Les huit grandes étapes de la Conférence Ouverture de la Conférence, 15 novembre 1884
Séance inaugurale présidée par le Chancelier Bismarck, qui commence en déclarant vouloir associer les indigènes à la civilisation, ouvrir le continent au commerce et à l’instruction, et enfin résoudre le problème de l’esclavage. Il présente le programme de la Conférence : premièrement, assurer la liberté de commerce dans le bassin du Congo et ses embouchures ; deuxièmement, assurer la liberté de navigation sur les fleuves Congo et Niger ; troisièmement, préciser les conditions de prise de possession de nouvelles terres. Bismarck exprime le désir d’ouvrir les territoires inoccupés et inexplorés à la civilisation. Il donne la parole à Sir Edward Malet, qui affirme que les vues du gouvernement anglais s’accordent avec celles exprimées par Bismarck et remarque que les indigènes ne sont pas représentés au sein de la Conférence. Malet plaide pour la liberté totale du commerce dans la zone concernée et demande d’envisager l’extension de la liberté de commerce au Sénégal et au fleuve Zambèze. Les Portugais (présents au Mozambique) et les Français (présents au Sénégal) y sont hostiles.
19 novembre 1884
Cette séance est présidée par Heinrich von Kusserow, en l’absence de Bismarck, excusé pour raisons de santé. Le débat ouvre sur la question capitale du fleuve Congo. Le président donne la parole au marquis de Penafiel car le Portugal a la plus longue expérience de l’Afrique. Le Portugal est d’accord avec l’idée de liberté de commerce. Mais il veut d’abord assurer le contrôle des côtes entre 5°12 et 8° de latitude sud. Les deux délégués américains Kasson et Sanford présentent le point de vue de leur gouvernement, ils sont d’accord avec la liberté du commerce. Ils parlent en faveur de l’Association internationale du Congo de Léopold II car les Américains ont déjà reconnu l’État du Congo dans un accord avec le roi des Belges. Ils demandent la plus grande extension possible du territoire.
20 novembre 1884
Comment définir les limites du bassin du Congo ? Séance technique présidée par le baron Chodron de Courcel selon le souhait de Bismarck. Le président de séance demande aux délégués belges de s’exprimer en premier car ils sont les plus concernés. Les représentants américains font venir l’explorateur Stanley, recruté à l’époque par Sanford et aux ordres de Léopold II, qui rentre de quatre années au Congo et déclare n’avoir jamais rencontré de traces de civilisation du lac Victoria jusqu’à l’Atlantique. Son intervention porte sur la liberté de commerce total sur le Congo et le problème de l’accès des bateaux à la côte atlantique du fait des rapides. Stanley propose d’utiliser l’affluent Ogooué qui coule à travers le Gabon (France). Il prône « le bassin commercial étendu », qui devrait produire 10 millions de livres annuelles, mais ses estimations sont infondées. Selon Stanley, construire un chemin de fer entre Stanley Pool et l’océan coûterait trop cher. Le baron de Courcel n’est pas d’accord. Malet déclare qu’il existe entre le Gabon et l’Angola un littoral libre qui devrait constituer le littoral du bassin commercial du Congo. Ce serait l’intérêt du commerce universel. Noël Ballay, ancien équipier de Savorgnan de Brazza, apporte des précisions sur l’Ogooué et ses terres difficilement praticables. Stanley dit qu’en 1881, Brazza lui-même lui a conseillé d’utiliser l’Ogooué. Edouard de Launay intervient pour dire qu’il y a trop de zones blanches et d’imprécisions sur la carte pour fixer des limites. La séance est levée.
24 novembre 1884
Déclaration du délégué belge, le baron François-Auguste Lambermont : le roi des Belges demande la plus grande extension possible du bassin commercial, notamment vers l’Est jusqu’à l’Océan Indien. L’Américain Kasson propose qu’on retienne à l’ouest la proposition de Stanley, puis qu’on trace à l’est une ligne à 1° de la côte orientale jusqu’au Zambèze, puis qu’on suive à partir du Zambèze la ligne de partage des eaux entre les fleuves Zambèze et Congo jusqu’à l’Atlantique. Le délégué allemand Kusserow acquiesce. Pas Chodron à l’ouest à cause des possessions au sud du Gabon, ni Penafiel à l’est car cela toucherait aux possessions du Portugal et du sultan de Zanzibar, non représenté à la Conférence mais allié des Britanniques. Chodron propose de ne pas fixer de limite à l’est mais de respecter les souverainetés existantes.
