La Théorie de l’Activité finalisée
L’un des soubassements de cette théorie est la distinction entre la tâche et l’activité. La tâche est le but que le sujet (enseignant ou élève) doit atteindre sous certaines conditions (Leplat, 1997). Autrement dit, comme l’indique Rogalski (2008), elle se situe du côté de l’objet de l’activité et donc de la situation. L’activité est alors « ce que développe un sujet lors de la réalisation d’une tâche en situation – ses actes extériorisés mais aussi les hypothèses, les décisions (ce qu’il pense) dans ce qu’il fait (dit) ou non- cela comprend son « état personnel », précisent Robert et Vivier (2013).
Parallèlement, ce premier point met en exergue deux autres notions clés organisatrices de la Théorie de l’Activité qui retiennent également notre attention : le sujet et la situation. Dans le cadre de cette recherche, notre intérêt se porte sur un sujet individuel (un enseignant ou un élève) qui se caractérise par ses buts subjectifs, son potentiel et ses contraintes propres. De plus, l’élève comme le professeur ne sont pas les seuls à décider de leurs objectifs et des moyens dont ils disposent. En effet, la situation de l’apprenant comprend les tâches, prescrites par le professeur, définies par le contrat didactique ainsi que son contexte familial et social.
De la même manière, l’activité de l’enseignant, contrainte par des responsabilités et le contrat partiellement implicite qui le lie à sa hiérarchie, est essentiellement déterminée par l’élève individuel, qu’il soit intégré dans le collectif classe ou mobilisé dans un groupe.
Notre ancrage en théorie de l’activité permet une analyse spécifique de la tâche prescrite aux élèves par l’enseignant « en référence non seulement aux mathématiques en jeu, mais aussi aux connaissances supposées disponibles des élèves et aux caractéristiques de la situation (niveau scolaire considéré, programme en vigueur…) » (Vanderbrouck, 2017) sans omettre « ses choix de scénarios (organisation des tâches-élèves), de mise en œuvre en classe et les modes de fonctionnement qu’il évalue comme possibles dans la classe » (Rogalski, 2013).
Bien qu’il soit adapté à la didactique des mathématiques, on reconnaît bien là, le découpage classique en trois niveaux de finalité (activité, actions, opérations) que les psychologues à l’origine de la Théorie de l’Activité, Galpérine et Leontiev décrivent comme suit : « l’activité a son motif d’une part, c’est le moteur direct de l’activité, que le sujet exerce afin de satisfaire ses « besoins », ce qui « pousse » l’activité ; l’action associée au but d’autre part, ce but étant la représentation mentale du résultat futur de l’activité, ce qui « tire » l’activité ; et enfin les opérations qu’il faut effectuer pour réaliser l’action sous certaines conditions » (Galpérine 1966 et Léontiev, 1984 cités par Vanderbrouck, 2017).
En outre, la manière dont les élèves réalisent les tâches et leur comportement entraînent non seulement, une rétroaction sur l’activité de l’enseignant, sur ses interventions didactiques individuelles ou collectives en classe, sur son ressenti (fatigue, plaisir, etc.) et par la suite, d’éventuels réajustements. Mais également un feed-back sur leur propre activité (Rogalski, 2013). Ce « retour » de l’activité des élèves sur celle de l’enseignant et sur la leur est schématisé par Leplat (1997) dans son modèle de double régulation de l’activité (voir figure 1) qui sera par la suite exploité en psychologie ergonomique. Janine Rogalski (2013) en explique le fonctionnement comme suit :
« La notion de régulation renvoie d’abord au fait que l’activité modifie l’état aussi bien de la situation que de l’acteur qui agit. La situation est à la fois un déterminant de l’activité et elle est modifiée par cette activité (au premier chef en ce qui concerne les objets visés par la tâche, mais aussi les ressources et les contraintes externes de sa réalisation). Le sujet lui-même est un déterminant de l’activité et est modifié par son activité, aussi bien dans son potentiel de connaissances et d’actions (en bref : ses compétences) – que dans son état physique : fatigue, sommeil, etc. ou psychique : plaisir, ennui, angoisse, etc. » (Rogalski, 2013, p.7).
Emprunts et articulations des théories de Piaget et de Vygotski
conceptualisation, médiations et zone proximale de développement Néanmoins, nous suivons toutefois Aurélie Chesnais (2014) quand elle affirme qu’« il est difficile de définir l’apprentissage même pour une notion donnée ». En effet, dans notre étude de cas, nous nous penchons sur la manière dont le professeur enseigne le calcul mental de sommes avec franchissement de la dizaine au CP. Mais, concrètement que signifie « savoir calculer mentalement des sommes avec franchissement de la dizaine » ?
Dans cette thèse, cela fait référence à la conceptualisation de la notion visée par le programme concerné : une capacité à produire rapidement des faits numériques, à effectuer des calculs en utilisant des procédures de référence (compléments à la dizaine), à mettre en œuvre des procédures variées utilisant les propriétés des nombres et des opérations (la commutativité et l’associativité de l’addition), mais aussi, comme le mentionne Chesné (2014),
« le fait de savoir quand et comment utiliser les procédures à bon escient y compris dans la résolution d’un certain nombre de problèmes mathématiques, de savoir les adapter aux nombres en jeu et de produire un résultat correct avec des procédures adaptées dans une durée restreinte ». Ainsi, nous reprenons la conceptualisation dans la même acception que l’auteur de la théorie des champs conceptuels c’est-à-dire « un état des connaissances, qu’on peut définir à partir d’un ensemble de tâches, sur lesquelles on attend la disponibilité des connaissances correspondantes, que ce soit comme objets (définitions, théorèmes…) ou en tant qu’outils, pour résoudre les problèmes » Vergnaud (1990).
D’après Robert (2014), « cette disponibilité implique la réorganisation des connaissances anciennes dans les nouvelles ». Par conséquent, « la qualité du scénario, en amont de sa réalisation, tient alors à la fois à la nature de l’ensemble des tâches proposées et à leur ordonnancement », renchérit l’auteure. D’où l’intérêt d’étudier le projet d’enseignement global, affirme-t-elle. C’est d’ailleurs l’objet de ma première sous-question qui s’intéresse aux principaux éléments didactiques et pédagogiques pris en considérations par les professeurs pour élaborer leur scénario.
Cette référence à la conceptualisation est notre deuxième parti pris théorique. Elle s’articule directement avec les théories constructivistes de Piaget et de Vygostki qui, une fois resituées et adaptées au contexte de l’enseignement du calcul mental à l’école, vont nous permettre de caractériser les tâches proposées en termes de potentiel d’apprentissage et d’évaluer le degré de conceptualisation atteint par les élèves.