Une extension urbaine selon un modèle de ville archipel
L’augmentation de la population et des activités se traduit par une extension urbaine qui s’est effectuée selon un modèle de ville archipel.
Contrairement à de nombreuses villes, le phénomène de périurbanisation a été très contraint à Rennes par la politique de planification urbaine dès les années soixante, ce qui a permis de contenir l’étalement de la ville, délimitée par une rocade et enserrée par une ceinture verte. Ainsi, dès 1967 Henri Fréville, le maire de la ville, est à l’origine de la création d’une Communauté de Communes. Le District Urbain de l’Agglomération Rennaise et l’Agence d’Urbanisme et de développement Intercommunal de l’Agglomération Rennaise, créés respectivement en 1970 et en 1972, élaborent les documents d’urbanisme du District, en concertation avec de nombreux partenaires.
L’urbanisation du territoire s’est effectuée en suivant trois Schémas Directeur d’Aménagement Urbain (SDAU) puis un Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) du Pays de Rennes :
– Le premier SDAU de 1974, qui concernait Rennes la ville centre plus 28 communes de sa périphérie immédiate prévoyait à l’horizon 2010 un développement de la ville selon un schéma linéaire selon un axe Nord-Est/Sud-Ouest qui suivait le schéma de transports en commun, en créant des villes nouvelles dans le prolongement de la ville-centre. Ce SDAU a été mis en révision par la municipalité suivante en 1977 dirigée par Edmond Hervé, qui, opposée à la création de villes nouvelles, préférait renforcer les villes existantes autour de la ville-centre.
– Le SDAU de 1983 a abandonné le schéma de périurbanisation pour adopter un schéma de développement radio-centrique qui privilégie une croissance de toutes les communes du district en contrôlant la croissance de la ville centre à travers la mise en oeuvre d’une ceinture verte, non seulement autour de la ville centre, mais aussi autour des villes satellites existantes sur lesquelles l’urbanisation se concentre alors. L’objectif clairement affiché est d’éviter le phénomène des banlieues en contrôlant la consommation des terres agricoles, en interdisant le mitage et en augmentant la densité des zones bâties [AUDIAR 1993]. Ce deuxième SDAU a aussi été mis en révision face à l’étalement urbain qui s’est accéléré dans les années 80, de nombreux lotissements de maisons individuelles ayant vu le jour autour des villes satellites de Rennes.
– Le SDAU de 1994 renforce le SDAU de 1983 autour du concept d’une ville centre concentrée, en favorisant une extension urbaine radio-concentrique autour des villes périphériques. Pour cela, il prévoit de structurer l’urbanisation future sur les villes périphériques préexistantes et plus particulièrement sur certaines d’entre elles appelées « pôles d’appui » qui concentrent les équipements et services d’intérêt intercommunal [AUDIAR 1993]. Afin d’éviter l’étalement urbain, ce plan prévoit d’augmenter la densité du bâti et de préserver une campagne bocagère et des espaces agricoles le long des routes afin d’éviter les continuités urbaines.
Ainsi, sans compter les milieux « naturels » déjà protégés, les espaces « naturels » et agricoles ne sont plus urbanisables et sont désormais destinés à des usages agricoles ou de loisirs. À partir de ce plan, les espaces « naturels » sont alors destinés à séparer les villes satellites les unes des autres et à constituer des connections biologiques.
– Le SCoT de 2007 part du constat que l’opposition centre-périphérie entre Rennes et le reste du territoire n’a plus lieu d’être, et que le territoire de Rennes Métropole est trop étroit pour un plan d’urbanisme intercommunal. C’est à l’échelle de l’aire urbaine de Rennes au minimum que le projet d’aménagement et de préservation du territoire doit être mené, en concertation avec les communes qui composent ce territoire. Le SCoT met en évidence les espaces menacés par l’urbanisation, les POS (Plan d’Occupation des Sols) les communes permettant un doublement des surfaces urbanisées.
Les changements d’occupation des sols des vingt dernières années
Cette croissance urbaine a entraîné de profonds changements dans l’espace périurbain, qui a étéaffecté par des mutations brusques d’usage des sols (passage de terres cultivées à des surfaces artificialisées), mais aussi par des modifications des surfaces qui ont conservé leur mode d’occupation des sols (changement de gestion des terres agricoles par exemple). L’extension urbaine récente a été mise en évidence sur l’ensemble de la métropole rennaise à partir d’images satellitales à haute résolution spatiale dans le cadre du programme de recherche ECORURB [Aguejdad 2009, Aguejdad et al. 2006].
