Principales caractéristiques des conventions comptables

Une situation à choix multiples

Devant un événement particulier, le comptable se trouve-t-il en situation d’incertitude ?
On serait tenté de répondre par la négative, tant les automatismes qui l’animent sont nombreux et prégnants. Considérons la question d’un peu plus près et nous constatons que notre comptable, serait très rapidement embarrassé par la multiplicité des choix, s’il n’avait recours à un cadre normalisé. En véhiculant les messages d’un ensemble de conventions, ce cadre soustrait l’individu à l’incertitude en lui indiquant une solution attendue.
Une première approche nous permet de recenser quatre sources principales d’incertitude comptable :

Deuxième source d’incertitude : le langage

Une seconde série de questions relatives à la façon traduire et communiquer les flux repérés dans le champ d’observation, pourrait, de la même façon, plonger le praticien dans l’incertitude.
– Comment exprimer les faits observés ? Comment mesurer les flux qui naissent de l’activité de l’entreprise ? Autrement dit, quel critère de mesure utiliser ?
– Une fois fixé le principe de quantification monétaire, une autre question pourrait tarauder le comptable : la monnaie n’étant pas un valorimètre universel, comment donner une expression monétaire à certains événements qui relèvent notamment du non marchand ou du qualitatif ?
– Le comptable doit-il pour autant les ignorer ?
– L’unité monétaire n’est pas un étalon constant, dès lors, comment agréger des sommes exprimées à des époques différentes ? Doit-on procéder à des réévaluations régulières ou bien négliger ce facteur ?
– L’unité monétaire n’étant pas commune à tous les pays, comment, en conséquence, résoudre les problèmes de conversion lorsqu’une entreprise a des activités internationales ?

Troisième source d’incertitude : la procédure

Après avoir repéré le champ d’observation et le symbolisme utilisé, un certain nombre de questions se posent quant à la procédure à suivre :
– la tenue d’une comptabilité est-elle obligatoire ?
– Comment effectuer la saisie des informations sélectionnées ? Le mécanisme de la partie double ne s’impose pas de lui-même et n’a pas toujours prévalu ; bien au contraire, sa genèse fut lente et d’autres systèmes le précédèrent292. D’ailleurs, certains auteurs ont proposé des alternatives comme les comptabilités en parties triples ou multiples. L’usage de la partie double résulte donc bien d’un choix délibéré.
– Quelle organisation comptable est-elle la plus efficace ? Quels sont les documents obligatoires ? Doit-on utiliser un journal unique ou bien plusieurs journaux auxiliaires ?
Cette liste est loin d’être exhaustive, et bien d’autres sources d’incertitude seraient à même de plonger le comptable dans l’embarras et de bloquer son comportement. Dans ces conditions, comment le comptable surmonte-t-il cette situation ? Peut-on lui prêter une autonomie de décision qui soit telle qu’il choisisse de façon isolée les règles comptables idoines ?
Est-il souverain au point de pouvoir émettre un jugement à chaque fois qu’une difficulté de cet ordre survient ? Et même en postulant une rationalité parfaite, peut-on imaginer un seul instant que ses normes de références correspondront à celles des autres comptables ? Seront-elles acceptées par les utilisateurs de l’information comptable ?
Rien n’est moins sûr. Dans ce cas, la comptabilité pourrait-elle apporter une confiance aux acteurs économiques : comment permettrait-elle de vérifier le respect des dispositions contractuelles régissant l’entreprise, et comment celle-ci comparerait-elle ses comptes avec ceux des autres entreprises ?
Plutôt que de procéder à un calcul judicieux après un longue réflexion sur les conséquences de telle ou telle écriture, plus ou moins consciemment, le comptable se réfère à un ensemble de pratiques communément admises dans sa profession, les conventions comptables ; les messages qu’elles délivrent sont par ailleurs confortés dans la plupart des cas, par une réglementation et un plan comptable précis.
Il importe, à notre sens, d’insister sur un point ; la plupart des comptables, quelques soit leur statut professionnel, n’ont pas réellement conscience des zones d’incertitude qui viennent d’être évoquées ; ils n’ont pas non plus conscience d’évoluer dans un espace convenu, c’est-à-dire résultant de choix à un moment donné. Les solutions s’imposent comme si elles étaient uniques. Pour ces raisons, tout au long du sondage293, nous avons ressenti, que nos questions dérangeaient, parfois même, irritaient. Ainsi, après avoir interrogé plusieurs dizaines de personnes, nous avons dû supprimer certaines questions. Parmi celles-ci, il en est une qui ne manquait pas de mettre le comptable dans l’embarras :« La rémunération des fonds apportés par le banquier est considérée comme une charge, celle des fonds apportés par l’actionnaire est considérée comme un prélèvement sur les bénéfices ; cela vous paraît-il logique ? ». Beaucoup n’ont pas compris l’intérêt de la question ; nous leur avons alors demandé de qui entre l’entreprise elle-même ou l’actionnaire, ils tenaient la comptabilité, en ajoutant qu’à l’égard de la première, en tant qu’entité, il pouvait être jugé que la nature de l’apporteur de fonds importait peu quant à la détermination de son résultat. Certains ont reconnu qu’il y avait là matière à réfléchir, mais la plupart ont préféré passer à la question suivante.

