Etude des conditions de régénération et de multiplication massale in vitro chez Moringa oleifera (Lam)

INTRODUCTION

Le Sénégal est un pays qui se trouve dans la région sahélienne, région confrontée à des sécheresses récurrentes dues surtout à la péjoration des conditions du climat global et à l’action anthropique. L’aridification a entraîné au cours de ces dernières décennies, des érosions massives et par conséquent l’avancée du désert dans la zone sahélienne. Selon l’ONU (1980), la surface totale exposée à la désertification dans le monde a été évaluée à 32 millions de Km², dont 60% était déjà désertifiée, et la situation ne cesse de s’aggraver depuis lors.
De nos jours, la désertification transforme en biotopes désertiques quelques 6 millions d’hectares par an dans le monde.
De même, l’aridification du climat combinée à l’action anthropique a entraîné la destruction de nombreux écosystèmes forestiers. Selon les données satellitaires, la déforestation affecte actuellement plus de 200000 Km². A ce rythme la totalité des forêts tropicales pourrait disparaître au cours du prochain demi- siècle.
Toutes ces contraintes entraînent aussi dans les régions tropicales et subtropicales une dégradation irréversible et progressive des surfaces cultivées. Face à cette avancée du désert, aux sécheresses de plus en plus fréquentes, à la dégradation des sols et à la prise de conscience de l’humanité depuis 1980 de la nécessite de préserver l’environnement pour un développement durable, les pays situés en zone sahélienne ont tenté de mener des actions pour lutter contre ces phénomènes.
C’est dans ce cadre que le Sénégal, à l’instar des pays du monde entier, mène depuis des années des actions pour atténuer la progression de l’avancée du désert en régénérant les forêts et en renouvelant le tapis végétal.
Pour ce faire, un certain nombre de plantes bien adaptées ont été ciblées. C’est le cas des espèces forestières telles que Acacia, Eucalyptus, Prosopis, Moringa oleifera…Cette dernière constitue une plante bien adaptée aux conditions climatiques dégradantes pour lutter contrece fléau. Et l’on sait qu’il y a une campagne de reboisement de 10 millions de pieds de Moringa dans la région de Fatick.
C’est dans cette optique que nous nous sommes proposé d’étudier les potentialités organogénétiques en culture in vitro du Moringa pour satisfaire les besoins en plants destinés au reboisement à grande échelle.
En effet, Moringa est une plante vasculaire poussant dans toutes les régions tropicales et subtropicales, exigeant le minimum de conditions climatiques (250 mm de pluie par an, peut résister jusqu’à 48ºC à l’ombre, tolère une large variété de sols) et ayant des capacités d’adaptations exceptionnelles. En plus, ses vertus nutritionnelles, thérapeutiques et industrielles ne sont plus à démontrer d’où les appellations « viande végétale », « plante miracle » et « l’arbre qui purifie ».

RAPPELS BIBLIOGRAPHIQUES

Généralités sur le Moringa

Le Moringa oleifera ou nébèday était connu depuis très longtemps, à l’époque des civilisations égyptienne, romaine et grecque, où l’on utilisait son huile dans la fabrication des parfums et pour protéger la peau. Au 19e siècle, des planteurs des Iles Caraïbes exportaient l’huile extraite de ses graines, (connu sous le nom huile Ben) vers l’Europe où elle était utilisée en cosmétologie et pour la fabrication des montres. Mais actuellement son utilisation est globale du fait de ses intérêts multiples. Le Moringa est surnommé, du fait de ses multiples potentialités, de : « l’arbre du paradis » dans le dialecte Moré du Burkina Faso,
« l’arbre de la vie », « la plante miracle », « la viande végétale ».

Position systématique

Le Moringa oleifera (Lam), encore appelé Moringa pterygosperma (Gaerth), est une plante vasculaire appartenant à l’embranchement des Spermaphytes, au sous-embranchement desAngiospermes, à la classe des Dicotylédones, à la sous-classe des Dialypétales, à la série de s Thalamiflores, à la sous série des Méristèmones, à l’ordre des Pariétales et à la famille des Moringaceae (Crété, 1965). Cette famille comprend un genre et 14 espèces, mais le Moringa oleifera est de loin, l’espèce la plus connue.

