Les conséquences de l’exploitation clandestine du bois d’œuvre

Les conséquences économiques

Les conséquences économiques engendrées par l’exploitation frauduleuse du bois sont énormes. Les exploitants clandestins ne payent pas de quittance d’exploitation, ni taxe, ni permis de coupe et cela constitue un manque à gagner pour l’Etat du Sénégal. Estimer ce manque est difficile, mais néanmoins des approximations peuvent être effectuées en exploitant les données du Rapport Annuel de 2001 du Service Régional des Eaux et Forêts de Kolda qui est accessible. Cette exploitation ne concerne que l’espèce Vène en se basant sur la taxe qui lui est fixée, ensuite faire des estimations en prenant sa taxe que l’on multiplie par son nombre d’individus observée dans les différents dépôts visités. Le résultat n’est pas absolu puisque c’est une approximation mais il permet d’avoir une idée du caractère économique qu’offre l’exploitation frauduleuse aux commerçants qui pouvait être sur les comptes du Sénégal. Ce calcul permet aussi de faire une comparaison de ce qui entre dans les caisses de l’Etat qui est considéré légal et de ce qui sort la frontière qui est frauduleux.

Les conséquences sociales

La Commune de Badion a une population rurale qui dépend fortement de ces ressources forestières pour assurer ses besoins alimentaires, constructions, pharmaceutiques etc. Même s’il y a des exploitants qui habitent dans la Commune, c’est une activité dont les revenus même si elles existent ne sont pas perceptibles dans la zone. Ce sont des espèces comme le Vène, kapokier avec des diamètres supérieurs à 30cm qui sont exploités. Pterocarpus erinaceus est très utilisé par les populations surtout pour les éleveurs qui l’exploitent pendant la saison sèche pour assurer la base alimentaire de leurs troupeaux. Il a aussi des vertus thérapeutiques, ces écorces soignent l’anémie. Une personne âgée d’un village a confié que si les exploitants savaient l’importance du Vène, ils ne l’exploiteront pas à des buts commerciaux car sa sève est comme le sang humain. Si l’espèce continue à se raréfier, observée surtout dans les placettes effectuées, les éleveurs auront des problèmes pour faire face à cette période non pluvieuse qui dure environ huit (8) mois.
L’exploitation clandestine peut engendrer des conflits entre les populations plus soucieuses de la protection de la forêt et des exploitants qui ne voient que les revenus apportés.
La coupe des grands arbres facilite la présence des érosions hydriques provoquées par les eaux de ruissellement et éoliennes par les rafales de vents. L’érosion est un facteur d’appauvrissement des sols. Si le sol devient pauvre, il aura un impact négatif sur le rendement de la production agricole qui est le premier type d’activité vivrière et commerciale des habitants de la zone, d’où une augmentation du taux de chômage, de l’exode rural surtout de la main d’œuvre apte, le gonflement de la ville avec l’installation des bidonvilles qui accentueront l’insécurité.

Les conséquences environnementales

L’exploitation clandestine a des effets néfastes sur l’environnement. Parmi ces effets, il y a la déforestation, la transformation de forêt dense en forêt claire, savane dense en savane claire, etc.
La forêt a la capacité de filtrer les eaux des nappes phréatiques polluées surtout par l’utilisation des engrais chimiques qu’utilisent les agriculteurs pour améliorer leurs rendements. Elle a aussi la capacité d’attirer la pluie, quand les vents croisent une forêt, ils ont tendance à monter pour contourner l’obstacle et cette ascendance refroidit l’air qui est favorable aux chutes de pluies. La forêt fournit également l’oxygène que l’on respire, a la capacité de séquestrer du CO2 d’où une réduction des gaz à effets de serre dans l’atmosphèremais aussi elle sert d’habitat naturel à des milliers d’espèces fauniques etc.
Dans la zone étude, les impacts environnementaux qui ont été signalés sont la raréfaction des animaux sauvages comme les gorilles, les chimpanzés, les gazelles, voire même la disparition des grands animaux comme les lions, les éléphants, les panthères qui étaient observables dans la zone confirmées par les populations âgées. La diminution des pluies et la pauvreté des sols sont constatées par toutes les personnes enquêtées. Les exploitants font une sélection des espèces, celles qui ont une forte valeur économique sont prisées en priorité. Cette sélection des espèces perturbe l’équilibre forestier et le maintien de la biodiversité qui devrait être une priorité des Etats surtout signataires des conventions portant sur la protection de l’environnement.

Conclusion partielle

L’exploitation clandestine du bois d’œuvre engendre d’énormes pertes à l’Etat. Sur le plan économique, elles peuvent être estimées à environ de 245 millions de FCFA qui constituent un manque à gagner pour le pays. Cette somme pouvait assurer le développement de la
Commune voire même la région, faisant partie des régions les plus pauvres du Sénégal. Sur le plan social, elle accentue la pauvreté des populations riveraines qui dépendent fortement de la forêt pour des raisons diverses et peuvent favoriser les conflits entre exploitants et défenseurs de la nature, la migration des jeunes vers les centres urbains.
Sur le plan environnemental, l’équilibre de la biodiversité est menacé avec la tendance à la disparition des grands animaux et des gros individus destinés aux bois d’œuvre. La pauvreté des sols est notée dans certains villages, due à l’érosion, ce qui diminue le rendement de la production agricole.