29 novembre 1884
Témoignage technique d’Adolph Woermann, convié par la délégation allemande. Ce négociant et armateur de Hambourg commerce sur les côtes africaines avec ses douze voiliers et un steamer. Il voudrait parler de l’ensemble de l’Afrique équatoriale pour la liberté commerciale. Les Français devraient accepter la proposition sur l’Ogooué. Chodron, ayant appris que la Grande-Bretagne reconnaît toute liberté de commerce sur le Niger, cède sur l’Ogooué.
Autres séances techniques.
Selon le délégué belge, le bassin commercial devrait s’étendre des crêtes du Nil au nord, au lac Tanganika à l’est, et du Zambèze et de la Lodgé au sud, en allant jusqu’à l’Océan Indien, en respectant les souverainetés. Pas de droit d’entrée ni de transit pour les marchandises apportées. Vote favorable des membres de la Conférence.
Par ailleurs, il est prévu la neutralité du bassin commercial en cas de guerre, la protection des missionnaires, et la garantie du passage du télégraphe et du courrier.
La question de l’alcool et des spiritueux est débattue au sujet de la protection morale des Africains.
18 décembre 1884
Le débat concerne l’avenir et le salut des races indigènes, questions cruciales selon Léopold II, notamment du fait des ravages de l’alcool, selon le délégué belge Lambermont, qui présente une motion. Les puissances doivent s’entendre pour interdire le négoce de l’alcool. On prévoit des négociations ultérieures sur le sujet. Le Portugais de Penafiel demande aussi l’interdiction des fouets, etc. Malet propose l’interdiction de la traite maritime et le commerce des esclaves. Il demande un acte applicable dans le monde entier, indépendant de la Conférence. Le représentant espagnol propose de créer un tribunal au Congo pour juger les patrons de bateaux négriers, proposition non retenue. La Grande-Bretagne, première puissance abolitionniste, soutient en effet Zanzibar, première puissance négrière. Le Français Noël Ballay soumet deux articles : les territoires du bassin du Congo ne pourront servir de marché à la traite ; les puissances déclareront vouloir mettre fin à la traite. En fait, ils vont instaurer le travail forcé (notamment pour la construction de routes et de ports), et non rémunéré.
Suspension des travaux de la Conférence en raison des fêtes de fin d’année.
7 janvier 1885
Présidence de l’Allemand Heinrich von Kusserow. Il propose d’aborder les règles d’occupation des côtes de l’Afrique. Propositions : les puissances voulant acquérir des territoires devront le notifier aux autres puissances pour leur permettre de s’informer ou de protester. Elles établiront une juridiction suffisante pour établir la paix et garantir la liberté de commerce. Il s’agit de favoriser les occupations effectives et non nominales – la Grande-Bretagne, première visée, demande des règles d’occupation pour l’Afrique toute entière. Il faudrait joindre à la notification d’occupation une description sommaire des territoires nouvellement occupés. Les États-Unis demandent que l’on agisse de même pour les possessions actuelles. Refus de la France, incapable de préciser ses limites territoriales en Afrique ; seules les occupations nouvelles seront concernées. L’île de Madagascar est exclue des dispositions. Le marquis de Penafiel demande l’interdiction de posséder des esclaves, demande refusée. Intervention du représentant ottoman : les décisions de la Conférence ne sauraient concerner les territoires au nord et à l’est de l’Afrique, donc pas l’Égypte.
Tous les accords n’apparaissent pas dans le protocole officiel. Ni le partage secret du Golfe de Guinée entre tous les participants, ni l’attribution de la future Afrique de l’Ouest à l’Allemagne, ni celle du Cabinda, province du nord de l’Angola, au Portugal…
L’article 35 de l’Acte final définit l’occupation effective. Cela déclenche une course généralisée aux frontières. L’Association internationale du Congo sort victorieuse de cet accord ; Léopold II a, en outre, agrandi unilatéralement la carte du Congo pour y intégrer le Katanga.
26 février 1885, séance de clôture
Présidence de Bismarck. Le chancelier exprime ses regrets de n’avoir pu beaucoup participer aux débats. Il prend acte de l’adhésion de l’Association internationale du Congo aux résolutions de la Conférence. Il fait la synthèse des accords obtenus et exprime ses remerciements au nom de l’Empereur. Séance de signature des trente-huit articles de l’Acte sur le Congo.