L’évolution de l’occupation des sols a été cartographiée à partir du traitement de cinq scènes satellitales à haute résolution spatiale (Quatre scènes Landsat et une scène IRS-LISS), réparties régulièrement tous les cinq ans de 1984 à 2005. L’objectif recherché était de montrer l’extension urbaine, tout en déterminant les grandes catégories d’occupation des sols au détriment desquelles elle s’était produite. Sur un plan méthodologique, les images ont été classées selon une approche orientéeobjet avec le logiciel eCognition. La méthodologie rapportée ici a été décrite dans [Aguejdad 2009]. Les images ont été segmentées en objets homogènes à deux niveaux hiérarchiquement emboîtés (Niveaux 1 plus grossier et niveau 2 plus fin). Ensuite les images segmentées ont été classées différemment à chaque niveau de segmentation : les objets de l’image segmentée au niveau 1 ont été affectés de façon supervisée par une classification « au plus proche voisin » (Nearest Neighbour) selon une nomenclature en deux classes (« Tache urbaine » et « Non tache urbaine »). Une fois évalués, les résultats de cette classification ont été et améliorés par des corrections effectuées par photointerprétation assistée par ordinateur à partir de données de référence. Une fois validés, les résultats de ce premier niveau de classification ont été utilisés comme donnée d’entrée pour définir les règles de classification des objets de l’image segmentée au niveau 2 selon une nomenclature en 8 classes (surfaces bâties ; surfaces boisées « en ville » ; espaces verts non boisés « en ville » ; surfaces en eau « en ville » ; cultures « hors ville » ; prairies « hors ville » ; surfaces boisées « hors ville » ; surfaces en eau « en ville »). Les objets du niveau 2 ont été classés à partir de paramètres dérivés des valeurs spectrales (les critères de texture, taille, forme et de relations de voisinage, non discriminants, n’ont pas été retenus). Les objets du niveau 2 ont été reclassés avec une classification supervisée basée sur la logique floue et utilisant des fonctions d’appartenance déterminées à partir d’une connaissance expert. Les résultats de la classification des objets de niveau 2 ont été évalués et améliorés par des corrections effectuées par photo-interprétation assistée par ordinateur à partir des données de référence. Les cinq classifications (une pour chaque date) ont été validées à l’aide des données de référence. Enfin, une postclassification a été effectuée sur les images classées à l’aide d’un SIG afin d’extraire les informations relatives aux changements intervenus d’une classe d’occupation du sol à une autre. L’évaluation des résultats des classifications finales a montré une très bonne précision, avec un indice de Kappa moyen de 97 %, variant, selon les classes, cet indice prenant en compte les sous-estimations et les surestimations.
Cette méthode a permis de mettre en évidence l’évolution de la tache urbaine sur l’ensemble d’une métropole, avec une précision d’un hectare environ, et cela sur deux décennies (Figure 9.4). Ainsi les résultats ont mis en évidence que l’artificialisation des terres a été très marquée au cours de ces vingt dernières années, la tache urbaine ayant progressé d’environ 67 % de 1984 à 2005, soit une moyenne de 190 ha par an, ou un peu plus d’un 1 ha tous les deux jours. Cependant, la croissance urbaine a été irrégulière, tant sur le plan temporel que spatial : très forte pendant la période 1990– 1995, elle a été suivie d’une accalmie jusqu’en 2000, puis d’une reprise à la hausse ; elle a été essentiellement concentrée sur le Sud de Rennes Métropole, le long des principaux axes routiers, et à une distance du centre ville comprise entre 3 et 15 km.
La commune de Rennes et le Noyau Urbain Rennais sont fortement artificialisées, en particulier la commune de Rennes dont les surfaces bâties représentent environ 70 % de la superficie communale totale, contre 47 % pour le Noyau Urbain Rennais.
Cela s’explique par les politiques d’urbanisation qui ont permis de contenir l’urbanisation à l’intérieur de la rocade par des opérations de réhabilitation urbaine et de densification de l’espace communal. Toutefois, Rennes Métropole, malgré l’urbanisation croissante de son territoire, reste un espace majoritairement à dominante agricole ou « naturelle » : en 2005, 82 % du territoire est encore non urbanisé contre 18 % d’espaces urbanisés, ce qui représente environ 1/6 ème de la superficie globale de Rennes Métropole [Aguejdad 2009].
