Caractérisation morphologique des matériaux composites pendant et après la mise en œuvre
Cette première section s’attache à caractériser d’un point de vue morphologique les CMC oxyde/oxyde considérés dans la présente étude. D’une part, la description est réalisée à deux échelles : macroscopique puis microscopique. D’autre part, la caractérisation est menée en deux temps : après l’opération de séchage et après le traitement de frittage.
Description macroscopique
À cette échelle, il s’agit de décrire, au cours de l’élaboration, les propriétés physiques des matériaux composites, telles que le taux volumique de fibres et la porosité matricielle. 5.1.1.1 Des propriétés physiques après séchage liées au comportement des suspensions d’oxydes au cours de l’imprégnation Dans le cadre de l’étude de CMC oxyde/oxyde Nextel™ 610/Al2O3 -SiO2 , six conditions ont été investiguées. Toutefois, avant le traitement de frittage, seuls deux états peuvent être distingués suivant la proportion alumine-silice de la matrice. Ainsi, dans chaque cas, douze plaques composites UD ont pu être caractérisées. Les résultats des mesures des taux volumiques de fibres 𝑉𝑓 et des porosités matricielles 𝑝𝑚 sont énoncés dans la Table 5.2.
La comparaison des valeurs de 𝑉𝑓 et de 𝑝𝑚 entre les deux configurations indique que la porosité est plus importante pour les plaques associées à la proportion 84%vol. Al2O3 – 16%vol. SiO2.
Cet écart est relié au fait que l’épaisseur moyenne de ces échantillons est supérieure à celle du cas nominal. En outre, cela résulte d’une différence de comportement des suspensions d’oxydes au cours de l’étape d’imprégnation du renfort fibreux. En effet, d’après les résultats de l’étude rhéologique, les deux suspensions présentent des viscosités différentes aux faibles vitesses de cisaillement. Ces dernières sont considérées ici puisque l’imprégnation par moulage au contact ne fait pas intervenir de cisaillement important. Par exemple, pour 𝛾˙ = 0,01 s−1 , la viscosité d’une suspension de proportion nominale chargée à 25%vol. est de 0,1 Pa.s tandis que cette valeur est quatre fois supérieure dans le cas où la proportion est 84%vol. Al2O3 – 16%vol. SiO2 . Ainsi, diminuer la viscosité permet à la suspension de mieux imprégner le renfort fibreux ce qui conduit à une épaisseur de plaque plus faible et donc à une porosité matricielle moins élevée.
Le retrait de la matrice limité par la présence des fibres
Les taux volumiques de fibres et les porosités matricielles des CMC oxyde/oxyde ont également été évalués, pour les six conditions investiguées, à l’issue de l’ensemble du processus d’élaboration de ces matériaux (Table 5.3).
Description microscopique
En plus de la description des matériaux réalisée à l’échelle macroscopique, les microstructures ont été observées au MEB. En particulier, l’étude est centrée autour de l’interface fibre/matrice puisque celle-ci contrôle le comportement mécanique des CMC oxyde/oxyde. D’une part, les analyses réalisées après l’opération de séchage permettent d’étudier indirectement l’étape d’imprégnation du renfort fibreux par la suspension. D’autre part, les observations faites à l’issue du traitement de frittage décrivent l’état du matériau avant toute sollicitation.
Une répartition homogène des particules à l’issue de l’imprégnation
L’observation de la microstructure réalisée après l’opération de séchage permet d’étudier l’état du matériau post-imprégnation. Un exemple de microstructure est représenté sur la Figure 5.1.
Microstructures induites par l’écoulement progressif de la phase visqueuse au cours du frittage
La Figure 5.2 représente l’interface fibre/matrice, après l’étape de frittage, pour les six conditions matricielles investiguées dans cette partie.