Acte final de la Conférence de Berlin (26 février 1885)
« Au nom de Dieu Tout-Puissant, Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne, Roi de Prusse, Sa Majesté l’Empereur d’Autriche, Roi de Bohème, etc., et Roi apostolique de Hongrie, Sa Majesté le Roi des Belges, Sa Majesté le Roi de Danemark, Sa Majesté le Roi d’Espagne, le Président des États-Unis d’Amérique, le Président de la République Française, Sa Majesté la Reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, Impératrice des Indes, Sa Majesté le Roi d’Italie, Sa Majesté le Roi des Pays-Bas, Grand Duc de Luxembourg, etc., Sa Majesté le Roi de Portugal et des Algarves, etc., Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies, Sa Majesté le Roi de Suède et Norvège, etc., et Sa Majesté l’Empereur des Ottomans, Voulant régler, dans un esprit de bonne entente mutuelle, les conditions les plus favorables au développement du commerce et de la civilisation dans certaines régions de l’Afrique, et assurer à tous les peuples les avantages de la libre navigation sur les deux principaux fleuves africains qui se déversent dans l’océan Atlantique; désireux, d’autre part, de prévenir les malentendus et les contestations que pourraient soulever à l’avenir les prises de possession nouvelles sur les côtes de l’Afrique, et préoccupés en même temps des moyens d’accroître le bien-être moral et matériel des populations indigènes, ont résolu, sur l’invitation qui leur a été adressée par le gouvernement impérial d’Allemagne, d’accord avec le Gouvernement de la République Française, de réunir à cette fin une Conférence à Berlin, et ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir :
(Suivent les désignations.)
Lesquels, munis de pleins pouvoirs, qui ont été trouvés en bonne et due forme, ont successivement discuté et adopté :
1° Une déclaration relative à la liberté du commerce dans le bassin du Congo, ses embouchures et pays circonvoisins, avec certaines dispositions connexes ;
2° Une déclaration concernant la traite des esclaves et les opérations qui, sur terre ou sur mer, fournissent des esclaves à la traite ;
3° Une déclaration relative à la neutralité des territoires compris dans le bassin conventionnel du Congo ;
4° Un acte de navigation du Congo, qui, en tenant compte des circonstances locales, étend à ce fleuve, à ses affluents et aux eaux qui. leur sont assimilées, les principes généraux énoncés dans les articles 108 à 116 de l’acte final du Congrès de Vienne et destinés à régler, entre les puissances signataires de cet acte, la libre navigation des cours d’eau navigables qui séparent ou traversent plusieurs États, principes conventionnellement appliqués depuis à. des fleuves de l’Europe et de l’Amérique, et notamment au Danube, avec les modifications prévues parles traités de Paris de l856, de Berlin de 1878 et de Londres de 1871 et de 1883 ;
5° Un acte de navigation du Niger, qui, en tenant également compte des circonstances locales, étend à ce fleuve et à ses affluents les mêmes principes inscrits dans les articles 108 à 116 de l’acte final du Congrès de Vienne;
6° Une déclaration introduisant dans les rapports internationaux des règles uniformes relatives aux occupations qui pourront avoir lieu à l’avenir sur les côtes du continent africain.
Et ayant jugé que ces différents documents pourraient être utilement coordonnés en un seul instrument, les ont réunis en un Acte général composé des articles suivants :
Déclaration relative à la liberté du commerce dans le bassin du Congo, ses embouchures et pays circonvoisins, avec certaines dispositions connexes
Article premier.
Le commerce de toutes les nations jouira d’une complète liberté :
1° Dans tous les territoires constituant le bassin du Congo et de ses affluents. Ce bassin est délimité par les crêtes des bassins contigus, à savoir, notamment : les bassins du Niari, de l’Ogoué, du Schari et du Nil, au nord; par la ligne de faite orientale des affluents du lac Tanganyka, à l’est ; par les crêtes des bassins du Zambèze et de la Logé, au sud. Il embrasse, en conséquence, tous les territoires drainés par le Congo et ses affluents, y compris le lac Tanganyka et ses tributaires orientaux ;
2° Dans la zone maritime s’étendant sur l’océan Atlantique depuis le parallèle situé par 2° 30′ de latitude sud jusqu’à l’embouchure de la Logé.
