Le syndrome de l’intestin irritable (SII)

Symptômes et approche diagnostique

En dépit de l’hétérogénéité du SII catégorisé en sous-types selon le transit intestinal prédominant, la douleur abdominale constitue le symptôme caractéristique du SII [2]. En effet, il s’agit pour le patient du symptôme clé associé à une diminution de la qualité de vie liée à la santé, à la sévérité de la pathologie et au recours à des soins de santé [8-10]. Cette douleur abdominale est augmentée par la prise alimentaire [2]. De ce fait, une partie importante de la population adulte générale estimée à 20 % à 45 % pense souffrir d’intolérance alimentaire et une majorité des patients avec un SII estimée à 70 % attribue leur symptôme à des évènements indésirables (EI) liés à l’alimentation [11, 12]. Dans ce cas, la douleur, de nature continue, non liée à une modification du transit intestinal, et ne pouvant être expliquée par une maladie organique, s’apparente davantage à une DAF qu’à un SII [13]. Egalement, dans la mesure où la douleur est caractéristique d’un SII, des épisodes chroniques de diarrhée et/ou constipation sans douleur s’apparentent plutôt à des diarrhées et/ou constipations fonctionnelles [1]. D’après les critères Rome III, d’autres symptômes supportant le diagnostic du SII mais ne faisant pas partie des critères diagnostiques incluent :
a) Fréquence de selles anormale (≤ 3 défécations par semaine ou > 3 défécations par jour)
b) Aspect des selles anormales avec 2 modalités possibles : grumeleuses/dures ou molles/liquides
c) Défécation anormale (effort, urgence, évacuation incomplète)
d) Passage de mucus
e) Ballonnements ou sensation de distension abdominale
Parmi ces symptômes, les ballonnements constituent un symptôme prédominant rapporté par une importante majorité des patients avec un SII estimée à 96 % [1]. De plus, la prévalence de symptômes extra-intestinaux chez les patients avec un SII est plus élevée que celle estimée chez les sujets contrôles, incluant céphalées, fatigue, myalgie, dyspareunie, fréquence urinaire ou autres symptômes urinaires, étourdissements et symptômes psychiatriques [14]. Ces symptômes sont courants au sein des patients les plus symptomatiques du SII et pourraient être dues à des conditions pathologiques chevauchantes telles que la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique ou la douleur pelvienne chronique [14-16]. L’association mise en évidence par Heitkemper et al. (2003) entre la symptomatologie du SII et la menstruation ou d’autres affections gynécologiques telles que la dyspareunie, augmente la complexité du diagnostic du SII et entraîne des actes médicaux invasifs ou chirurgicaux supplémentaires mais inutiles [17,18]. Un diagnostic efficace du SII démarre avec un interrogatoire des antécédents médicaux afin de différencier les symptômes fonctionnels des pathologies organiques et de rechercher les symptômes et signes d’alerte amenant immédiatement l’investigateur à considérer un diagnostic alternatif au SII, tel qu’une MICI ou un cancer du côlon [19 24]. Ces « drapeaux rouges » incluent une apparition des symptômes à 50 ans et plus, perte de poids non-intentionnelle, diarrhées nocturnes, anémie, sang dans les selles, antécédent familial de MICI, cancer colique ou maladie coeliaque [2, 19-24]. Ces signaux d’alerte ne concerneraient néanmoins qu’une minorité de patients (estimée à 3 %) avec une suspicion de SII [25].

Tests de diagnostic

Tout sujet avec une suspicion de SII doit faire l’objet d’un examen clinique complet et à l’exception d’une légère sensibilité au dessus du colon sigmoïde, cet examen doit être normal [19]. Toute autre anomalie détectée lors de cet examen exclut un SII dont le diagnostic différentiel des symptômes est large et peut mener à de multiples tests de diagnostic généralement inutiles (Tableau 3) [2, 19].
Ces tests diagnostiques de routine sont davantage préconisés par les cliniciens considérant que le diagnostic du SII doit être mené par un « diagnostic d’exclusion » et qui, d’après l’étude de Spiegel et al. (2010), ont eu recours en moyenne aux tests de routine 1,6 fois plus que leurs confrères ne partageant pas cet avis [26]. Un excès de dépense de 364US$ a été calculé pour établir ce diagnostic [26]. En 2009, la revue publiée par le GT-ACG-SII a établit les recommandations concernant les tests de diagnostic du SII en indiquant que les tests de diagnostic de routine ne doivent pas être menés pourles patients avec les symptômes spécifiques du SII sans les caractéristiques d’alarme (Tableau 4) [6]. En effet, à l’exception des tests pour l’intolérance au lactose et la maladie coeliaque, la prévalence des anomalies pour les autres tests de diagnostic n’est pas significativement différente entre les patients avec un SII sans les signaux d’alarme et les sujets témoins [6]. Une revue systématique suivie d’une méta-analyse portant sur 4 204 sujets a conclu que la prévalence de la maladie coeliaque, confirmée par biopsie chez les patients qui remplissent les critères de Rome III, est 4 fois supérieure à celle des sujets témoins correspondant [27].

