Étude comparative de la reproduction de géniteurs d’Oreochromis niloticus pêchés

Caractéristiques morphologiques

La diagnose de cette espèce a fait l’objet d’études précises (Trewavas, 1983) recourant à des caractéristiques morphométriques plus ou moins difficiles à examiner sur organismes vivants. Généralement, sur le terrain, le pisciculteur reconnaît les adultes de cette espèce par:
► une coloration grisâtre avec poitrine et flancs rosâtres et une alternance de bandes verticales claires et noires nettement visibles notamment sur la nageoire caudale et la partie postérieure de la nageoire dorsale,
► un nombre élevé de branchiospines fines et longues (18 à 28 sur la partie inférieure du premier arc branchial et 4 à 7 sur la partie supérieure),
► une nageoire dorsale longue à partie antérieure épineuse (17-18 épines) et à partie postérieure molle (12-14 rayons),
► un liséré noir en bordure de la nageoire dorsale et caudale chez les mâles.
Le pisciculteur averti distinguera également facilement O. niloticus d’une espèce très proche O. aureus (Steindachner) qui a plus ou moins les mêmes caractéristiques citées ci-dessus mais qui, de plus, présente chez les mâles un liséré rouge tout au long de la bordure des nageoires dorsales et caudales.
Enfin le pisciculteur reconnaitra le sexe des O. niloticus en examinant la papille génitale qui chez le mâle est protubérante en forme de cône et porte un pore urogénital à l’extrémité alors que chez la femelle, elle est petite, arrondie avec une fente transversale au milieu (pore génital) et un pore urinaire à l’extrémité.

Répartition géographique originelle et actuelle

Oreochromis niloticus présente une répartition originelle strictement africainecouvrant les bassins du Nil, du Tchad, du Niger, des Volta, du Sénégal et du Jourdain ainsi que les lacs du Graben est-africain jusqu’au lac Tanganyika (Philippart et Ruwet, 1982).
Signalons que l’espèce étudiée est divisée en sept sous-espèces à distribution naturelle bien déterminée (Trewavas, 1983). Cette espèce est largement introduite en Afrique hors de sa zone d’origine pour compléter le peuplement des lacs naturels ou de barrages déficients ou pauvres en espèces planctonophages ainsi que pour développer la pisciculture. Ainsi (Welcomme, 1988) signale son introduction au Burundi et au Rwanda en 1951, à Madagascar en 1956, en République Centrafricaine et en Côte d’Ivoire en 1957, au Cameroun en 1958, en Tunisie en 1966, en Afrique du Sud en 1976 et à des dates inconnues au Zaïre et en Tanzanie.
A cela on peut ajouter que cette espèce est également cultivée, hors de sa zone originelle dans de petits bassins versants au Gabon (OYEM), au Ghana, au Kenya (Baobab farm près de Mombassa), au Nigeria (ARAC, PORT – HARCOURT), etc… Mais ces introductions ne se sont pas limitées à l’Afrique puisqu’on la trouve (Welcomme, 1988) dans les lacs, les fleuves et les piscicultures aussi bien d’Amérique Centrale (Guatemala, Mexique, Nicaragua, Honduras, Costa Rica, Panama), d’Amérique du Sud (Brésil), d’Amérique du Nord (Auburn, etc…) et d’Asie (Sri Lanka, Thailande, Bengladesh, Vietnam, Chine, Hong Kong, Indonésie, Japon, Philippines), ce qui lui vaut une distribution actuelle pan-tropicale. Enfin, cette espèce commence également à être cultivée dans les eaux chaudes industrielles en régions tempérées. C’est le cas en Europe (Allemagne, 1977 et Belgique, 1980).

