Se retirer une épine du pied
« Nous n’avons pas conçu Pinterest avec l’idée d’en faire une grande entreprise, nous l’avons développé avant tout pour nous-mêmes et c’est sûrement pour cette raison que ça a marché », m’expliquait en septembre 2013 Evan Sharp, l’un des trois cofondateurs de Pinterest.
Lorsqu’Evan rencontre Ben Silbermann et Paul Sciarra, ceux-ci travaillent déjà sur une application mobile du nom de Tote, dédiée au shopping, alors qu’Evan occupe de son côté un poste de designer chez Facebook. Les futurs associés se trouvent plusieurs points communs, comme celui d’être des collectionneurs. Si Ben collectionne les insectes et les cartes de base-ball, Evan, alors étudiant en architecture, a pour habi tude d’amasser un grand nombre d’images qu’il a d’ailleurs du mal à organiser.1
Et c’est justement à ce problème que s’attaquent les trois associés, tandis que la plupart des réseaux sociaux de l’époque proposent essentiellement des fonctionnalités de partage entre amis. Une cinquantaine de prototypes seront néces saires pour arriver au résultat du fameux tableau de liège vir tuel de Pinterest. En mars 2010, le site ouvre auprès d’un petit groupe d’amis et de collègues. Il permet désormais aux fon dateurs, ainsi qu’à leurs amis designers et architectes, d’orga niser leurs nombreuses images en différentes rubriques – ou dans le langage de Pinterest : de les épingler sur des tableaux (« boards »).
Les idées organiques
Comme les fondateurs de Pinterest, c’est en s’inspirant de ses expériences personnelles que Sahil Lavingia trouve ses idées de start-up. À seulement 19 ans, ce petit génie de l’informatique a déjà été impliqué dans les succès de plusieurs start-up, parmi lesquelles TurnTable et Pinterest – qu’il intègre, pour la seconde, en tant que designer en 2010. Deux ans plus tard, il lance GumRoad, sa propre start-up, avec l’idée de simplifier la vente de produits numériques sur les réseaux sociaux. Sahil se définit lui-même comme un « résolveur de problèmes ». Cha- cun de ses projets poursuit le même objectif : celui d’enlever une épine du pied de ses futurs utilisateurs. Pour trouver de nouvelles idées, Sahil ne s’assoit pas en attendant qu’elles lui viennent à l’esprit. Il s’agit à chaque fois de s’attaquer à un pro- blème qu’il a déjà rencontré personnellement. Cette phrase de Sahil résume bien la mentalité avec laquelle il aborde ses nouveaux projets, et qui devrait être la devise de tout entre-preneur:
« Dans tous les cas je sais qu’il y aura toujours au moins un utilisateur de mon produit: moi.» 1
Développer un prototype autour de son « unité atomique »
Pour se concentrer, dès la création d’un premier prototype, sur ce qui est réellement important, le célèbre investis seur Fred Wilson conseille de passer du temps à définir son « unité atomique ». Sur son blog, Wilson définit cette unité comme «l’objet le plus fon damental de votre produit» et cite plusieurs exemples. En voici quelques-uns :
•• Pour Twitter, l’unité atomique est le Tweet.
•• Pour Tumblr, l’unité atomique est le Post.
•• Pour Codecademy, l’unité atomique est la Leçon.
•• Pour Etsy, l’unité atomique est l’Objet.
•• Pour Kickstarter, l’unité atomique est le Projet.
•• Pour Disqus, l’unité atomique est le Commentaire.
•• Pour Instagram, l’unité atomique est la Photo.
•• Pour LinkedIn, l’unité atomique est le CV.
•• Pour Dropbox, l’unité atomique est le Fichier.
Comme le souligne Fred Wilson, l’important est de ne pas se retrouver avec plusieurs unités atomiques, au moins au début.