Epidémiologie

En l’absence d’un « Gold standard » définissant le SII, les critères diagnostiques utilisés présentent une large marge d’erreur dans leur application [30, 31]. C’est pourquoi la définition des cas caractérisés lors d’études épidémiologiques représente une difficulté qui pourrait limiter la pertinence de leurs résultats [32]. De plus, en l’absence d’une approche thérapeutique bien établie malgré les nombreux traitements proposés en vente libre et tenant compte également que certains patients ne suivent aucune médication, les données issues des prescriptions représentent un intérêt limité [32]. Une minorité des patients est admise à l’hôpital avec un SII ou diagnostiqué comme tel durant leur admission [31]. Dans la mesure où le SII n’est pas considéré comme une cause de mortalité, les données hospitalières ne sont également pas d’un grand intérêt pour définir les cas [32, 33]. Une attention particulière doit de ce fait être apportée à la méthodologie employée pour la définition et la constatation des cas qui peut impacter significativement le nombre de cas rapportés
[32].

Incidence

Dans la mesure où les symptômes associés au SII sont couramment décrits au sein de la population, il est fréquent que leur survenue n’aboutisse pas à une prise en charge médicale [34, 35]. En conséquence, il existe un écart entre l’incidence de la première occurrence des symptômes et le diagnostic du SII établi par un médecin expliquant le faible nombre d’études destinées à estimer une incidence du SII [34]. Une étude américaine publiée en 1992 a estimé l’incidence du SII en mesurant la première occurrence des symptômes du SII par la réalisation de deux études de cohorte à un an d’intervalle et a conclu à un taux d’incidence de 67 pour 1000 sujets/an [36]. Néanmoins les trois autres études d’incidence publiées à ce jour et ayant opté pour définir les cas comme le premier diagnostic du SII par un médecin ont fourni des estimations plus prudentes d’environ 2 pour 1000 sujets/an [37-39].

Prévalence globale

La prévalence globale du SII au sein d’une communauté donnée se situe entre 10 % et 25 % [32]. Les estimations de prévalence pour le SII varient de façon importante au niveau international, à la fois à l’intérieur et entre les pays (Figure 1 – Tableau 5) [32]. La considérable hétérogénéité existant entre les études épidémiologiques s’explique d’une part par les différences méthodologiques et d’échantillonnage et d’autre part par l’utilisation de critères différents pour définir le SII plutôt que d’un biomarqueur de référence [32]. La majorité des études traitant la prévalence du SII sont des enquêtes communautaires réalisées essentiellement en Europe, Asie du Sud-Est et en Amérique du Nord [32]. Une méta-analyse publiée par Lovell et al. (2012) conclut à une estimation globale de la prévalence du SII de 11,2 % (IC 95 % : 9,8-12,8) avec des variations par région géographique, la plus faible en Asie du Sud (7 %) et la plus élevée en Amérique du Sud (21 %) [40]. Enfin, la prévalence ne varie pas significativement selon l’année calendaire pendant laquelle les études ont été réalisées [40].

Prévalence en soins primaires

Les estimations de la proportion de patients avec un SII qui consultent un médecin pour leurs symptômes varient entre 10 % à 70 % [41, 42]. En Angleterre, la prévalence est de 30 % à 50 % et varie également en Allemagne mais de façon plus importante où elle est comprise entre 10 % et 50 % [41, 43-45]. En effet, en interrogeant les sujets s’ils se rappellent avoir consulté un médecin pour leurs symptômes, la proportion de patients varie de façon importante selon le pays européen [32].
La proportion la plus importante se situe en Italie avec 50 % et la plus faible en France, Suisse et en Espagne avec 10 % [41]. Une limitation de ces études vient du fait qu’elles reposent sur le souvenir des sujets, néanmoins les différences observées pourraient refléter des différences dans les critères diagnostiques employés, l’acceptabilité des symptômes perçus et la facilité d’accès aux soins qui peuvent varier selon le système de santé [32]. Les études américaines rapportent uniformément une proportion de 30 % de sujets consultant pour leurs symptômes et 80 % d’entre eux sont diagnostiqués avec un SII-D [41, 46]. De plus, le SII représente à lui seul aux Etats-Unis 40 % desmotifs de consultation en gastro-entérologie [47]. En outre, la comorbidité psychiatrique chez les patients avec un SII (dépression majeure, trouble d’anxiété et troubles somatoformes) concerne 48 % à 60 % des patients suivis en consultation gastro-entérologique et jusqu’à 70 % des patients suivis dans les centres de soins tertiaires [48, 49]. Enfin, il n’existe pas de différences significatives dans les symptômes gastro-intestinaux entre les patients qui consultent et ceux qui ne le font pas [50]. Parmi ceux qui consultent, des scores de douleur plus élevés, des niveaux plus élevés d’anxiété ainsi qu’une réduction plus importante de la qualité de vie sont présents [51].

