphériques. Il constate un modèle de ville polycentrique et diffuse, une ville territoire qui doit rompre avec l’hyper centralité et le modèlede la ville traditionnelle compacte et dense. Il récuse également le fait que l’étalement urbain soit le principal responsable de l’augmentation des déplacements.
Le contexte actuel n’est donc pas favorable aux certitudes en ce qui concerne la définition et l’aménagement de la ville et de ses franges. La notion d’entrée de ville et même son existence portent à débat dans cet urbain qui tend à se généraliser. Le terme est devenu flou, générique et l’objet standardisé.
Dans cette partie il s’agira d’identifier ces espaces actuels à partir des récurrences historiques et de la définition établie dans la partie précédente. Ces éléments vont permettre de justifier notre choix des trois terrains d’études basée sur leur appellation «d’entrée de ville » et valider ou non leur réelle appartenance à cette catégorie d’espace.
L’objectif est de confirmer ou pas, l’hypothèse qu’il existe aujourd’hui encore, des espaces qui ont vocation à être des entrées de ville dans cet urbain généralisé. Mais également de percevoir un éventuel décalage entre les projets actuels, leur localisation et celles que nous allons établir dans ce début de partie.
Comme nous l’avons vu précédemment les entrées de ville sont caractérisées comme des espaces de transition entre différents gradients d’urbanité et des zones de flux intense interceptant des centralités urbaines. Nous allons donc étudier les principales pénétrantes en direction de Paris intramuros et des différentes zones urbaines, les centralités et les interfaces urbaines. Dans un souci de clarté, je me concentre dans cette partie sur les principales entrées et portes du territoire urbain francilien. Pour cela nous allons nous appuyer sur les études réalisées pour l’Atelier International du Grand Paris par les plus grandes agences d’urbanisme (J. Nouvelle, C. De Portzamparc, E. Lion, D. Mangin et TVK). Ces études nous renseignent notamment sur les principaux pôles d’attractivité présents et futurs et les grandes zones urbaines du Grand Paris. En parallèle de ces études, nous allons nous baser sur les statistiques et les données de l’INSEE en ce qui concerne l’aire métropolitaine et l’unité urbaine de Paris.

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