Étude de la température
Pour chaque valeur de la température, nous avons suivi le cycle préimaginal depuis la mise enéclosion des œufs jusqu’à l’émergence des adultes. Nous avons utilisé deux espèces de moustiques Aedes aegypti et Anopheles gambiae.
Pour chaque espèce, 20 œufs issus de la même ponte ont été mis dans un cristallisoir contenant 400ml d’eau, à raison de 3 volumes d’eau du gîte reconstituée pour 1 volume d’eau de robinet. Les températures de l’eau d’élevage sont comprises entre 20 et 37° C avec une erreur ± 1° C. L’humidité relative de la salle est environ à 80 % en moyenne, éclairement 13 heures de lumière et 11 heures d’obscurité approximativement. Le cristallisoir est placé dans un appareil qui est constitué d’un dispositif électrique de chauffage d’eau (Bain marie) muni d’un thermomètre incorporé et dont la température est réglable à volonté. Toutes les 2 heures, nous vérifions que la température de l’eau d’élevage est la même que celle de l’appareil.
L’appareil fonctionne suivant un régime alternatif. Il est mis en marche toute la journée et est arrêté durant toute la nuit.
Suivant leur stade, les larves ont été nourries avec une quantité suffisante de chapelure de pain. Les larves de premier stade n’ont pas été nourries. L’ingestion de microorganismes contenus dans l’eau du gîte leur a permis d’évoluer jusqu’à la première mue.
La nourriture a été totalement supprimée lorsque près de la moitié des larves est passée au stade nymphal. Il semble, en effet, que les larves âgées de quatrième stade se nourrissaient très peu et ne consommaient qu’une faible part de la nourriture qui leur était fournie. Les observations ont été faites tous les matins en comptant le nombre d’individus qui passent d’un stade à un autre. Nous considérons qu’on passe d’un stade à une autre lorsque plus de la moitié des individus ont atteint le stade suivant. Au temps tk, allant de tk-1 à tk, l’intervalle de temps (jours) qui sépare le passage de l’œuf à la larve, de la larve à la nymphe ou de la nymphe à l’adulte ; est donné par ∆tk = tk- tk-1.
Le temps de développement évalué entre l’immersion des œufs jusqu’à l’émergence des adultes est obtenu en faisant la somme des ∆tk entre les trois stades : œuf, larve et nymphe.
Étude de la résistance à la dessiccation
Dans cette partie, nous avons étudié les possibilités d’éclosion des œufs de moustiques sur du substrat de terre humide mais également, la capacité des larves de moustique à résister à la dessiccation.
Du substrat de terre du gîte a été recueilli dans des boîtes de Pétri (10 cm de diamètre et 1 cm de hauteur) puis saturé avec de l’eau du gîte larvaire.
La nature du sable utilisé est la même durant toute l’expérience. De même, la quantité de sable et le volume d’eau utilisés sont aussi les mêmes pour tous les tests. Trois boîtes de Pétri contenant du sable humidifié sont utilisées pour effectuer un test préliminaire sur l’éclosion des œufs. Dans chaque boîte de Pétri, on dépose un lot d’œufs d’Anopheles. Les œufs utilisés sont tous issus d’une même ponte. Le constat d’éclosion est effectué 24, 48 et 72 heures après, respectivement en saturant chaque boîte avec de l’eau. Cette saturation en eau permet de constater la présence ou non de larves de premier stade.
Pour chacun des quatre stades larvaires (L1, L2, L3, L4), 20 larves d’Anopheles gambiae, sont placées dans une boîte de Pétri. Chaque boîte de Pétri contient du sable et est saturée avec de l’eau comme précédemment. Les conditions d’humidité relative variant entre 70-80%. La température de la salle est d’environ 25° ± 2° C. Durant toute l’expérience, les boîtes de Pétri sont exposées aux conditions ambiantes et laissées se dessécher au cours du temps. Chaque boîte de Pétri est recouverte d’une mousseline pour protéger les larves contre certains prédateurs (fourmis…). Chaque jour, nous évaluons le nombre de larves qui reste en survie.