D’après l’étude du comportement des compacts de poudres alumine-silice au cours du traitement thermique, les évolutions de la microstructure reposent sur des mécanismes de frittage par flux visqueux. Au cours du cycle, la viscosité de la silice diminue. Une phase visqueuse siliceuse se forme alors. Celle-ci s’écoule au sein de la microstructure. Les observations MEB confirment que l’écoulement de la phase visqueuse a bien eu lieu dans les matériaux composites.
Cependant, la présence des fibres limite le retrait macroscopique de la matrice au cours du frittage.
Ainsi, deux mécanismes microstructuraux peuvent se produire. Soit le frittage de la matrice dans le composite conduit aux mêmes évolutions de la microstructure que dans le compact. En particulier, le réarrangement des particules d’alumine est possible. Dans ce cas, des hétérogénéités de densité se créent localement dans les zones riches en matrice. Elles peuvent alors être à l’origine de l’apparition de défauts précoces pouvant aller jusqu’à des fissurations matricielles. Soit un tel réarrangement des particules d’alumine n’a pas lieu. Autrement dit, la distance moyenne entre les entités solides de cette espèce se conserve. Dans ce cas, seul un écoulement de la phase visqueuse se produit. Celle-ci mouille les particules d’alumine en formant ou non des ponts entre elles.
Par rapport au cas des compacts de poudres, l’écoulement implique ici, au niveau du matériau composite, un mouillage des fibres par la phase visqueuse. Ce phénomène est mis en évidence sur l’observation MEB associée à la condition comprenant la proportion de silice la plus importante après le temps de maintien isotherme le plus long (Figure 5.2e). En effet, une coalescence de la phase visqueuse autour de la fibre est constatée. Le fait que celle-ci n’est discernable qu’après ce temps de maintien (pour la proportion nominale) confirme que le phénomène de mouillage, qui est lié à l’écoulement de la phase visqueuse, se fait progressivement au cours du cycle de frittage.
Par ailleurs, ce phénomène est particulièrement important puisqu’il vient modifier les propriétés de l’interface fibre/matrice. Or, cette dernière est responsable de la tenue mécanique des CMC oxyde/oxyde.
Pour résumer, bien que les taux volumiques de fibres et les porosités matricielles soient similaires, l’écoulement progressif de la phase visqueuse lors du traitement thermique permet d’obtenir différentes microstructures. Ainsi, ces dernières laissent espérer des propriétés mécaniques distinctes entre deux conditions associées à une même proportion alumine-silice.
Caractérisation mécanique des composites oxydes unidirectionnels
Les composites oxydes unidirectionnels ont ensuite été caractérisés d’un point de vue mécanique.
Différents types d’essais ont été menés ce qui a permis d’examiner, en plus du comportement élastique, les tenues mécaniques en compression diamétrale et en flexion quatre points. Ces propriétés sont, par ailleurs, interprétées au regard de la microstructure.
Comportement élastique des matériaux isotropes transverses
Le comportement élastique des CMC oxyde/oxyde a été étudié grâce aux essais de résonance acoustique. Ils ont permis de déterminer le module d’élasticité dans le sens longitudinal, d’identifier les propriétés élastiques des plaques UD et de suivre l’évolution du module d’élasticité dans le sens longitudinal en fonction de la température de sollicitation.
Diminution linéaire du module d’élasticité dans le sens longitudinal en fonction du temps de maintien isotherme du cycle de frittage
Le module d’élasticité dans le sens longitudinal, noté 𝐸𝑙 , a été évalué sur des éprouvettes parallélépipédiques. Pour rappel, il est supposé que le coefficient de Poisson 𝜈𝑙𝑡 est égal à 0,3. Les valeurs du module 𝐸𝑙 , déterminées pour chacune des six conditions investiguées, sont indiquées dans la Table 5.4.
Comportement en compression diamétrale dans le sens longitudinal
Des essais de compression diamétrale ont été menés, à température ambiante, sur des éprouvettes composites 1 . Par ailleurs, une rupture en traction, amorcée au centre de l’éprouvette, est favorisée.