Exigences écologiques

De nombreuses études de terrain et de laboratoire (Pullin et Lowe-Mcconnel, 1982; Fishelson et Yaron, 1983; Plisnier et al, 1988; etc…) montrent que O. niloticus est une espèce relativement euryèce et eurytope adaptée à de larges variations des facteurs écologiques du milieu aquatique et colonisant des milieux extrêmement variés.
Ainsi O. niloticus , espèce thermophile, se rencontre en milieu naturel entre 13.5° et 33°C mais l’intervalle de tolérance thermique observé en laboratoire est plus large: 7 à 41°C pendant plusieurs heures (Balarin et Hatton, 1979). Quant à la température optimale de reproduction elle se situe entre 26 et 28°C, le minimum requis étant 22°C.
L’euryhalinité de O. niloticus est également bien connue car, on la rencontre dans des eaux de salinité comprise entre 0.015 et 30‰ (Philippart et Ruwet 1982) et le pH varie de 8 à 11 (Georges, 1976).
O. niloticus survit durant plusieurs heures à des teneurs en oxygène dissous très faibles de l’ordre de grandeur de 0,1 ppm. Ainsi jusqu’à 3 ppm d’oxygène dissous O. niloticus ne présente pas de difficulté métabolique particulière mais en dessous de cette valeur, un stress respiratoire se manifeste bien que la mortalité ne survienne qu’après 6 h d’exposition à des teneurs de 3.0 ppm (Magid et Babiker, 1975, Melard et Philippart, 1981 a et b).

Régime alimentaire

En milieu naturel, O. niloticus essentiellement phytoplanctonophage et consomme de multiples espèces de Chlorophycées, Cyanophycées, Euglenophycées, etc…; ce qui ne l’empêche pas d’absorber du zooplancton et même des sédiments riches en bactéries et Diatomées.

Croissance

En général, O. niloticus est connu pour sa croissance rapide (Lowe-Mcconnell, 1982) et présente un indice de croissance plus performant que les autres espèces de tilapia (Pauly et al, 1988). Sa durée de vie est relativement courte (4 à 7 ans), sa vitesse de croissance est extrêmement variable selon les milieux. Ainsi d’après Moreau (1979) O. niloticus grandit plus vite dans le lac Albert (34 cm à 4 ans) que dans le lac Tchad (26 cm à 4 ans) ou le lac Mariout (24 cm à 4 ans).. La croissance la plus lente et la durée de vie la plus courte sont observées dans le lac Alaotra (± 20 cm à 4 ans) où cette espèce est introduite. La croissance la plus rapide et la longévité la plus longue (7 ans et 38 cm) sont observées dans le lac Albert. Toutefois le plus grand spécimen est capturé dans le lac Turkana (= Rodolphe) avec une longueur totale de 64 cm,( Trewavas, 1982).
Une autre grande caractéristique de O. niloticus concerne son dimorphisme sexuel de croissance. Dès que les individus atteignent l’âge de maturité (1 à 3 ans selon le sexe et le milieu), les individus mâles présentent une croissance nettement plus rapide que les femelles. Ainsi dans le lac Itasy, les mâles vivent plus vieux et atteignent une taille maximale de 38 cm soit 2000 g alors que les femelles ne dépassent pas 28 cm soit 950 g. Toutefois, d’après Lowe-McconneL (1982), dans les grands lacs où la croissance est bonne, mâles et femelles atteignent des tailles identiques.

