Le système immunitaire et son arme de défense massive l’activité cytotoxique

Les principaux acteurs 

Malgré une fonction cytotoxique commune, les cellules NK et les lymphocytes T CD8+ sont des populations cellulaires bien différentes l’une de l’autre, permettant probablement une complémentarité de leur efficacité face au danger.
Premièrement, les cellules NK ont été caractérisées depuis des décennies comme étant des cellules lymphocytaires non T et non B ayant une cytotoxicité naturelle envers des cellules tumorales2,3. Cellules effectrices de l’immunité innée, elles n’ont pas besoin d’activation préalable pour assurer leurs fonctions et remplissent ainsi un rôle important dans l’immunosurveillance contre les infections virales et les processus tumoraux. Elles n’expriment pas de récepteurs spécifiques de l’antigène, en revanche elles possèdent un large éventail de récepteurs activateurs et inhibiteurs qui ont pour fonction de différencier le « soi » du « nonsoi » (ou soi altéré). L’intégration de tous ces signaux reçus à travers ses récepteurs détermine la réponse des cellules NK4. Parmi les signaux activateurs, la perte de l’expression du CMH de classe I est un signal fort ainsi que l’activation synergique de NKG2D et DNAM-15. De plus, les cellules NK sont capables d’effectuer une cytotoxicité anticorps-dépendante (ADCC) grâce à un récepteur de la partie constante des anticorps (FcγR), comme CD16 (FcγRIII), reconnaissant les anticorps liés aux antigènes de la cellule cible6,7. L’importance de l’activité de lyse des cellules NK sera notamment abordée plus loin dans ce chapitre (les multiples rôles de l’activité cytotoxiques) ainsi que le chapitre III (le syndrome de Wiskott-Aldrich).
Au contraire des cellules NK, les lymphocytes T CD8+ expriment un grand répertoire de TCR spécifiques d’antigènes mais ceux-ci n’ont pas de potentiel lytique au stade naïf, ils l’acquièrent après activation lors de la reconnaissance de peptides présentés par une APC via le CMH de classe I. Ceux ayant effectué cette reconnaissance spécifique vont alors subir une forte expansion clonale afin de former une armée de cellules effectrices. Au cours de ce processus, l’expression des molécules lytiques, comme la perforine et le granzyme B ainsi que FasL, augmente afin d’obtenir des lymphocytes T cytotoxiques (CTL) armés. Pour plus de détails sur l’activation et la différenciation des lymphocytes T CD8+ en CTL, je vous invite à lire le chapitre II de ce manuscrit. Les mécanismes effecteurs de ces CTL y seront aussi précisés.
La comparaison de ces deux populations cytotoxiques au sein d’une même étude a été réalisée par l’équipe de Bousso. Ils ont démontré une différence dans la dynamique de migration dans la tumeur et dans le temps de contact avec les cibles, avec les CTL qui diminuent leur vélocité lorsqu’ils entrent dans la région tumorale et effectuent des contacts plus long avec leurs cibles, comparés aux cellules NK8. Par ailleurs, le contenu en molécules lytiques, granzymes et perforine, est très similaire mais avec une quantité plus importante de granulysine est exprimée par les cellules NK9. Ainsi, par leur différence de mécanismes de reconnaissance, ces deux populations lytiques peuvent éliminer une grande variété de cibles et suggèrent une complémentarité de fonction de ces cellules.

