C’EST DE LA TRICHE!
✓ JetBlue Airways triche. En utilisant des aéroports peu fréquentés et un personnel jeune et non syndiqué, cette compagnie low cost fait une concurrence déloyale aux autres transporteurs aériens.
✓ Starbucks triche. En multipliant ses « salons de café » aux États-Unis, chaque fois qu’un Américain pense café, il pense Starbucks.
✓ Amazon.com triche. Sa livraison gratuite et son choix immense lui donnent un avantage certain sur le magasin du quartier.
✓ Google triche. Elle a appris des erreurs commises par les portails de la première génération et fait table rase de leurs errements.
✓ Ducati triche. Comme il ne cherche pas à occuper tout le marché, ce constructeur peut se spécialiser dans des motos étonnantes et très rentables qui se vendent en quelques mois.
Aucune de ces sociétés ne doit son succès aux bonnes vieilles techniques fondées sur la publicité. Pour leurs concurrents restés loin derrière (et inquiets), elles semblent tricher parce qu’elles ne jouent pas selon les règles.
ET ALORS?
Vous ne pouvez pas forcer les gens à vous écouter. Mais vous pouvez identifier ceux qui écoutent quand vous parlez puis trouver la bonne combinaison de « P » pour les subjuguer par la pertinence de votre produit.
Lorsque les gens écoutent, il est inutile d’offrir un produit « un petit peu moins cher », « un petit peu meilleur » ou « un petit peu plus simple ». Les contaminateurs, ceux qui sont à la recherche d’une solution à leur problème, sont prêts à écouter votre boniment pour autant qu’il soit vraiment remarquable; autrement, ils ne vous verront même pas.
La réponse à la question « Qui écoute? » dépend non seulement de la pertinence des produits mais aussi de l’état des marchés sur lesquels on veut les implanter.
Prenons la musique classique. Ce secteur est officiellement moribond. Les grandes maisons de disques sont en difficulté. Les orchestres voient se tarir les budgets d’enregistrement. On n’écrit ni n’enregistre en ce moment pour ainsi dire aucune nouvelle œuvre non commerciale importante.
Pourquoi? Parce que personne n’écoute.
Les contaminateurs possèdent déjà tous les enregistrements qu’ils veulent. Toutes les œuvres anciennes qui méritaient d’être enregistrées l’ont été et de façon magistrale. Alors ils ont cessé de chercher.
Comme les contaminateurs ont cessé de chercher, tous les gens qui se situent plus à droite sur la courbe d’adoption, ceux qui attendent le conseil des premiers adeptes ou écoutent les stations de radio, achètent des versions bon marché des grands classiques. Les maisons de disques et les orchestres n’en tirent rien. Comme les auditeurs ont cessé de chercher, les compositeurs se tournent vers la musique de film ou bien l’entretien des pelouses pour subsister. Il y a blocage de l’attention et aucun intervenant du secteur de la musique n’a les moyens de changer cette dynamique. Les spécialistes du marketing ne peuvent pas acheter assez d’espace publicitaire ni atteindre un nombre suffisant de contaminateurs pour faire savoir que la nouvelle musique est intéressante. Alors l’ensemble du marché est paralysé.
En fait, la leçon à tirer n’est pas que le secteur de la musique doive trouver une meilleure forme de publicité car il se pourrait bien qu’une meilleure forme de publicité n’existe pas. Le label Naxos (qui vend ses CD 8 dollars) connaît un grand succès. Pourquoi? Parce qu’il a orchestré son marketing autour de l’idée que les contaminateurs veulent de bonnes versions pas chères des grands classiques. Naxos a visé juste. Le marché a cessé d’écouter mais Naxos a gagné.
Dans ce domaine de la musique classique, Sony ne peut pas concurrencer Naxos car ni son orientation produit ni sa stratégie promotionnelle ne sont organisées de manière à gagner la partie. Alors Sony agonise sur ce marché.
Sur un marché où personne n’écoute, la tactique la plus intelligente est habituellement de se retirer. L’autre tactique consiste à se mettre à la recherche d’une Vache Pourpre: lancer un produit, un service ou une promotion qui amène les (bonnes) personnes à écouter.
LA LOI DES GRANDS NOMBRES
La magie des médias de masse et du Web repose sur les grands nombres: 20 millions de personnes regardent The Sopranos ; 100 millions de téléspectateurs, le Super Bowl ; un milliard, la soirée des Oscars ; trois millions de gens se servent de KaZaA en même temps, à tout moment; 120 millions d’internautes sont des utilisateurs de Yahoo! Les chiffres sont incontournables.
Et si un téléspectateur de la soirée des Oscars sur mille essayait votre produit? Si un membre de chaque famille en Chine vous envoyait cinq centimes?
Le problème avec les grands nombres, c’est qu’ils comportent presque toujours une série de décimales. Si vous touchez 100 millions de gens mais que seulement 0,000001 % de l’auditoire achète votre produit, vous n’en aurez vendu qu’un exemplaire.
Il y plusieurs années, lorsque j’ai prédit la fin des bannières publicitaires, on s’est moqué de moi. À l’époque, les bannières publicitaires se vendaient 100 dollars le mille.