CONCLUSION GENERALE

Cette étude portant sur le thème de l’exploitation forestière transfrontalière du bois d’œuvre à Kolda est arrivée à son terme. Pour bien délimiter le domaine d’intervention, des objectifs et des hypothèses ont été fixés, basés sur une méthodologie de recherche qui a consisté à faire des inventaires sur une zone proche de la frontière sénégalo-gambienne et une zone un peu plus éloignée. Cette démarche permet d’apprécier l’état de la forêt de la Commune dans ces différentes zones, de vérifier si effectivement elle subit une exploitation frauduleuse. Pour y arriver, il a fallu répertorier les espèces vivantes et les différentes souches trouvées dans les aires d’inventaire, les classer par espèce avec des individus inférieurs ou égaux à 30cm et ceux supérieurs à 30cm de diamètre. Puisque l’étude concerne le bois d’œuvre, l’inventaire a ciblé seulement les espèces qui y étaient destinées : Pterocarpus erinaceus, Bombax costatum, Cordyla pinnata, Daniella oliveri, Khaya senegalensis, Ceïba pentandra, Afzelia africana.
La classification a montré que la forêt a une faible régénération concernant ces espèces et que toutes les souches répertoriées sont supérieures à 30cm de diamètre, Cela signifie que les exploitants ciblent les gros individus.
Le traitement des données d’inventaire a permis de confirmer que, effectivement la forêt de la Commune subit une exploitation frauduleuse, le Vène et le kapokier sont les principales cibles, au regard de la forte présence de leurs souches dans les placettes. Les placettes effectuées dans les différentes zones, ont permis de repérer la plus exposée, proche de la frontalière gambienne.
Les exploitants clandestins ont commencé leurs activités dans les villages les plus proches de la Gambie pour évacuer leurs produits facilement ; la ressource se faisant de plus en plus rare dans ces villages, les poussent à progresser de plus en plus vers le Sud, d’où une progression
Nord-Sud pour la Commune. La logique est que si les produits sont effectivement transportés dans les marchés gambiens que sont Banjul et Serrekunda, les exploitants vont couper en premier lieu les ressources qui sont plus proches de ces marchés avant d’attaquer celles qui sont très éloignées pour éviter le risque d’être attrapés par les gardes forestiers du Sénégal.
Donc, il y a une double tendance de progression du front d’exploitation clandestine du bois d’œuvre entre le Sénégal et la Gambie ; globalement, c’est d’Ouest en Est en fonction de l’appauvrissement de la ressource ; localement, du côté sénégalais, la tendance est Nord-Sud avec la raréfaction du Vène dans les zones proche de la frontière. Cette situation confirme l’hypothèse principale de cette étude qui énonce la progression des exploitants de l’Ouest vers l’Est due à la rareté de la ressource.
Après avoir effectué des inventaires dans chaque zone, des enquêtes ménages ont également été faites, à l’endroit des populations ciblées, pour connaitre la destination du produit et confirmer la première hypothèse spécifique à savoir la forte demande en bois d’œuvre dans les marchés gambiens favorise l’exploitation frauduleuse au niveau de la Commune. Elle est vérifiée du moment que toutes les personnes interrogées ont confirmé que le bois d’œuvre est transporté dans les marchés gambiens où se trouvent les plus grands exportateurs de bois que sont les chinois et les indiens qui préfèrent plus le Vène. Le kapokier est acheté le plus souvent par ceux de la sous-région, ce qui justifie son débitage dans les dépôts avant sa vente.
Il y a trois personnes parmi les enquêtées qui ont affirmé qu’il est aussi commercialisé dans la région. Par conséquent, les produits vendus en Gambie sont plus importants en quantité que ceux vendus dans la région, ce qui fait qu’ils ne sont pas visibles dans la Commune et ceux qui traversent la frontière, sont facilement observables, vu l’intensité de l’exploitation.
Les enquêtes de terrain ont permis aussi de connaitre le principal facteur d’appauvrissement des ressources ligneuses au niveau de la Commune. Les réponses données par les populations prouvent qu’effectivement c’est l’exploitation frauduleuse du bois d’œuvre qui est le principal facteur d’appauvrissement. Cet argument qui justifie la deuxième hypothèse est expliqué par le fait que même s’il y a chaque année la présence des feux de brousse, l’ampleur de leurs dégâts est du ressort des exploitants clandestins qui laissent sur les sites d’exploitations les branches de Vène et de kapokier qui attisent les feux.
En ce qui concerne les défrichements agricoles c’est seulement 1% des populations qui l’ont considéré comme étant le principal facteur, même si les placettes effectuées dans les zones de cultures prouvent réellement qu’il n’est pas à négliger car les agriculteurs ne laissent que quelques espèces jugeant que si le nombre d’arbres est important dans une zone de culture, il diminue le rendement agricole.
Les enquêtes ménages, les guides d’entretien adressés aux élus locaux et gardes forestiers, et les questionnaires destinés aux exploitants forestiers ont expliqué ce qui fait que les élus locaux ont dû mal à stopper cette activité frauduleuse qui nuit à la forêt, vu que c’est une compétence transférée.

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