L’entrepreneur
( ( L’ individu est une condition nécessaire pour la création de valeur, il en détermine les modalités de production, l’ ampleur. .. Il en est l’ acteur prin-cipal. Le support de la création de valeur, une entreprise par exemple, est la chose de l’ individu, nous avons : individu~création de valeur » (Christian Bruyat, 1993).
Dans ce chapitre nous allons parler principalement de l’ entrepreneur novice, celui qui entreprend sans expérience particulière de ce comportement, ou encore de l’entrepreneur potentiel, en devenir 1• Notre propos concerne donc davantage l’indi-vidu, homme ou femme, qui est confronté, pour la première fois, à une situation entrepreneuriale, une situation qui, rappelons-le, implique la nouveauté et le changement. Les entrepreneurs plus expérimenté s peuvent néanmoins retirer un bénéfice de la lecture de ce chapitre et comprendre, avec le recul, les raisons et les facteurs qui ont pu les conduire à entreprendre et à réussir leurs initiatives entrepreneuriales, même si la notion de réussite est très subjective caractéristiques sont nombreuses (section 2). Dans ces conditions, existe-t-il un profil idéal d ‘ entrepreneur, une figure dont il faudrait s’ inspirer ? La réponse est bien évidemment non et plutôt que tenter de répondre à une question aussi mal posée, nous insisterons sur la nécessaire adéquation entre le profil d’un individu, aspirant entrepreneur, et le projet (ou la situation) qu ‘ il vise (section 3). C ‘ est tout le sens d’ une réplique de William Gartner, souhaitant, par là, signifier l’ importance des situations, des processus et des activité s et montrer la voie d ‘ impasse suivie par les recherches centrées sur les traits de personnalité, dans les décennie s des années 1960, 1970 et 1980. Sa formule, « Look at the dance, not at the dancer », nous semble bien tradui re la façon dont il faut voir l’ entre-preneur aujourd’hui : non par ce qu ‘ il est, mais par ce qu ‘ il fait et comment il le fait. Tant il est v rai qu’on ne naît pas entrepreneur, mais qu’on le devient dans des apprentissages qui peuvent, en fonction des individus et des situations, demander plus ou moins de temps .
MYTHES ET RÉALITÉS À PROPOS DE L’ENTREPRENEUR1
De nombreuses idées reçues et représentations sur l’ entrepreneur sont véhiculée s dans le monde entier. Nous allons tenter de reprendre, dans cette section, celles qui reviennent le plus fréquemment.
Entreprendre relève de l’inné,non de l’acquis?
L’ entrepreneur serait né avec un sixième sens, une capacité intuitive à entre-prendre et à réaliser des actions spectaculaires . Sans son intuition innée , l’ entre – preneur ressemblerait au commun des mortels. Alors que l’enseignement de l’ entrepreneuriat est dans une phase de développement accéléré et que ce mou-vement accrédite le fait qu ‘ il est possible d ‘ apprendre à entreprendre, il peut sembler étonnant que cette idée ait encore du poids . Mais à y regarder de prèsli peut être intéressant dans un cours d’entrepreneuriat d’organiser une discussion avec les étudiants ou les participants autour de chacun de ces mythes ou idées reçues les journaux é conomiques évoquent réguliè rement le parcours et la ré ussite de grands entrepreneurs. L’image héroïque présentée dans les médias est chargée généralement d’énergie et de puissance. De fréquente s biographies d ‘ entrepre-neurs soulignent leur capacité instinctive à identifier des opportunités inacces-sibles à la majorité d’entre nous 1• Ils savent aussi prendre, dans toutes les circonstances, les bonnes décisions, celles qui les conduisent au succè s. Cela implique que sans cette faculté intuitive innée , ces individus ressembleraient au commun des mortels (Cunningham et Lischeron, 1991, p. 46). Cette idée d’ un entrepreneur inné , différemment de ce que nous pourrions penser, reste très active. Des chercheurs, par exemple, s’attachent à d émontrer actuellement que les gène s et l’ hérédité peu vent permettre de caractériser l’ entrepreneur et d’ expliquer ses comportements (Nicolaou et al., 2008 a et b, 2009) . Nous avons relevé, par ailleurs, dans la presse françai se, le portrait que nous proposons dans l’encadré ci-après .
Quelques reflets de la presse française
Nous avons relevé ce fragment de portrait dans le Figaro Économie, n° 17258, des 5 et 6 février 2000.
La légende voudrait que Li-Ka Shing, le propriétaire de Cheung Kong et de Hutchinson Whampoa, deux holdings qui pèsent près d’uncinquième de la capitalisation boursière de Hong-Kong, ait un sixième sens inné pour faire de bonnes affaires. »
Li-Ka Shing n’estpas très connu, mais d’autresentrepreneurs le sont davantage et les écrits consacrés à des Francis Bouygues, François Dalle, Bernard Dalle, Steve Jobs, Richard Branson ou Bill Gates n’ontpu que contribuer à renforcer le mythe de l’entrepreneurinné .
L’ entrepreneur inné est, pour nous, largement un mythe. Même si certains indivi- dus naissent avec plus d’ énergie ou plus de « flair » que d’autres, ces aptitudes resteraient probablement en jachère ou peu utilisées, si elles n’ étaient pas complétées par d’ autres caractéristiques, telles que des connaissances, des compétences, des savoir-faire et des expériences accumulés pendant des années . D’autre part, ce mélange inné et acquis, ne peut s’exprimer que dans des situations et des contextes d’action spécifiques, qui rendent la combinaison active ou non, appropriée ou non, gage de réussite ou non.