Le nombre de survivants est exprimé proportionnellement au nombre total de larves testés (20 par boîte de Pétri).
Choix des surfaces de ponte
Dix femelles d’Aedes aegypti âgées d’un jour et fraîchement gorgées sur le bras de l’expérimentateur ont été mises dans une cage à moustique de dimensions 60 x 60 x 60cm. Des mâles de même génération ont été introduits dans la cage selon le ratio : 2/1 (2mâles /1femelle).
Quatre bocaux de capacité 750 ml chacun ont été utilisés comme pondoirs. Ces bocaux contiennent respectivement, de l’eau de robinet, d’eau du gîte en présence de compétiteurs comme des larves de Culex et de têtards, d’eau résiduelle de l’élevage des moustiques de la même espèce et d’eau du gîte reconstituée.
Dans ce dernier cas, nous avons obtenu ce milieu en mélangeant dans un bêcher de 1 litre, de la litière du gîte avec 500ml d’eau de robinet. Au bout de quelques heures, l’eau ayant une couleur plus ou moins foncée est utilisée comme pondoir. Ces pondoirs ont été ensuite placés côte à côte au milieu de la cage et n’ont été retirés qu’au bout de dix jours. Les femelles sont gorgées avec un repas sanguin tous les deux jours. Une solution glucosée et placée dans la cage sert de nourriture aux mâles. Chaque jour le nombre d’œufs dans chaque pondoir est compté puis retiré du milieu. A la fin de l’expérience le nombre d’œufs cumulé dans chaque pondoir est noté.
Étude de la fécondité
La fécondité peut être définie comme étant le nombre d’œufs élaborés par les ovaires pendant la période de reproduction et destinés à la ponte.
Élevage des moustiques
Les moustiques sont élevés individuellement dans des cages cubiques de dimensions 30 x 30 x 30 cm selon le ratio une femelle pour deux mâles. Les femelles sont régulièrement gorgées sur notre bras après chaque cycle de ponte. Une solution de sucrose déposée à l’intérieur de la cage, sert de repas aux mâles. Un bocal contenant de l’eau du gîte reconstituée est placé au milieu de la cage et sert de pondoir. Après chaque ponte, le nombre d’œufs est compté puis les œufs sont retirés du pondoir. L’expérience est répétée sur un total de 10 femelles et dure toute la durée de survie de la femelle. A la fin de l’expérience, le nombre moyen d’œuf par ponte chez toutes les femelles est calculé. La température moyenne de la salle est de 25-26° C, l’humidité relative est de 80-90%.
Détermination de la longueur du premier cycle trophogonique
Cette période est définie comme l’intervalle de temps qui sépare le détachement de la femelle gorgée et le début de la première apparition d’œufs. Pour cela, l’heure du premier repas sanguin a été notée ainsi que la date de la première ponte.
RÉSULTATS
Température
Le temps de développement des stades pré imaginaux, évalués en jours entre l’immersion des œufs et l’émergence des adultes pour différentes températures étudiées, est représenté dans les tableaux ci-dessous.
Le temps de développement des stades préimaginaux de ces deux espèces de moustiques est d’environ 7 à 20 jours à température variant entre 20 et 30° C. Chez les deux genres (Anopheles et Aedes), le temps de développement des stades préimaginaux diminue lorsque la température de l’eau d’élevage s’élève. Ce temps est globalement plus long pour Anopheles gambiae que pour Aedes aegypti (fig 1).
Dans le cas des œufs et des nymphes, la température n’a apparemment aucun effet sur la durée de développement. Par contre pour le stade larvaire, cette durée est très variable en fonction de la température de l’eau.
Ils existe cependant une température optimale limite au delà de laquelle les larves meurent.
Dans le cas de notre expérience nous avons fixé cette température à environ 38° C. En se basant sur ces observations, des mortalités journalières de plus de 70% et 100% ont été enregistrées pour une température maximale de l’eau de 2 et 4° C respectivement au dessus de la température létale (38°C).