L’axiomatique conventionnaliste

A ce stade de la démonstration et fort de l’analyse qui vient d’être faite, nous pouvons vérifier l’hypothèse principale selon laquelle l’acte comptable est bien une convention. Nous décidons alors de recourir à l’approche de Lewis (largement reconnue par l’école conventionnaliste), en testant le respect des cinq propositions de son axiomatique que nous prendrons comme autant d’hypothèses de travail.

Chacun se conforme à la convention comptable

La convention comptable, par son message a permis au praticien de repérer le comportement adopté par l’ensemble de la collectivité. L’appartenance au corps social des professionnels et la reconnaissance de la compétence supposent que chacun adopte la convention.
Il faut bien comprendre que l’adoption des conventions comptables élève le praticien et plus généralement l’utilisateur au statut de membre : en maîtrisant progressivement le langage institutionnel qu’est la comptabilité, il s’affilie à un groupe, intègre une institution. Une fois assimilé, le membre n’a pas besoin de s’interroger sur ce qu’il fait, les règles explicites et implicites qu’il a progressivement enregistrées guident sa conduite. A l’inverse, la dissidence conventionnelle aurait pour effet d’exclure l’individu, remettant ainsi en cause sa fonction professionnelle.
Notre enquête a d’ailleurs révélé une absence de déviances par rapport à la régularité des pratiques. Ainsi, les praticiens interrogés ont massivement jugé à 98%302 que leur pratique était conforme aux usages de la profession. Certes, rien ne prouve leur bonne foi, mais d’un autre côté, ce résultat n’a rien d’étonnant pour celui qui a pratiqué la comptabilité en cabinet ou en entreprise : les professionnels se conforment aux usages par intérêt et surtout par réflexe.
Attention, cela ne signifie pas que les comportements observés sont totalement conformes aux prescriptions réglementaires, nous ne parlons pas de droit mais de pratiques observées, ce qui est très différent. La question d’ailleurs, ne faisait absolument pas référence au droit comptable mais aux usages. Ainsi, l’exemple de l’amortissement dérogatoire illustre assez bien l’écart entre la norme en tant que prescription réglementaire et la norme au sens de régularité statistique. Dans la quasitotalité des cas (90% des personnes interrogées, question n° 26), l’enregistrement d’un amortissement dégressif reconnu ne pas correspondre à l’amortissement économiquement justifié, ne donne lieu à aucun calcul d’amortissement dérogatoire.
Les praticiens sont dans bien des cas, tout à fait conscients du manquement à la règle prescrite par la loi comptable ; en revanche, ils sont tout aussi conscients que leur comportement est conforme à ce que pratiquent leurs pairs. Dès lors, cette connaissance commune et spéculaire peut constituer une justification et une protection autrement plus efficace que le simple respect des règles légales.
Il faut toutefois noter que leur perception de la pratique d’autrui est en réalité limitée à la « zone relationnelle » à laquelle ils appartiennent, du fait des contacts qu’ils entretiennent avec leurs collègues ou confrères. Tout au plus les experts comptables ou assistants connaissent-ils les pratiques de leurs homologues sur un territoire qui, généralement, n’excède pas leur département ; ainsi ignorent-ils.