Pour ne c iter que des exemples récents, voir l’ouvrage consacré à Richard Branson : Champroux N. (2011).
Richard Branson . L’aventure Virgin, Paris, É ditions Economica et les nombreux articles que la mort de Steve Jobs en octobre 20 11 a suscitée dans les médias français et internationaux. Ces deux entrepreneurs sont géné ralement présentés comme des entrepreneurs héroïques ou schumpétériens .
N’importequi peut créer une entreprise?
Pour créer une entreprise ou une activité nouvelle, il est tout d’abord nécessaire de bien faire la distinction entre une idée et une opportunité, ce que nous verrons dans le prochain chapitre. Par ailleurs, il faut travailler son projet, le soumettre à des experts et à des regards externes et s’entourer de partenaires motivés ou intéressés. Le travail préparatoire est à cet égard essentiel, pour baliser, du mieux possible, le lancement des activités et réduire l’incertitude. Si créer (juridiquement parlant, pro-céder aux formalité s d’enregistrement) une nouvelle entreprise ou une activité est à la portée de tout le monde, la réussite, la pérennisation et le développement ne concernent, en général , que les individus préparés ayant étudié tous les aspects de leur projet pour en éliminer (ou réduire) les impasses opérationnelles et stratégiques. Même si, comme nous l’ avons vu dans le paragraphe précédent, l’ entrepreneur est avant tout un individu ordinaire, il ne faut pas confondre ce mot avec facilité ou sim-plicité de l’ acte d’entreprendre. L’individu est ordinaire, dans ses traits, ses capacités et ses compétences, certaines situations entrepreneuriales, dans lesquelles il est engagé, peuvent ne pas l’être.
Les entrepreneurs sont des joueurs ?
Cette idée reçue montre des entrepreneurs qui prennent des risques d’une façon, très souvent, inconsidérée , presque pour le plaisir. Dans la réalité , les entrepreneurs, comme la plupart des individus responsables, essaient de prendre des risques calcu-lés, dans la mesure du possible. Ils développent une habileté à identifier les risques, estimer leurs probabilités d’occurrence et à réfléchir sur des comportements ou des stratégies qui permettraient de mieux les contrôler, voire de les manager. Les risques font très souvent partie des situations dans lesquelles se trouvent les entrepreneurs. Ils sont liés aux changements et à l’incertitude. Les entrepreneurs qui réussissent s’efforcent donc de réduire les zones d’incertitude des projets qu’ils développent et des situations qu’ils affrontent. Dans tous les cas, ils se doivent d’ accepter l’incerti-tude et les risques qui lui sont associés.
Entreprendre permet de devenir son propre patron et d’être complètement indépendant ?
Beaucoup de personnes rêvent de devenir entrepreneur parce qu’ elles ont un très fort besoin d’ indépendance et parce qu’elles ne supportent plus la hiérarchie et l’ inertie des grandes entreprises . Elles idéalisent le small is beautiful propre aux petites structures. Même si le besoin d’ indépendance est une motivation forte, très souvent avancée, pour expliquer l’acte d’entreprendre, en réalité les entrepreneurs ne sont pas plus indépendants, dans leur fonctionnement, que des cadres ou d’autres dirigeants d’entreprise. Ils sont dépendants de leurs partenaires financiers, indus-triels ou commerciaux, de leurs collaborateurs, de leurs clients, de leurs fournisseurs et de leurs familles. Les relations qui ont été nouées avec toutes les parties prenantes impliquent des obligations fortes que des êtres responsables se doivent de respecter et d’honorer. Il est donc clair que l’indépendance n’est qu’un leurre, mais l’entrepre-neur, plus que tout autre acteur économique et social, ressent un sentiment de liberté dans l’exercice de ses missions et de ses activités. Cette nuance subtile entre indé-pendance et liberté est parfaitement mise en valeur dans une définition de 1′ entrepre-neur proposée par un jeune créateur d’entreprise.
Une définition de l’entrepreneur
L’entrepreneurest un être passionné, épris de liberté, qui se construit une prison sans barreaux.
Dans cette définition, l’entrepreneurapparaît comme un individu qui est passionné par ce qu’ilfait, qui s’investitdonc totalement dans son entreprise. Il aime et recherche la liberté et se construit une prison sans barreaux. Il ne sera pas indépendant, mais il a choisi, lui-même le cadre et les conditions de cette dépendance, y compris celles de son éventuelle sortie.
Les entrepreneurs travaillent plus et plus durement que les cadres dans les grandes entreprises ?
Il n’y a pas de doute, les entrepreneurs travaillent beaucoup et parfois dans des conditions difficiles, qui peuvent les amener à connaître des niveaux de stress élevés et à payer un prix fort, sur un plan personnel et familial. Mais on ne peut pas affirmer pour autant qu’ ils sont les seuls à vivre de telles situations. De très nombreuses professions et corporations connaissent aujourd’hui des conditions similaires. Les cadres dans les grandes entreprises et dans les grands cabinets de conseil, par exemple, travaillent énormément, sans ressentir, toujours, comme les entrepreneurs, un niveau élevé d’accomplissement et de réalisation. De la même façon, tous ne trouvent pas forcément une grande satisfaction dans le travail qu’ ils ont à faire. En résumé, nous pensons que les entrepreneurs travaillent tout aussi durement que 1 d’autres catégories professionnelles, qu ‘ils peuvent être tout autant stressés, mais que vraisemblablement ils retirent des situations dans lesquelles ils sont engagés @Cl plus de satisfactions.