Caractères botaniques (figure 1’)

Le Moringa (photo 1a) est un petit arbre ou arbuste, à croissance rapide, atteignant 7 à 8 mètres de hauteur, rarement davantage.
Il produit des jets foliaires toute l’année, y compris en saison sèche, mais l’abondance de cette production varie avec les saisons.

Appareil végétatif

▪La tige : elle est dressée, avec une écorce claire à grosses lenticelles et un bois tendre. Elle présente des rameaux d’abord, dressés, puis retombants (Gaussen et al.).
▪Les feuilles : (photo 1d) elles sont caduques, alternes et imparipennées. Le rachis de 12 à 25 centimètres, est finement pubescent portant 2 à 6 paires de pinnules de 3 à 6 cm de longueur.
Celles-ci ont des folioles de 1 à 2 cm de long, formant 3 à 5 paires opposées avec une folioleterminale plus grande. La paire de folioles basale peut être triséquée. Les folioles sont de couleur vert clair.
▪La racine : elle est constituée d’une racine principale longue et pivotante comme toutes les xérophytes, de quelques racines secondaires beaucoup plus courtes et de poils absorbants.

L’appareil reproducteur et l’inflorescence

L’inflorescence est en panicules axillaires. Les fleurs (photo 1c) hermaphrodites sont blanchâtres à jaunes pâles. Elles sont pentamères. Elles sont formées de 5 pétales, inégaux et un peu plus grandes que les sépales
L’androcée est composé de 2 cycles de 5 étamines alternes, le cycle interne étant souvent à l’état de staminodes
Le gynécée, stipité, présente 3 carpelles uniloculaires. La placentation est pariétale et on note aussi la présence d’un court gynophore. Les ovules sont nombreux et anatropes (Cusset, 1997). Après fécondation, l’évolution de l’ovaire aboutit à un fruit correspondant à une gousse de 20 à 40 centimètres. La gousse (photo 1b), à section triangulaire contient de nombreuses grainesrondes, noirâtres, à 3 ailettes blanchâtres. Les graines sont exalbuminées, à embryon droit.
Le nombre chromosomique est N= 14.

Caractères biochimiques

L’analyse biochimique de la plante montre qu’elle possède une très haute teneur en protéines, en fer, en calcium, en vitamine A et C, et contient tous les acides aminés essentiels. Plusieurs analyses en laboratoire des gousses, des feuilles fraîches et de la farine de feuilles séchées du nébèday ont démontré qu’elles contenaient les éléments suivants par portion comestible de 100 grammes.
L’analyse chimique de la gomme de l’écorce de tronc, montre qu’elle est constituée par un polyuronide neutre contenant arabinose, galactose et acide glycuronique dans les rapports 10- 7-2 avec en outre des traces de rhamnose.
Dans l’écorce fraîche, Ghost et Coll ont trouvé 0.105 % de bases d’où ils ont isolé deux alcaloïdes : la moringinine et la moringine (Kerrharo, 1973).
On note la présence d’un alcaloïde : la spirochine dans les écorces des racines. L’amande des graines fournit 33 à 36 % d’une huile jaune clair, contenant 70 % d’acide oléique, dans laquelle on a aussi de l’acide béhénique C22H14O2 (huile Ben de densité 0,912 à 0,915).
La ptérygospermine, substance soufrée, isolée de l’écorce des racines, a un effet inhibiteur vis-à-vis de nombreux champignons et de parasites de végétaux. L’anthonine a été aussi découverte dans l’écorce des racines.