Les acteurs moins populaires 

Cependant, même si les CTL et les cellules NK ont été les premiers à être identifiés comme cellules dont la fonction principale est la cytotoxicité, d’autres populations cellulaires possédant cette activité ont été caractérisées et peuvent complémenter l’élimination des cellules altérées de l’organisme telles que les cellules T γδ et les cellules iNKT.
Les lymphocytes T γδ ont été nommés ainsi du fait de la composition de leur TCR par les chaînes γ et δ. Cette population représente 1 à 10% des lymphocytes T circulants et est abondamment présente au niveau des tissus comme la peau ou la muqueuse intestinale.
Contrairement aux lymphocytes T αβ, les T γδ sont capables d’initier rapidement la réponse immunitaire sans passer par des phases d’expansion clonale ou de différenciation10. D’un autre côté, ces cellules subissent aussi un réarrangement du TCR, avec un répertoire plus
limité pour la chaîne γ11, et une mémoire immunologique comme lors d’une réponse immunitaire adaptative12,13. Ces cellules sont qualifiées de non conventionnelles car elles reconnaissent des antigènes sous forme native, phosphorylés ou des lipides, et sans restriction aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH)14–16. Leurs mécanismes effecteurs sont similaires aux lymphocytes T αβ avec une capacité à éliminer les cellules infectées par des récepteurs de la mort (ex Fas/FasL) ou via le couple de molécules lytiques granzyme B/perforine ou encore via la production de cytokines. En revanche, par une reconnaissance d’antigènes généralement non vus par les lymphocytes T αβ, les lymphocytes T γδ jouent un rôle non redondant dans l’immunosurveillance des tissus.
D’autre part, les cellules iNKT, signifiant cellules NKT « invariantes », représentent une population particulière de lymphocytes T issus du thymus qui expriment à la fois des marqueurs de cellules NK avec un TCR semi-invariant (une chaîne α strictement conservée combinée avec un nombre limité de chaines β). Ces cellules agissent comme des sentinelles immunitaires reconnaissant des antigènes lipidiques présentés par CD1d (une molécule similaire au CMH de classe I)17,18. Les iNKT sont rapidement activés lors d’une infection et orchestrent à la fois le système immunitaire inné et adaptatif par leur production cytokinique.
Elles jouent un rôle clef dans le contrôle de l’infection et l’immuno-surveillance antitumorale19,20.
Enfin, elles sont aussi impliquées dans la protection contre certaines maladies auto-immunes21.
Par ailleurs, n’oublions pas les lymphocytes T régulateurs (Treg) ayant un rôle primordial pour le maintien de la tolérance périphérique. Ils ont été caractérisés chez l’Homme comme des lymphocytes T CD4+ exprimant constitutivement et fortement la chaîne alpha du récepteur à l’interleukine 2, CD2522. Suite à leur identification, ils ont été amplement étudiés permettantl’identification du facteur de transcription Foxp3 caractéristique de cette population et clef dans leur fonction suppressive23. Cette fonction suppressive se révèle être médiée par différents mécanismes d’actions. Quatre grands modes d’action sont possibles avec (i) les cytokines immunosuppressives (comme l’IL-10), (ii) la perturbation métabolique (comme la production d’adénosine via les ectoenzymes CD39/CD73), (iii) l’immunosuppression directe de la maturation et fonction des cellules présentatrices de l’antigène (via CTLA-4 par exemple), ou encore (iv) la cytolyse directe afin d’éliminer des APC, mais aussi des lymphocytes T effecteurs24. Cette dernière est possible grâce aux molécules lytiques granzyme B et perforine.
En revanche, la reconnaissance pour l’induction de cette lyse par les molécules lytiques n’est pas claire (en lien avec la figure 3), pour les APC, cela pourrait être médié par une reconnaissance via le TCR et le complexe peptide-CMH, mais il a aussi été démontré que la lyse peut être déclenchée par les récepteurs Trail25 ou DNAM-126.

Les nouveaux 

Aux côtés des fonctions « helper » ou suppressive, les lymphocytes T CD4+ présentant une activité cytotoxique directe en réponse à des agents pathogènes variés ont été identifiés chez l’Homme et la souris. Ces cellules pourraient potentiellement contribuer, au même titre que les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques, à la surveillance immune des cancers en induisant la lyse spécifique des cellules malignes. Ce qui représente un nouvel intérêt en tant qu’alternative aux traitements anti-cancéreux que ce soit en thérapie cellulaire ou dans la conception d’immunothérapies. L’activation et différenciation de lymphocytes T CD4+ en lymphocytes T CD4+ cytotoxiques (CD4 CTL) seront abordés plus en détails dans le chapitre II. Afin de pouvoir comparer toutes ces populations immunitaires présentant une activité cytotoxique, leurs nombres relatifs et absolus dans le sang ont été répertorié (Tableau 1). En outre, une représentation schématique reprend les principaux mécanismes de reconnaissance de la cible et les principaux médiateurs de leur activité cytotoxique (Figure 3).
Récapitulatif des pourcentages de chacune de populations immunitaires ayant une capacité cytotoxique. Ces chiffres ont été obtenus à partir d’une étude sur les populations lymphocytaires T sur une cohorte de 13 à 21 personnes saines27. a : % parmi la population totale de lymphocytes périphériques ;
b : % parmi les lymphocytes T CD4+
Ainsi, les acteurs principaux de l’activité cytotoxique immunitaire, cellules NK et CD8+ CTL, représentent les populations les plus importantes en nombre au niveau du sang périphérique.
En revanche, même si l’induction de l’apoptose se fait principalement via le couple perforine/granzyme B ou le récepteur de mort Fas, la reconnaissance de la cible est quasiment unique à chaque type cellulaire. Par exemple, cette reconnaissance peut être effectuée par une reconnaissance spécifique, restreinte au CMH de classe I ou II, ou d’autre molécules similaires au CMH, en lien avec une nature de l’antigène reconnu différente, ou par la combinaison d’autres récepteurs activateurs et inhibiteurs (KAR et KIR). De ce fait, chaque population cytotoxique démontre peu de redondance dans la reconnaissance de leurs cibles, impliquant une complémentarité dans la fonction cytotoxique globlale lors de contextes pathologiques comme les infections ou le processus tumoral.
Représentation schématique des populations cellulaires immunitaires possédant une activité de lyse. Ici est représenté la reconnaissance de la cellule cible (grise) pour sa lyse contactdépendante via la délivrance des granules lytiques ou le récepteur de mort Fas. Certaines sous-populations, parmi les cellules NK ou les lymphocytes T γδ, expriment le FcR CD16 permettant la lyse par un phénomène appelé ADCC. De plus, un point commun aux cellules NK, CD8 CTL, CD4 CTL, T γδ, et iNKT est l’expression du récepteur activateur NKG2D (faisant parti des KAR représentés ici pour les cellules NK). Par ailleurs, la présentation des cellules immunitaires ayant une capacité cytotoxique dans ce manuscrit n’est pas exhaustive. Parmi les cellules immunitaires composant l’immunité innée, il a été décrit que les neutrophiles28, les monocytes/macrophages29 mais aussi une souspopulation de cellules dendritiques30 expriment une molécule lytique clé, le granzyme B, et peuvent excercer une activité cytotoxique. En outre, récemment Wang et collaborateurs ont identifiés une nouvelle population appelée « NKB » pour des cellules B « NK-like ». En effet ces cellules expriment à la fois CD19 et un BCR mais aussi un marqueur de cellule NK, NK1.131. Les auteurs ont caractérisé une action innée très rapide avec une sécrétion de cytokines (IL-18 & IL-12). En revanche ils n’ont pas décelé d’activité cytotoxique face à une lignée de lymphome. Néanmoins, ces cellules pourraient se révéler lytiques dans d’autres contextes que le cancer, comme les infections ou encore l’autoimmunité. Pour conclure, la multiplicité des types cellulaires présentant une activité cytotoxique suggère que celle-ci est au coeur de notre système immunitaire.