Chacun anticipe que tous se conforment à la convention comptable

Le comptable anticipe que toute la population adopte la convention ; ainsi, comme nous l’avions précisé dans la proposition précédente, chaque comptable justifie ses actes et se met à l’abri en précisant qu’ils sont conformes à ce que font ses confrères. Il limite de cette façon, sa responsabilité en cas de litige, mais dans le même temps renforce la convention en montrant aux autres qu’il l’adopte. Ainsi, à la question n°2 : « Quel est votre sentiment à l’égard de vos confrères (en cabinet ou en entreprise) : pensez-vous qu’eux aussi se conforment aux usages de la profession ? », les praticiens interrogés ont répondu par l’affirmative dans 87 % des cas et seuls 2 % ont apporté une réponse opposée.
Nous retrouvons là, la conscience que chacun a de la conformité de son comportement à ceux adoptés par ses pairs, du moins sur un territoire donné. Ainsi pour reprendre l’exemple des enregistrements illégaux observés dans le secteur du canapé, chacun des sept comptables interrogés, appartenant à des entreprises distinctes, anticipe que les autres comptables du secteur en question procèdent aux mêmes enregistrements : « Certes, l’enregistrement de la reprise du canapé usagé, est peut-être une technique différente de ce qui se pratique dans les autres secteurs, mais dans le canapé, et plus généralement, dans l’ameublement, on a toujours procédé de la sorte, et tout le monde fait comme ça ». Trois personnes ont même certifié qu’elles ignoraient l’existence d’un enregistrement « plus légal », pensant que celui auquel elles souscrivaient depuis plusieurs années était le seul possible.

Chacun préfère une conformité générale à la convention comptable

Toute déviance serait considérée comme une entrave à l’unanimité et remettrait en cause la pertinence de l’enregistrement comptable. Celui-ci n’est pas juste en soi, et peu importe qu’il le soit, le principal étant que tous s’y conforment ; au sein du raisonnement conventionnaliste, c’est justement l’adhésion généralisée à une solution donnée qui lui donne un sens et une justification.
Afin de valider l’hypothèse, nous avons inclus dans le sondage la question suivante (n°4) : « Préférez-vous que tous s’y conforment (aux usages comptables) dans le cadre d’une pratique homogène ou bien êtes-vous indifférent à une multiplication des déviances qui aboutirait à une pratique hétérogène ? (base : 192 personnes) ».
Les résultats ont alors montré que chaque personne interrogée n’est pas indifférente à ce qui se pratique chez les confrères puisque près de 90% des praticiens s’accordent à considérer qu’une pratique homogène de la comptabilité est préférable à une multiplication des déviances, et seuls 5% sont indifférents aux pratiques exercées par leurs confrères.
Il est ainsi apparu qu’une pratique divergente pouvait mettre le professionnel dans l’embarras ; il nous a semblé, mais les réponses obtenues n’ont pas permis de confirmer clairement cette impression, que l’embarras résulte moins de l’atteinte au principe de comparabilité des comptabilités, que de la remise en cause de la règle supposée acquise. En d’autres termes, une pratique divergente est réellement gênante en ce qu’elle contredit indirectement la régularité et la généralisation de la pratique adoptée, et partant, l’anticipation de ce que les autres font.
Hypothèse 4 – Il existe au moins une alternative à la convention comptable
La convention n’est pas unique, une autre convention peut lui être opposée. La règle comptable retenue par la profession est une solution parmi d’autres. Le principe de la partie double, par exemple, n’est pas incontournable, diverses études l’ont montré, et il est très possible qu’on assiste un jour à sa remise en cause et son remplacement par un autre mécanisme plus performant.
De même, le principe des coûts historiques est encore une méthode convenue et d’autres méthodes toutes aussi valables pourraient s’y substituer : son prix d’acquisition actuel, prix de revente, valeur actuelle des revenus, etc. Remarque identique à l’égard du principe de patrimonialité du bilan : d’autres critères que la propriété juridique pourraient être retenus pour décider de l’inclusion ou de l’exclusion d’un élément dans les comptes de l’entreprise. Aucun de ces principes n’est valable dans l’absolu, ils ne répondent pas aux mêmes exigences. Nous pourrions continuer et montrer que toute solution choisie admet au moins une alternative ; par conséquent, toute convention peut être remise en cause par celle-ci. Le sondage est ici inopérant dans la mesure où le repérage de l’alternative relève plus d’une analyse conceptuelle de la convention comptable que d’une interrogation du convenant, souvent peut conscient de sa condition.

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