Biologie et écologie

Le Moringa est un arbre originaire de la région du nord de l’Inde. Il pousse actuellement dans toutes les régions tropicales et subtropicales, de l’Asie du sud jusqu’en Afrique occidentale. Il supporte une large variété de sols et de conditions pluviométriques. L’arbre est très résistant à la sécheresse. La pluviométrie annuelle minimale requise est estimée à 250 millimètres, avec une moyenne maximale de 3000 millimètres. Il a besoin d’un sol bien drainé. La présence d’une longue racine lui servant de réserve d’eau, le fait résister aux périodes de sécheresse. La température idéale se situe entre 25°C et 35°C, mais les arbres peuvent supporter jusqu’à une température de 48°C à l’ombre et peuvent survivre à un léger froid. Le gel peut tuer l’arbre à sa base, mais il peut après cela, émettre de nouveaux rejets.
Le nébèday fleurit chaque année, et dans certaines régions, il produit des fruits deux fois l’an.
Il pousse sur les rives et dans la savane. Il produit des jets foliaires toute l’année, y compris en saison sèche, mais l’abondance de cette production varie avec les saisons. Durant la première année, la plante peut atteindre 5 mètres de haut et produire des fleurs et des fruits. Sans écimage, elle peut éventuellement atteindre 12 mètres de haut avec un tronc de 30 centimètres de diamètre. Néanmoins, l’arbre peut être écimé annuellement jusqu’à un mètre du sol. Il va repousser rapidement et produire des feuilles et des gousses d’un accès facile à la récolte. En trois ans, l’arbre produira environ 400 à 600 gousses et un arbre arrivé en maturité peut produire jusqu’à 1600 gousses/an.
Les plantes peuvent être élevées facilement à partir de graines ou de boutures. Les graines ne présentent pas de dormance et peuvent être semées une fois qu’elles ont atteint leur maturité.
Le Moringa est aussi très résistant aux parasites.

Les multiples usages de la plante

Le nébèday présente plusieurs potentialités nutritionnelles, thérapeutiques ou médicinales, industrielles et préventives contre les aléas de l’environnement.

Usages alimentaires

Le nébèday est l’un des meilleurs légumes tropicaux dans le contexte nutritionnel. Le tableau suivant montre la composition chimique de différentes feuilles fraîches utilisées comme légumes en Afrique et celles du Moringa oleifera étudiées par M.Ndong (2001).

Usages thérapeutiques ou médicinaux

Le nébèday est un des médicaments les plus connus, les meilleurs et les plus employés dans la médecine populaire mais aussi en zones tropicales et subtropicales. Il est souvent utilisé par des tradipraticiens dans le traitement de différentes maladies.
On peut citer quelques-unes des utilisations de Moringa dans la médecine traditionnelle et moderne :
A u Sénégal, l’infusion des feuilles est utilisée pour stabiliser le taux de sucre dans le cas du diabète. Et ceci a été démontré par des travaux en laboratoire, c’est à dire que la poudre de feuille séchée avait un effet positif pour baisser le taux de sucre dans le sang en trois heures seulement, et ses effets augmentent avec un plus fort dosage (Makonnen et al, 1997).
Il a été dém ontré que la poudre de feuilles séchées, a un effet dépressif sur le systèm e nerveux provocant un relâchement des crampes musculaires, une baisse de la température du corps et une augmentation du sommeil chez les souris en laboratoire (Pal et al, 1996).
Il a été dém ontré que l’infusion des graines sèches peut inhiber les spasm es intestinaux.
Elle a aussi un effet diurétique. Cependant d’autres parties de la plante (feuilles, fleurs, racines et pédoncules) ont quelques vertus antispasmodiques et diurétiques.
D ans une autre étude, il a été découvert qu’une infusion de graines, racines et fleurs de Moringa inhibe d’une manière significative la formation d’oedèmes des jambes.
L a solution extraite des écorces de la tige régularise les palpitations chez les sujets m alades aux effets de baisser la tension artérielle. La moringinine de l’écorce des racines agit sur le système nerveux et à un effet de stimulant cardiaque ; elle décharge les bronchioles (inflammation des bronches) et arrête les grouillements de l’estomac. L’anthonine qui a été découverte dans l’écorce des racines est hautement toxique pour les bactéries du choléra (Booth et al, 1988).
La spirochine, découverte dans les racines est un antibiotique contre les bactéries gram-, un analgésique, un antipyrétique, qui joue sur le système circulatoire (en activant ou en diminuant le rythme cardiaque selon la dose administrée) et joue aussi sur le système nerveux.
Tous ces travaux en laboratoire, viennent étayer les usages traditionnels du Moringa. C’est ainsi que dans la médecine traditionnelle de l’Inde le suc des feuilles est utilisé pour stabiliser la tension artérielle et dans le cas d’anxiété. Le suc est aussi utilisé comme antiseptique pour la peau.
Aux Philippines et au Sénégal, il est prouvé que la consommation des feuilles augmente la lactation et prévient l’anémie chez la femme. Au Sénégal, un cataplasme de feuilles est appliqué sur les plaies et autres infections cutanées. En Inde, on utilise les feuilles contre les maux de tête, la bronchite, les infections des oreilles et des yeux, le scorbut et la cataracte. Il est recommandé de manger les feuilles dans le cas de la gonococcie pour son effet diurétique.
Les feuilles ont aussi un effet purgatif. Le suc des feuilles mélangé au miel est utilisé pour traiter la diarrhée, la dysenterie et la colite.
Les gousses sont anthelminthiques et sont utilisées dans les infections du foie. Elles calment les douleurs articulaires.
Les fleurs sont utilisées comme tonique, diurétique, abortif, anthelminthique. Elles sont utilisées pour soigner les inflammations, les maladies musculaires, les tumeurs et aussi pour apaiser le rhume et la sinusite.
Les racines sont utilisées comme purgatif, carminatif, antispasmodique, laxatif. L’inhalation d’une pincée de poudre de racine soulage les maux d’oreilles et les rages de dents, ainsi que le suc de l’écorce des racines.
Au Sénégal, la décoction d’écorce de racines, est utilisée comme ferment pour soulager les spasmes et est considérée efficace dans le cas de calculs rénaux.
En Inde et au Sénégal la gomme est utilisée dans le traitement de la fièvre, la dysenterie et l’asthme. Elle est astringente et tonique pour la peau. Elle est aussi utilisée dans les traitements de la syphilis et des rhumatismes.
L’huile des graines est utilisée pour soigner la prostate et les troubles de la vessie.
Les fleurs, les feuilles et les racines sont utilisées comme remède pour différentes tumeurs et les graines uniquement pour les tumeurs de l’estomac.