La limite septentrionale suivra le parallèle situé par 2° 30′ depuis la côte jusqu’au point où il rencontre le bassin géographique du Congo, en évitant le bassin de l’Ogoué, auquel ne s’appliquent pas les stipulations du présent Acte.
La limite méridionale suivra le cours de la Logé jusqu’à la source de cette rivière et se dirigera de là vers l’Est jusqu’à la jonction avec le bassin géographique du Congo ;
3° Dans la zone se prolongeant à l’est du bassin du Congo, tel qu’il est délimité ci-dessus jusqu’à l’océan Indien, depuis le 5° de latitude nord jusqu’à l’embouchure du Zambèse, au sud ; de ce point, la ligne de démarcation suivra le Zambèse jusqu’à cinq milles en amont du confluent du Shiré et continuera par la ligne de faîte séparant les eaux qui coulent vers le lac Nyassa des eaux tributaires du Zambèse, pour rejoindre enfin la ligne de partage des eaux du Zambèse et du Congo.
Il est expressément entendu qu’en étendant à cette zone orientale le principe de la liberté commerciale, les Puissances représentées à la Conférence ne s’engagent que pour elles-mêmes et que ce principe ne s’appliquera aux territoires appartenant actuellement à quelque État indépendant et souverain qu’autant que celui-ci y donnera son consentement. Les Puissances conviennent d’employer leurs bons offices auprès des gouvernements établis sur le littoral africain de la mer des Indes afin d’obtenir ledit consentement et, en tout cas, d’assurer au transit de toutes les nations les conditions les plus favorables.
Article 2.
Tous les pavillons, sans distinction de nationalité, auront libre accès à tout le littoral des territoires énumérés ci-dessus, aux rivières qui s’y déversent dans la mer, à toutes les eaux du Congo et de ses affluents, y compris les lacs, à tous les ports situés sur les bords de ces eaux, ainsi qu’à tous les canaux qui pourraient être creusés à l’avenir dans le but de relier entre eux les cours d’eau ou les lacs compris dans toute l’étendue des territoires décrits à l’article premier. Ils pourront entreprendre toute espèce de transports et exercer le cabotage maritime et fluvial, ainsi que la batellerie sur le même pied que les nationaux
Article 3.
Les marchandises de toute provenance importées dans ces territoires, sous quelque pavillon que ce soit, par la voie maritime ou fluviale ou par celle de terre, n’auront à acquitter d’autres taxes que celles qui pourraient être perçues comme une équitable compensation de dépenses utiles pour le commerce et qui, à ce titre, devront être également supportées par les nationaux et par les étrangers de toute nationalité.
Tout traitement différentiel est interdit à l’égard des navires comme des marchandises.
Article 4.
Les marchandises importées dans ces territoires resteront affranchies de droit d’entrée et de transit.
Les Puissances se réservent de décider, au terme d’une période de vingt années, si la franchise d’entrée sera ou non maintenue.
Article 5.
Toute Puissance qui exerce ou exercera des droits de souveraineté dans les territoires susvisés ne pourra y concéder ni monopole ni privilège d’aucune espèce en matière commerciale.
Les étrangers y jouiront indistinctement, pour la protection de leurs personnes et de leurs biens, l’acquisition et la transmission de leurs propriétés mobilières et immobilières et pour l’exercice des professions, du même traitement et des mêmes droits que les nationaux.
Dispositions relatives à la protection des indigènes, des missionnaires et des voyageurs, ainsi qu’à la liberté religieuse.
Article 6.
Toutes les Puissances exerçant des droits de souveraineté ou une influence dans lesdits territoires s’engagent à veiller à la conservation des populations indigènes et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles d’existence et à concourir à la suppression de l’esclavage et surtout la traite des noirs ; elles protégeront et favoriseront, sans distinction de nationalités ni de cultes, toutes les institutions et entreprises religieuses, scientifiques ou charitables. créées et organisées à ces fins ou tendant à instruire les indigènes et à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la civilisation.
Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs escortes, avoir et collections, seront également l’objet d’une protection spéciale.
La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers. Le libre et public exercice de tous les cultes, le droit d’ériger des édifices religieux et d’organiser des missions appartenant à tous les cultes ne seront soumis à aucune restriction ni entrave.