« Si vous pensez avoir trois ou quatre unités atomiques, vous allez vous retrouver au final avec quelque chose de lourd et compliqué, ce que vous voulez à tout prix éviter avec votre MVP (Minimum Viable Product), surtout si vous êtes avant tout mobile first» écrit- il.1
Jan Koum, quant à lui, en a assez de ne jamais pouvoir se souvenir de ses identifiants et mots de passe Skype. Ces oublis répétitifs le conduisent à se créer plusieurs comptes sur le service de vidéoconférence, ce qui, il en est convaincu, n’est pas le meilleur moyen pour se connecter à un service. Même constat lorsqu’il s’agit d’ajouter des contacts, c’est à l’utilisateur de retrouver un à un ses amis. Lorsque l’iPhone sort, Jan a alors l’idée d’utiliser le répertoire de contacts de l’appareil pour en faire un réseau social mobile prérempli avec ses contacts, le rendant immédiatement opérationnel.
WhatsApp est né ! Par la suite, l’appli évolue rapidement pour n’être dédiée qu’à la messagerie instantanée. Le numéro de téléphone devenant l’unique identifiant, plus besoin pour un utilisateur d’ajouter manuellement ses amis. C’est sans aucun doute cette simplicité et cette quasi-instantanéité d’utilisation qui permettent à l’application de connaître un tel succès. Jan a voulu simplifier la vie de ses utilisateurs car il savait mieux que quiconque à quel point ce problème d’identifiants lui avait été pénible.
« Nous voulions créer une application que même votre grand-mère pourrait utiliser» 2, résume-t-il.
Il faut croire qu’avoir la tête en l’air est un défaut partagé par beaucoup d’entrepreneurs à succès. C’est en effet en constatant qu’il oublie régulièrement sa clé USB, alors qu’il est encore étudiant au MIT, que Drew Houston, (futur) créa-teur de Dropbox, se dit qu’il y a sans doute quelque chose de mieux à inventer. Il réfléchit à une solution qui serait à la fois plus simple et plus performante que les clés USB et ser- vices cloud de l’époque. De cette réflexion, naît DropBox, un service de stockage en ligne rendant désormais accessibles des données depuis n’importe quel appareil connecté au web. Il y travaille jour et nuit avec Arash Ferdowsi. Les deux fondateurs n’ont alors qu’une idée en tête : bâtir un produit simple à utiliser en rendant son fonctionnement pratiquement invisible pour l’utilisateur. Après plus de 90 jours de travail acharné, ils développent les fonctionnalités-clés de la future plateforme. DropBox est officiellement lancé en 2008 lors de la conférence annuelle TechCrunch50. Elle devient rapidement l’une des plateformes de stockage en ligne les plus populaires auprès du grand public, notamment grâce à sa simplicité d’utilisation et à un fonctionnement entière ment autonome.
Jan et Drew ont réussi leur pari : leurs utilisateurs peuvent oublier leurs identifiants et leurs clés USB… En se retirant une épine du pied, ils ont en même temps réussi à simplifier la vie de millions de personnes. Ces idées, lorsqu’elles sont issues d’une expérience personnelle, sont qualifiées d’«orga niques» par le fon dateur de l’incubateur Y Combinator. Selon lui, mettre en œuvre ce type d’idées simplifie énormément la tâche d’un entrepreneur en matière d’acquisition d’utilisateurs puisqu’il s’agit pour lui de « trouver ses pairs, ce qui est en général plus simple» écrit- il1. Résoudre un problème que l’on rencontre soi-même permet souvent de mieux comprendre les attentes des futurs clients et donc d’obtenir davantage de chances de développer un service que des gens voudront réel lement utiliser. L’inverse explique malheureusement souvent l’échec d’une start-up.
Les différents types de problèmes
Le problème ressenti par un client peut s’exprimer de diffé rentes manières. C’est ce que détaillent Steve Blank et Bob Dorf dans leur guide pratique The Startup Owner’s Manual en établissant une classification des différents types de pro blèmes rencontrés selon les clients :
« • Un problème latent : ils ont un problème mais n’en sont pas conscients.
•• Un problème passif : ils sont conscients du problème mais n’ont pas la motivation ou ne savent pas qu’il existe une possibilité d’y remédier.
•• Un problème actif (ou urgent) : ils reconnaissent avoir un problème ou un désir et sont à la recherche d’une solution mais n’ont encore rien fait de concret pour y remédier.
•• Une vision : ils ont une idée de comment résoudre le pro blème et ont même concocté une solution maison, mais sont prêts à payer si on leur en présente une meilleure. »