Ainsi, ces essais permettent de caractériser indirectement les liaisons entre les fibres et la matrice.
La Figure 5.5 représente un exemple typique de courbe force-déplacement obtenue lors de ces essais.
La valeur de la force diminue avec le déplacement. Par rapport au cas des compacts de poudres, plusieurs discontinuités apparaissent ici. Elles correspondent à la libération progressive de l’énergie emmagasinée dans l’éprouvette. Ce type de comportement est classiquement observé pour des matériaux composites. À partir de la valeur maximale de la force, des propriétés élastiques du CMC oxyde/oxyde déterminées précédemment et des dimensions de l’éprouvette, il est possible de calculer la contrainte à rupture 𝜎𝑚𝑎𝑥 (Table 5.6).
Pour la condition 84%vol. Al2O3
– 16%vol. SiO2
– 𝑡𝑚 = 12 h, et uniquement dans ce cas, le délaminage et la rupture des fibres sont responsables de la rupture de l’éprouvette (Figure 5.8a). Ici, la contrainte normale est plus critique. De plus, les observations MEB des faciès montrent une rupture corrélée des fibres (Figure 5.8b). Par conséquent, dans cette configuration, la matrice ne joue pas son rôle de déviateur de fissures. Autrement dit, les liaisons entre les fibres et la matrice sont fortes. Ceci est renforcé par le fait qu’une quantité importante de matrice subsiste à la surface des fibres. Ainsi, lorsque les fissures matricielles se propagent au niveau des interfaces, elles conduisent à la rupture prématurée des fibres.
L’analyse des modes de rupture confirme une nouvelle fois qu’outre le taux volumique de fibres et la porosité matricielle, la morphologie de la matrice bi-composant alumine-silice joue un rôle important dans la tenue mécanique des CMC oxyde/oxyde. Dès lors, les relations microstructure/propriétés peuvent être analysées.
Au niveau du matériau composite, l’augmentation de la durée du palier isotherme lors du cycle de frittage implique :
— Un accroissement du nombre de défauts locaux dans les zones riches en matrice. Ces défauts peuvent alors conduire à davantage de fissurations matricielles.
— Et un renforcement des liaisons de l’interface fibre/matrice suite au phénomène de mouillage des fibres par la phase visqueuse. Soit l’interface reste suffisament faible et permet la déviation des fissures. L’effort mécanique est alors repris par les fibres. Soit elle est forte ce qui favorise la propagation des fissures au niveau des fibres, entraînant ainsi leur rupture prématurée.
Pour des temps de maintien courts, la matrice est peu résistante et l’interface fibre/matrice est faible. Par conséquent, la rupture du composite est due au délaminage et sa résistance mécanique est peu élevée. Pour des temps intermédiaires, l’interface fibre/matrice se renforce mais reste suffisamment faible pour jouer son rôle de déviateur de fissures. Ainsi, le mode de rupture est identique mais la résistance mécanique du composite augmente. En revanche, pour de longs temps de maintien, le nombre de défauts dans les zones riches en matrice devient critique puisque de plus en plus de fissures matricielles sont amorcées, ce qui conduit à une diminution de la résistance mécanique du composite. De plus, l’interface fibre/matrice peut devenir suffisamment forte pour ne plus dévier ces fissures mais favoriser leur propagation au niveau des fibres. Dès lors, la rupture du matériau est liée à une rupture corrélée et prématurée des fibres. Ce type de comportement a été observé pour la condition 84%vol. Al2O3
– 16%vol. SiO2
– 𝑡𝑚 = 12 h.
En conclusion, un compromis entre le nombre de défauts locaux dans les zones riches en matrice et l’intensité des liaisons à l’interface fibre/matrice doit être recherché pour assurer une tenue mécanique des composites utilisant une matrice alumine-silice.