Facteurs prédictifs de FA sous ibrutinib

Les Caractéristiques de base

Pendant la période d’étude, 54 patients étaient éligibles, 1 patient a été exclu de l’analyse en raison de l’absence de suivi après la première consultation de cardiooncologie.
Les caractéristiques cliniques et paracliniques initiales des patients sont présentées dans le Tableau 1.
La durée médiane de suivi était de 12 mois (5 – 25), celle de prise d’ibrutinib égale à 13 mois (4 – 22).
La population était principalement masculine (74%) avec un âge médian de 70 ans (66 – 76). Six patients (10%) présentaient un antécédent de FA antérieurement à l’introduction du traitement (1 FA persistante de longue durée, 1 premier épisode de FA détecté, 4 évoluant sur le mode paroxystique).
Deux d’entre eux recevaient une anticoagulation curative (tinzaparine sodique sous cutanée, rivaroxaban), 1 patient recevait du clopidogrel, les 3 restants n’avaient pas de traitement anti-thrombotique malgré un score CHA2DS2-VASC ≥ 1 pour les hommes, 2 pour les femmes.

Incidence et caractéristiques de la FA sous ibrutinib

Au cours du suivi, 14 patients (26%) ont présenté un épisode de FA après la prise d’ibrutinib. Seulement 3 avaient un antécédent d’arythmie.
Les épisodes sont survenus après une médiane de 5.5 mois (1.5 – 12). 57% des épisodes ont été diagnostiqués au cours des 6 premiers mois.
L’incidence cumulée était de 21% (IC95%, 7 – 31) à 6 mois, 23% (IC95%, 9 – 35) à 12 mois et 38% (IC95%, 19 – 53) à 24 mois.
L’incidence de FA sous ibrutinib était significativement plus importante que celle attendue dans la population générale (SMR = 15 [IC95%, 7.4 – 26.7], p<0.01) (Figure 1).
Dans le sous groupe de patients recevant de l’ibrutinib pour une LLC (n=38), le taux de FA était significativement plus important que dans une cohorte de référence où des patients porteurs d’une LLC recevaient une autre molécule anticancéreuse (prévalence de 21% vs 7%, p < 0.01). La majorité des patients qui ont présenté un épisode de FA était asymptomatique lors du diagnostic (64%). Pour 11 patients (79%), le diagnostic était posé par la réalisation d’un ECG de surface contre 2 (14%) et 1 (7%) pour le Holter ECG 24h et l’enregistrement d’évènements longue durée.
Parmi les 53 patients inclus dans l’étude, 4 d’entre eux avaient bénéficié d’un Holter ECG de 24h. Deux d’entre eux étaient positifs (un patient se plaignant de palpitations, un patient asymptomatique), un d’entre eux était négatif alors qu’un diagnostic de FA était par la suite posé par ECG.
Dix sept enregistrements d’évènements longue durée (7 jours) étaient réalisés, tous chez des patients asymptomatiques. Un d’entre eux était positif et 2 étaient négatifs alors que le diagnostic de FA était ensuite posé par ECG de surface. Tous les patients qui présentaient des palpitations (3 parmi les 53) avaient une FA diagnostiquée au cours du suivi.
Seuls 4 cas de FA étaient considérés comme majeurs (3 de grade 3 et 1 de grade 4 CTCAE) et correspondaient à : deux épisodes d’insuffisance cardiaque, un épisode de FA satellite d’un épanchement péricardique non compressif symptomatique drainé et un épisode de palpitations avec consultation au service d’accueil des urgences.
Aucun décès imputable à une FA n’était décrit.

Prise en charge de la FA sous ibrutinib

Contrôle du rythme ou de la fréquence

Parmi les 14 patients ayant développé un accès de FA sous ibrutinib, une stratégie de contrôle de la fréquence était choisie chez 10 patients (81%) et une stratégie de contrôle du rythme chez 4 patients (29%). Une tendance à la pérennisation de la FA était observée sous ibrutinib avec des taux de 1er épisode de FA et de FA persistante passant respectivement de 62% à 23% et de 15% à 38% entre les caractérisations initiale et finale des accès de FA par les cardiologues experts.
Le Tableau 2 fournit un récapitulatif de la prise en charge des patients avec FA sous ibrutinib.

Traitement anti-thrombotique et saignements

Parmi les patients présentant une FA sous ibrutinib, tous possédaient une indication d’anticoagulation curative. Le score de CHA2DS2-VASC médian était égal à 2 (1 – 3).
Pour 12 patients (86%) une anticoagulation curative était introduite au long cours, par anti-vitamine K (64%), anticoagulant oral direct (21%), et héparine de bas poids moléculaire (14%). L’antiagregation plaquettaire n’était utilisée chez aucun des patients. Aucun traitement anti-thrombotique n’était prescrit chez 2 patients en raison d’un volumineux épanchement péricardique et de thrombopénies importantes itératives.
Aucun évènement hémorragique majeur n’était observé durant l’ensemble du suivi.
Quinze patients (28%) ont présenté des saignements mineurs. Ils survenaient précocement après l’ibrutinib : 73% au cours des six premiers mois, 100% lors de la première année de traitement. Le délai médian de survenue était de 1.5 mois (1.5 – 9.1). L’incidence cumulée de saignements était de 23% (IC95%, 10 – 33) à 6 mois, de 34% (IC95%, 18 – 47) à 12 et 24 mois.
Le seul facteur prédictif de saignement retrouvé était la prise d’un traitement antithrombotique toutes modalités confondues (antiagregation plaquettaire et/ ou antiocagulation curative) : HR = 6.1 (IC95%, 2.3 – 17.5) (Figure 4).
Ni la présence d’une thrombopénie à la première consultation (HR = 1.42, p = 0,52), ni le score HAS-BLED (HR = 1.67, p=0.090) n’étaient prédictifs d’évènements hémorragiques.

Gestion de l’ibrutinib

L’ibrutinib était interrompu en raison de l’accès de FA chez 4 patients (29%) pour une durée médiane de 8 jours (5 – 16). Une diminution de dose d’ibrutinib était décidée chez 2 patients (14%).
Aucune suspension définitive en lien avec l’arythmie n’était observée au cours du suivi (Figure 5).

Autres évènements cardiovasculaires

Aucun évènement embolique (AVC, embole artériel périphérique) n’était observé. Dix patients (19%) ont présenté une HTA imputable à l’ibrutinib. Dans un cas sur deux le patient présentait une HTA préalablement au traitement. Tous les évènements étaient mineurs.
Quatre épisodes (8%) d’épanchements péricardiques, dont trois imputables au traitement, étaient observés. Trois d’entre eux ont été traités médicalement, le dernier a nécessité un drainage chirurgical non urgent. Un épisode de dysfonction ventriculaire gauche symptomatique (grade 2 CTCAE, NYHA II, FEVG 38% vs 59%) imputable à l’ibrutinib était décrit 21 mois après son introduction. Une récupération myocardique complète était observée 2 mois après arrêt du traitement.
Aucune mort subite ou épisode de trouble du rythme ventriculaire n’étaient décrits.

Pronostic

Deux décès en lien avec une progression hématologique étaient observés. Onze patients (21%) ont présenté une progression hématologique avec un délai médian de survenue de 21 mois (10 – 33).
La survie sans progression était de 92% (IC95%, 84 – 100) à 18 mois et la FA sous ibrutinib n’était pas un facteur de risque de progression. (Figure 6)

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