Les enjeux d’un suivi détaillé des changements d’occupation des sols
Parmi les principaux enjeux environnementaux à l’échelle urbaine recensés dans [Kalil 2010] (cf. chapitre 1 section 1.1), Rennes Métropole est confrontée particulièrement à la gestion de la qualité de l’eau et à la gestion des milieux « naturels ».
En termes de qualité de l’air, Rennes Métropole est à l’image des agglomérations de l’Ouest de la France, qui ont en général un air de meilleure qualité que les autres agglomérations de la métropole. L’analyse de l’évolution de l’indice ATMO, qui est un indicateur représentatif de la pollution de l’air sur l’ensemble d’une agglomération et d’occupation des sols sur le site de Rennes Métropole repose sur les concentrations de quatre polluants (dioxyde d’azote, particules de type PM10, ozone, dioxyde de soufre) montre que la qualité de l’air sur l’agglomération rennaise varie de satisfaisante à très satisfaisante [Airbreizh 2009]. Toutefois, deux polluants connaissent des dépassements plus ou moins réguliers : Le dioxyde d’azote dont les concentrations peuvent être problématiques à proximité d’axes de circulation importants (les stations des Halles situées en plein centre de Rennes atteignent la valeur limite annuelle et dépassent le seuil d’information) ; des épisodes de pollution aux particules (PM10) peuvent apparaître en cas d’advection de masses d’air polluées depuis d’autres régions et/ou lorsque que les conditions météorologiques sont stables et défavorables à la dispersion des polluants. En outre, l’ozone peut connaître des niveaux très élevés sur l’ensemble de la région en période estivale, comme ce fut le cas en 2003, 2005 et 2006. Ainsi, si la préservation, voire la restauration de la qualité de l’air est une préoccupation constante, comme en témoigne le plan climat énergie territorial de 2008 dans lequel Rennes Métropole s’engage à réduire d’au moins 20 % les émissions de CO2 de son territoire d’ici à 2020, elle ne constitue pas le défi le plus difficile à relever pour Rennes Métropole.
Il en est de même au niveau de la gestion des déchets et de l’énergie. Les habitants de Rennes Métropole produisent en moyenne moins d’ordures ménagères que les agglomérations de même taille [Airbreizh 2009]. En outre, même si l’on note une stabilisation de la quantité totale de déchets collectés hors déchets verts en 2008 ainsi qu’une baisse de 5,4 % du tonnage collecté par habitant (470 kg/habitant contre 497 kg/hab en 2007), la collecte et le traitement des déchets atteint un niveau élevé à Rennes Métropole. En matière d’énergie, les habitants de Rennes Métropole émettent en moyenne 5 tonnes de CO2 par an, les émissions de CO2 par habitant étant plus importantes dans les communes périphériques qu’à Rennes. La réduction de cette consommation d’énergie est inscrite dans le plan climat énergie territorial mentionné plus haut. Ce plan prévoit notamment l’amélioration de l’isolation des habitations anciennes et la réduction de l’usage des véhicules individuels à travers le développement des transports collectifs et des modes de déplacements dits « doux ».
En revanche, la gestion de la qualité de l’eau apparaît comme un enjeu majeur pour Rennes Métropole. Toute l’agglomération reçoit une eau potable. Toutefois, au cours des années 2007 et 2008, environ 90 % de la population de Rennes Métropole a utilisé une eau contenant en moyenne plus de 25 mg/l de nitrates, qui est le taux recommandé par l’organisation mondiale de la santé (Figure 9.5). Une des conséquences directes est l’augmentation du prix de l’assainissement sur Rennes Métropole pour soutenir l’effort de modernisation du parc. Assurer la production régulière d’une eau de qualité (tant au niveau des nitrates que des pesticides) reste un défi à relever pour Rennes Métropole. À ce niveau, les facteurs de contrôle sont de deux ordres : le suivi des pratiques agricoles (Rennes étant une ville qui n’a pas de tradition industrielle ancienne, l’origine des pollutions est essentiellement agricole), et le suivi de l’artificialisation des terres qui accélère le ruissellement de surface et le transfert des eaux contaminées vers les cours d’eau.