Les publicitaires qui s’intéressaient aux chiffres (la minorité) ont vite compris que chaque fois qu’ils achetaient mille bannières, ils n’obtenaient rien. Les bannières rapportaient moins de 0,000001 %. La loi des grands nombres à l’œuvre !
Aujourd’hui, vous pouvez acheter des bannières publicitaires pour moins de un dollar le mille. Une baisse de 99 %. J’ai conclu un marché avec un site sur lequel j’ai acheté 300 millions de bannières publicitaires pour 600 $. Le plus drôle, c’est que j’ai perdu de l’argent ! Ces 300 millions de bannières (c’est plus d’une bannière par personne aux États-Unis) ont fait vendre pour moins de 500 $ de marchandise.
Comme les consommateurs ignorent de plus en plus les médias de masse, ces derniers ne vendent plus. Il y aura toujours des trucs qui marchent (des pages animées en ligne ou des produits jumelés à des émissions de téléréalité, par exemple), mais la majorité des annonces publicitaires ordinaires sont victimes de cette loi immuable.
SoundScan est une société ingénieuse qui exploite un produit fascinant. Travaillant en collaboration avec les détaillants et les maisons de disques, SoundScan se spécialise dans l’évaluation des ventes d’albums. Elle sait exactement combien de disques ont été vendus chaque semaine pour chaque artiste sur tout le territoire des États-Unis.
Il est étonnant de voir à quel point les ventes de nombreux albums sont désastreuses. En 2002, le New York Times rapportait que seulement 112 albums sur les plus de 6 000 distribués par les principales maisons ont été vendus à plus de 500 000 exemplaires. De très nombreux titres ne vendent aucun exemplaire pendant des semaines. Que faut-il faire pour identifier un client potentiel inconnu, entrer en contact avec lui, lui faire connaître votre produit et l’amener à aller en magasin acheter ce que vous vendez? C’est trop difficile.
Sur la plupart des marchés, la « marque la plus vendue » jouit d’un énorme avantage sur les autres. Qu’il s’agisse de traitement de texte, de magazines de mode, de sites Web ou de salons de coiffure, les marques gagnantes profitent d’une foule d’avantages. Souvent, une marque moins connue n’a aucune chance. Les consommateurs sont nombreux mais ils sont très occupés et, pour eux, il est bien plus facile de choisir la marque la plus populaire. (Évidemment, cela dure tant que la marque la plus vendue reste intéressante. Sinon, qu’il s’agisse de voitures, de bière ou de magazines, un nouveau leader prendra sa place.)
CHIP CONLEY
Mon ami et collègue Chip Conley exploite plus d’une douzaine d’hôtels à San Francisco. Son premier hôtel, le Phoenix, est situé dans l’un des pires quartiers du centre-ville.
Chip a acheté l’hôtel pour une bouchée de pain. Il savait que l’établissement ne plairait pas à tout le monde. En réalité, quoi qu’il entreprenne, presque personne ne choisirait d’y séjourner.
Pas de problème. Parce que « presque personne » peut s’avérer suffisant si un hôtel n’a que quelques chambres. Chip a rénové l’établissement. Il a choisi des couleurs à la mode, a mis des magazines branchés dans les chambres. Il a fait décorer l’intérieur de la piscine par un artiste-peintre d’avant-garde et a invité des stars du rock à séjourner chez lui.
En quelques mois, son plan a porté ses fruits. En ignorant intentionnellement le marché de masse, Chip a créé quelque chose de remarquable : un motel rock-and-roll au centre de San Francisco. Les gens qui le cherchaient l’ont trouvé.
Faites la liste des concurrents qui n’essaient pas de vendre un peu de tout à tout le monde. Sont-ils meilleurs que vous? Si vous deviez choisir un segment de marché sous-exploité à cibler (et à dominer), quel serait-il? Pourquoi ne pas lancer un produit qui concurrencerait votre propre produit, un produit qui ne ferait rien d’autre que d’attirer ce segment de marché?
LE PROBLÈME AVEC LA VACHE
… c’est la peur.
Si lancer une Vache Pourpre est un moyen aussi efficace de s’emparer d’un segment de marché, pourquoi tout le monde ne le fait-il pas? Pourquoi est-ce si difficile?
Certains voudraient vous faire croire qu’il y a trop peu de bonnes idées ou que leur produit ou leur secteur ou leur société ne peut pas se permettre de financer une bonne idée. Pure foutaise.
La Vache Pourpre est rare parce que les gens en ont peur.
Si vous êtes remarquable, il est probbale que certaines personnes ne vous aimeront pas. Cela fait partie du jeu. Impossible de plaire à tous. L’idéal auquel aspire le timide, c’est de passer inaperçu. La critique vise ceux qui se démarquent.
Où avez-vous appris comment échouer? À l’école. C’est là que vous avez commencé à comprendre que le mieux à faire était de respecter les règles, qu’il était plus sage de colorier à l’intérieur des lignes, de ne pas poser trop de questions en classe et de faire en sorte que vos devoirs reprennent essentiellement le contenu du cours.
Nous dirigeons nos écoles comme des usines. Nous mettons les enfants en rang, les rassemblons en lots (qu’on appelle des classes) et faisons de notre mieux pour éviter les pièces défectueuses. Personne ne se démarque, ne reste derrière, ne prend les devants, ne fait de grabuge.