Les multiples rôles de l’activité cytotoxique

Etant donné le rôle de défense du système immunitaire, cette activité cytotoxique a évidemment un rôle bénéfique envers l’organisme par l’élimination des agents pathogènes, la surveillance de processus tumoraux mais aussi pour l’homéostasie des cellules effectrices afin que la réponse immunitaire ne dégénère pas une fois le danger passé. D’un autre côté, si mal contrôlées, ces cellules cytotoxiques peuvent attaquer le soi, entraînant des maladies auto-immunes. Ainsi, j’adresserai ici les rôles de l’activité cytotoxique médiée par les cellules immunitaires précédemment présentées, avec une accentuation particulière sur les acteurs principaux, et les plus étudiés : les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques et les cellules NK.

Défense contre les infections virales, bactériennes et parasitaires

Une réponse immunitaire protectrice contre l’invasion de pathogènes, qu’ils soient d’origines virale, bactérienne ou parasitaire, consiste en un effort concerté d’une multitude de cellules effectrices innées et adaptatives. Ainsi les cellules cytotoxiques vont contribuer à la reconnaissance et l’élimination des cellules infectées de l’organisme. Les populations cellulaires plus connues pour leur activité lytique directe des cellules infectées sont les cellulesNK et les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques. Les cellules NK entrent en action rapidement, puis une fois l’armée de clones effecteurs CD8+ spécifiques activés, ceux-ci vont complémenter l’action des cellules NK. Les cellules NKT ne sont pas en reste, elles jouent aussi un rôle dans l’élimination de cellules infectées par cytotoxicité directe, dans un contexte d’infections virales32,33,34. Mis à part une activité cytotoxique bien identifiée envers les cellules infectées, la fonction lytique est aussi utilisée contre les cellules immunitaires afin de mener à bien l’infection. En effet, l’activité de lyse des cellules NK joue aussi un rôle dans l’élimination de lymphocytes T régulateurs, afin de moduler leur présence et ainsi leur activité suppressive, dans le contexte d’une infection à mycobacterium tuberculosis35. De plus, les cellules NK sont aussi capables de tempérer la réponse des lymphocytes T par lyse de ces derniers36. En effet, en l’absence de cellules NK, la réponse antivirale est plus rapide et efficace mais cela aboutit à l’émergence d’auto-immunité37. Ainsi en cas d’infection chronique, l’activité de lyse des NK permet aussi de réguler la réponse T afin d’éviter des dommages collatéraux sur les tissus sains.

Activité anti-tumorale

Burnet a été le premier scientifique à émettre le concept d’immuno-surveillance tumorale en 197038. Depuis, il a été largement admis que les mécanismes cytotoxiques exercés à la fois par des cellules immunitaires innées (comme les cellules NK) et des cellules immunitaires adaptatives (comme les CTL) contribuent à l’immunité anti-tumorale en éliminant les cellules du soi transformées ou en créant un environnement local empêchant la croissance tumorale.
Cette notion est renforcée par l’observation de souris déficientes pour le gène codant la perforine : en effet, celles-ci développent spontanément des tumeurs avec l’âge, en particulier  des lymphomes B39. De même, chez l’Homme, il a été suggéré que des mutations bi- ou monoalléliques du gène codant la perforine perturbent les mécanismes d’immuno-surveillance basés sur l’activité cytotoxique, favorisant ainsi l’émergence de lymphoproliférations malignes, telles des lymphomes B et T et la maladie de Hodgkin40. Ainsi les cellules lytiques exprimant la perforine, incluant les CTL, les cellules NK, les cellules NKT41 et les Tγδ sontnécessaires dans la surveillance immunitaire anti-tumorale.

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