Biologie de la reproduction

O. niloticus fait partie du groupe des tilapias relativement évolués: les incubateurs buccaux uniparentaux maternels.

Stratégies de reproduction

Lorsque les conditions abiotiques deviennent favorables, les adultes migrent vers la zone littorale peu profonde et les mâles se rassemblent en arène de reproduction sur une zone en pente faible à substrat meuble, sablonneux ou argileux où ils délimitent chacun leur petit territoire et creusent un nid en forme d’assiette creuse.
Les femelles vivent en groupe à l’écart des arènes de reproduction où elles effectuent de brefs passages. En allant d’un territoire à l’autre, elles sont sollicitées successivement par les mâles. En cas d’arrêt au-dessus d’un nid et après une parade nuptiale de synchronisation sexuelle, la femelle dépose un lot d’ovules que le mâle féconde immédiatement et que la femelle reprend en bouche pour les incuber. Cette opération peut être recommencée avec le même mâle ou un voisin (Ruwet et al, 1976). Après ces pontes successives, la femelle quitte l’arène et va incuber les oeufs fécondés dans la zone peu profonde.
A cette époque, la femelle présente un abaissement du plancher de la bouche, des opercules légèrement écartés et la mâchoire inférieure devient légèrement proéminente. L’éclosion des oeufs a lieu dans la bouche, 4 à 5 jours après fécondation. Une fois leur vésicule vitelline résorbée (± 10 jours après éclosion) les alevins capables de nager sont encore gardés par la femelle pendant plusieurs jours. Ils restent à proximité de leur mère et, au moindre danger, se réfugient dans sa cavité buccale. A la taille d’environ 10 mm, les alevins, capables de rechercher leur nourriture, quittent définitivement leur mère et vivent en petits bancs dans les eaux littorales peu profondes.
Dans les milieux naturels, la taille de première maturité de O. niloticus varie généralement entre 14 et 20 cm (±2 ans) mais peut atteindre 28 cm (lac Albert) et différer chez les mâles et les femelles. Ainsi la taille moyenne de première maturité examinée dans la population de cette espèce au lac Ihema est de 19 cm pour les femelles et 20 cm chez les mâles (Plisnier et al, 1988). Toutefois cette taille de maturité peut se modifier au sein d’une même population en fonction des conditions fluctuantes du milieu. Ainsi dans le lac George, elle est passée, d’après de 28 cm en 1960 à 20 cm en 1972 Gwahaba (1973).
Selon Lowe-Mcconnel (1982), les facteurs qui font diminuer la taille de maturation sont:
– les mauvaises conditions environnementales,
– les dimensions réduites du milieu (confinement),
– le déficit alimentaire qualitatif et quantitatif,
– la pêche trop intensive.
On constate, en effet, que les populations de tilapia qui vivent en milieu lacustre stable, présentent une stratégie démographique de type K: faible fécondité par ponte, maturité tardive et croissance rapide. Lorsque le milieu devient instable(plaines inondées, variations du niveau d’eau et nourriture par exemples) ces poissons adoptent une stratégie de type r: fécondité élevée, maturité précoce, croissance lente. Ce problème connu sous le terme de nanisme est plutôt un phénomène de néoténie (Fryer et Iles, 1972; Noakes et Balon, 1982) car il s’agit d’une réponse adaptative aux fluctuations de l’environnement, par accélération de l’ontogenèse. C’est pourquoi en conditions optimales, O. niloticus commence à se reproduire en général vers l’âge de 2 à 3 ans alors qu’en conditions stressantes de pisciculture rurale mal conduite, il peut déjà se reproduire vers l’âge de 3 mois.
La période de reproduction de O. niloticus est potentiellement continue pendant toute l’année si la température de l’eau est supérieure à 22°C. Toutefois on constate des pics d’activité reproductrice induits par:
– une augmentation de la photopériode et de l’intensité lumineuse,
– une augmentation de la température de l’eau,
– une augmentation du niveau de l’eau.
Ces paramètres fluctuent plus ou moins intensément avec l’alternance des saisons et la situation en latitude et altitude. Ainsi au lac Manzalla (Egypte), O. niloticus présente une seule période de reproduction courte (mars-avril) pendant laquelle la température s’élève de 19 à 26°C. Dans le lac Ihema au Rwanda, Plisnier et al (1988) observent la plus grande activité de reproduction pendant la grande saison des pluies (février à juin). En général, dans les eaux équatoriales, Lowe-Mcconnell (1982) signale deux pics de reproduction coïncidant avec les deux saisons de pluie.
La fréquence des pontes varie également en fonction des conditions environnementales. En conditions optimales et à température de 25 à 28°C, une femelle de O. niloticus peut se reproduire tous les 30 à 40 jours (Ruwet et al, 1975) mais toutes les femelles d’un lot sont loin de pouvoir se reproduire aussi fréquemment (Mires, 1982).

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