Usages préventifs contre les maladies des plantes

L’incorporation des feuilles de Moringa dans le sol, une semaine avant de semer, peut protéger les jeunes plantes contre les infections parasitaires (exemple la fonte de semis du à certains champignons). Cette protection est due à la présence de la ptérigospermine qui a un effet inhibiteur vis à vis de nombreux champignons, y compris les phytopathogènes. La racine aussi est particulièrement pour les bactéries Gram+ et Gram‾. On peut utiliser cette substance pour le traitement préventif des fruits et des légumes.

Usages anti érosifs

Le nébèday est utilisé pour constituer des haies vives. Il est aussi utilisé dans les systèmes de recadrage en allées.

Généralités sur la culture in vitro

Historique

Les premières tentatives de culture in vitro (culture de mésophylle de Tradescantia) ont été faites par Haberlandt (1902). Ces travaux rapportés par de nombreux auteurs (Murashige,1974 ; Gautheret,1980 ; Dodds,1980 ; Flick et al,1983) avaient pour but de développer une technique plus souple d’étude de la morphogenèse et de prouver la totipotence des cellules végétales, c’est à dire la capacité de toute cellule de pouvoir régénérer une plante entière (Murashige,1974).Ces premières tentatives échouèrent parce que Haberlandt ne disposait pas d’hormones végétales et plus précisément l’acide indole-acétique AIA (Gautheret,1980).
C’est en effet au printemps 1937 que fut isolée la première souche tissulaire dont l’activité s’est maintenue jusqu’à présent grâce à des repiquages réguliers (Margara, 1984).
Mais les premières véritables cultures de tissus végétaux ont été réalisées simultanément par White (1939) aux USA à partir de tumeur de l’hybride de Nicotiana glauca, Nicotiana langsdorfii et Gautheret (1939) en France à partir de tissus racinaires de carotte (Heller, 1978).
Dès 1941, on savait obtenir des plantes entières à partir de petits fragments d’organes ou de colonies tissulaires. Toutefois, cette multiplication végétative in vitro n’était possible qu’en se servant de tissus contenant des bourgeons dormants, ou susceptibles d’en produire spontanément.
Leur enracinement ne posait aucun problème grâce aux auxines rhizogènes dont la première AIA fut découverte en 1928 par Went et isolée et purifiée par Kögl et al en 1934.

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