Fécondité des femelles
L’étude de la capacité reproductive des moustiques nécessite la prise en compte de la fécondité. La fécondité, étant estimée en nombre d’œufs élaboré par les ovaires pendant la période de reproduction et destiné à la ponte, est un paramètre important dans l’équilibre des populations. La fécondité totale d’une femelle de moustique, difficile à estimer, est la somme des œufs émis pendant les différentes phases de ponte durant la vie de la femelle.
Le nombre d’œufs pondus par individu montre une large gamme de variation aussi bien entre individu qu’en fonction des expériences. Chez Aedes aegypti, la fécondité varie en fonction de l’âge du moustique. Elle augmente d’abord dés les premières pontes jusqu’à atteindre une valeur maximale puis, diminue progressivement au cours du temps (Fig4).
DISCUSSION
Les stades jeunes et adultes des moustiques sont poïkilothermes, la température représente donc une variable épidémiologique importante. La température est le principal régulateur de croissance et de développement entre les différents stades. Elle a une influence sur la durée des différents stades et règle la longueur du cycle trophogonique. Par exemple, dans une gamme de 18° C à 26° C, un changement de 1° C seulement de la température peut changer la durée de vie d’un moustique à plus d’une semaine (Jepson et al., 1947 cités par Depinay et al., 2004). Bien que la gamme de température de l’eau soit très large, elle est rarement prise en compte dans la littérature (Depinay et al., 2004). Certains auteurs ont enregistré des températures voisines de 40° C dans les petites collections d’eau. De telles températures dépassent la température létale de beaucoup d’espèces de moustiques.
Pour une gamme de température située entre 18 et 40° C, Bayoh & Lindsay (2003), trouvent qu’aucun adulte n’émerge en deçà de 18° C. Ils fixent la température maximale correspondant au point létal pour les larves à 40° C. Dans nos travaux, nous n’avons pas observé des phénomènes de survie au delà de 38° C. Cela pourrait être expliqué par le fait que certaines espèces de moustiques se retrouvent rarement dans ces petites collections d’eau. Nous n’avons pas évalué la température minimale au point létal par défaut d’appareil. Chez Anopheles gambiae, les résultats de notre expérience sont similaires à ceux obtenus par Bayoh & Lindsay, 2003 ; Depinay et al., 2004, alors que pour Aedes aegypti, nous n’avons pas retrouvé de publications dans ce domaine.
Ces résultats pourraient s’expliquer par le fait que l’éclosion des œufs est principalement liée aux propriétés chimiques de l’eau telles que le pH et l’oxygénation. Pour le cas des nymphes, cela peut être dû à des phénomènes physiologiques et métaboliques particuliers. En effet, les différentes étapes du développement larvaire de certains insectes sont sous contrôle hormonal.
Selon Sharpe et al., 1977 ; Schoofield et al., 1981, le développement des poïkilothermes est régulé par une enzyme dont le taux de réaction détermine le taux de développement de l’organisme. C’est d’intérêt spécial parce que chaque paramètre de l’eau du gîte larvaire a une signification biologique qui peut avoir un impact épidémiologique. La température représente l’un des facteurs abiotiques les plus importants pour le développement des stades larvaires des moustiques.
Chez les insectes en général et les moustiques en particulier, le développement des stades larvaires se fait par des mues. Ces mues sont sous le contrôle d’une hormone : hormone juvénile (HJ), secrétée par les corps allates et qui déclenche ou inhibe la métamorphose (Raabe, 1986). Charmillot, 2004 a montré que, la teneur en HJ est particulièrement faible aux stades œuf et nymphal. Le taux d’HJ retrouvé dans l’organisme des insectes est maximal pendant le stade larvaire. Cette variabilité du temps de développement en fonction de la température, pendant le stade larvaire, laisse supposée que la température aurait une influence sur l’activité de l’hormone responsable de la mue. Le mécanisme par lequel la température influence la croissance est peu connu.