Marqueurs et facteurs de risque

La prévalence du SII est tout d’abord plus importante chez les femmes que chez les hommes avec un rapport compris entre 1,5 à 3 pour 1 [3, 52, 53]. De plus, la prévalence globale mondiale du SII chez la femme est 67 % plus importante que chez les hommes (OR=1,67 ; IC 95 % : 1,53-1,82).
Néanmoins cette différence relative correspond à une différence absolue de seulement 5 % entre les sexes, avec une prévalence chez la femme de 14 % (IC95 % : 11,0-16,0) en comparaison à celle des hommes de 8.9 % (IC95 % : 7,3-10,5) [54]. Le SII survient dans tous les groupes d’âge, incluant les enfants et les personnes âgées et aucune différence n’a été observée en termes de fréquence des sous-types par âge [55, 56]. Cependant, 50 % des patients avec un SII rapporte avoir perçu la première survenue des symptômes avant l’âge de 35 ans [40]. Cette prévalence est 25 % plus faible chez ceux âgés de plus de 50 ans [57]. Ces données pourraient suggérer une rémission du SII avec le temps, idée contraire à celle actuellement et généralement acceptée que le SII présente un caractère chronique, dans la mesure où sa prévalence n’est pas constante ou croissante avec l’âge [32]. Un faible statut socio-économique a également été avancé comme facteur de risques en montrant son association avec le SII par Drossman et al. (1993) [46]. Association par ailleurs soutenue par la théorie établissant qu’un faible revenu est associé avec de plus faibles résultats des soins de santé, une moindre qualité de vie et davantage de facteurs de stress [58]. De plus, l’absence d’emploi et le statut marital (non marié) ont été rapportés comme étant associés au SII [59].
Cependant, ces résultats sont en contradiction avec ceux des études menées ultérieurement et concluant qu’appartenir à un groupe socio-économique élevé durant l’enfance est associé avec une plus grande prévalence de SII [60, 61]. L’étude de Grodzinsky et al. (2012) étaye ces conclusions montrant une proportion plus importante du SII chez les sujets occupant des postes de cadres spécialistes ou gestionnaires percevant un niveau de stress plus élevé que les fonctions manuelles
[62]. Cette étude confirme également les arguments d’études précédentes concluant que le SII est un trouble de l’industrialisation et de l’urbanisation, tel que cela est observé en Asie, Amérique du Sud et Afrique [63]. De plus, ces résultats s’expliqueraient par le fait que les groupes à plus hauts revenus possèdent un accès facilité aux services de soins permettant le diagnostic ou qu’ils sont sujets à une plus grande internalisation du stress [64, 65]. Enfin, les antécédents familiaux sont considérés comme un facteur de risque de SII puisqu’avoir un parent diagnostiqué double le risque relatif d’apparition de ce syndrome [66]. Les études de jumeaux montrent qu’avoir une mère ou un père avec un SII est un facteur de risque indépendant d’apparition [67]. Néanmoins, la concordance des jumeaux monozygotes, c’est-à-dire la proportion de paires de jumeaux qui présentent tous les deux un SII, est inférieure à 20 % et l’association observée est significativement réduite en partitionnant les données ou data-clustering par famille après ajustement par la somatisation [67- 69]. Ces résultats pourraient suggérer que le facteur de l’hérédité pourrait être plus étroitement lié au comportement acquis qu’à des facteurs génétiques [70].

Enjeux de santé publique

Tout d’abord, le SII constitue un véritable fardeau pathologique pour les patients qui présentent une diminution significative de la qualité de vie liée à la santé mesurée par le score de qualité de vie HRQOL, en comparaison avec des sujets sains ou des patients présentant un reflux gastrooesophagien, diabétiques ainsi que des patients atteints de pathologies rénales en phase terminale [71, 72]. De plus, une étude canadienne rétrospective et naturaliste d’une durée d’un an a confirmé cette diminution globale de la qualité de vie des patients en mesurant le score au questionnaire validé de qualité de vie pour le SII (IBS-QOL) [73, 74]. Cette étude a révélé que l’évitement alimentaire et l’inquiétude liée à leur état de santé constituaient les préoccupations majeures des
patients [74]. La qualité de vie dans le SII est liée à la douleur abdominale, les symptômes extraintestinaux et les craintes liées à leur état de santé [71,75]. Les autres symptômes gastro-intestinaux et facteurs démographiques (âge, genre, statut marital) ne prédisent en effet pas de façon significative le HRQOL dans le SII [76]. Des travaux concernant d’autres indicateurs de la recherche de soins de santé pour un SII mettent l’accent sur des variables psychologiques comme anxiété, dépression, maltraitance, troubles du comportement, somatisation et préoccupations concernant la santé [77, 78]. En outre, les marqueurs de la sévérité du SII, pouvant être estimée par le score HRQOL générique, incluent la douleur abdominale, les ballonnements, l’effort ou l’urgence à la défécation, les myalgies ainsi que les inquiétudes liées à l’état de santé [76, 79]. Le SII diminue également la qualité de vie des patients en affectant significativement leurs interactions sociales et leurs opportunités professionnelles [80]. D’autre part, le SII représente un fardeau

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