La force des standards

 La force des standards

La question de la force des standards recoupe des problématiques initiées par les juristes qui se sont interrogés sur le statut des normes techniques au regard de la norme de droit8 . La question a gagné en acuité à mesure que le nombre de standards internationaux croissait et que le statut des institutions émettrices devenait de plus en plus hétérogène. Au cœur de la réflexion se pose la question de la légitimité de la pénétration des standards internationaux dans le droit positif, eut égard au nombre croissant d’agences de normalisation de nature privée ou semi-privée.

Ce type de réflexion ne va pas sans éveiller un certain écho dans les développements récents de l’analyse de politiques publiques qui constatent que l’autorité politique ne saurait monopoliser l’ensemble des actions publiques. Ainsi, Borraz envisage les normes comme une forme dépolitisée de l’action publique9 . Dans cette perspective, il est important de mentionner les travaux du Stockholm Center for Organizational Research (Score) qui développe une approche néo-institutionnelle de la normalisation technique internationale.

Envisagées comme un instrument de régulation internationale, les normes techniques auraient ceci de particulier, par rapport à d’autres normes (juridiques ou traditionnelles), qu’elles seraient volontaires et produites par la « société civile »10. Si l’intérêt de cette approche est de montrer que les normes techniques ont une véritable fonction régulatrice et qu’elles sont produites par des acteurs hétérogènes, on pourra regretter une absence d’analyse concrète des processus de normalisation et de leur mise en œuvre.

Le caractère volontaire des normes techniques ne signifie pas que les acteurs soient libres de les adopter ou de les rejeter : leur mise en œuvre peut relever d’un simple réflexe de survie, comme un fournisseur qui doit « se mettre à la norme » pour se conformer aux exigences de son principal client11.

De plus, la distinction entre norme technique et norme juridique fait peu de cas des parcours « entremêlés » de la norme au travers de multiples statuts et institutions12 . Il paraissait donc important de se dégager d’une vision par trop positiviste de la norme afin de produire un cadre d’analyse qui l’envisage au travers de ses parcours institutionnels et des pratiques concurrentielles de sa production. 

La normalisation comprise comme un processus de définition désignation

A la suite de Becker13, il est possible d’envisager l’adoption des normes comme un processus de définition/désignation qui détermine des « bonnes pratiques » en même temps que ceux qui peuvent, ou plutôt, qui ont les moyens, de s’y livrer. Cette démarche vise, tout d’abord, à dépasser, du moins dans un premier temps, le problème du statut des normes techniques, par rapport à d’autres formes de régulation.

Ce qui est fondamental dans la compréhension d’une norme, nous dit Becker, ce n’est pas tant son « bien-fondé » que les conditions de sa création et de son imposition ou de sa non-imposition14. Suivant cet ordre d’idée, la question de la légitimité des normes ou de leurs buts officiels devient accessoire et intervient dans l’analyse au mieux comme un langage codifié, dont les acteurs n’ont pas forcément conscience et qu’il faut décrypter.

Prendre les normes techniques pour un processus de définition/désignation se justifie tout d’abord sur le plan de la définition. Les normes, au sens large, sont autant de procédures d’organisation et de classement de la réalité15, fixant des catégories de perception et d’appréciation, traçant des frontières entre ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. L’idée que la définition entraîne du même coup une désignation est moins évidente, mais se vérifie tout de même.

L’opération consistant à organiser la réalité n’est pas neutre, elle induit, pour ne pas dire elle ressort, d’une organisation sociale spécifique. Durkheim et Mauss ont très bien démontré que les représentations du monde des sociétés dites primitives étaient étroitement liées à leur organisation sociale16 ; que la catégorisation des phénomènes naturels était corrélée à celle qui organisait la structuration sociale entres clans et tribus, par exemple.

Les tabous associés à un animal ou un lieu pouvaient agir comme des rappels de ces frontières sociales, notamment quand l’interdiction était faite de chasser tel animal représentant le totem de telle tribu, ou de s’aventurer sur tel territoire. Dans sa thèse sur Le contrôle international des drogues17, Dudouet a démontré que le processus de définition des usages licites et illicites des drogues, stipulée par les conventions internationales, recoupait très précisément l’organisation du marché licite des drogues.

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