Méthode d’estimation des charges articulaires méthodologie

Méthode d’estimation des charges articulaires méthodologie

La méthode des éléments finis

Avant de décrire le fonctionnement de l’algorithme d’estimation des charges, il est nécessaire d’expliquer la méthode des éléments finis. La méthode des éléments finis est une technique permettant de reconstruire les contraintes et les déformations sur une structure numérique (Rayfield 2007). Une structure complexe continue est découpée en une série de problèmes discrets, qui peuvent être facilement résolus par une analyse mathématique. Bien sûr, cela ne donne pas une résolution exacte du problème, mais on obtient une solution approchée assez fiable. Bien que cette méthode soit utilisée depuis plus de 40 ans en ingénierie et en chirurgie orthopédique, ses applications en zoologie et en paléontologie ont commencé dans les années 90.

A partir d’un système d’intérêt comme un fémur, une structure numérique est créée en utilisant la segmentation 3D (Figure 2.1, A). Cette structure d’intérêt correspond à un continuum avec un nombre infini de degrés de liberté (Rayfield 2007). Au cours de la discrétisation (Figure 2.1, B), la structure est divisée en un nombre fini de sous-régions discrètes, appelées éléments, qui sont reliées entre elles par des nœuds. Cet ensemble d’éléments et de nœuds constitue un maillage d’éléments finis. Des informations supplémentaires doivent être renseignées dans le modèle (Figure 2.1, C), telles que des propriétés mécaniques des matériaux assignées aux différents éléments, mais aussi des charges virtuelles (flèche rouge, Figure 2.1) et des points de fixation (triangles verts, Figure 2.1).

Ces charges et ces fixations constituent les conditions aux limites. Enfin, l’analyse en éléments finis est effectuée (Figure 2.1, D). On extrait des représentations graphiques, qui montrent les amplitudes de contraintes et les déplacements, ainsi que des données quantitatives (densités d’énergie de déformation, contraintes de Von Mises…) 27 Méthode d’estimation des charges articulaires méthodologie Figure 2.1 – Description d’une analyse en éléments finis à partir d’un fémur de lion des cavernes Panthera leo spelaea. Une charge est appliquée (flèche rouge) et des points de fixation sont déterminés (triangles verts). Modifiée d’après Diedrich & Rathgeber (2012) et Christen et al. (2015).

Propriétés mécaniques

Afin de pouvoir effectuer des analyses en éléments finis, il est donc indispensable de connaitre deux propriétés mécaniques : le module de Young et le coefficient de Poisson. • Module de Young (E) : Cette valeur correspond à la rigidité du matériel sous des conditions de chargement normal de tension ou de compression (Martin et al. 1998). Les valeurs pour l’os sont de l’ordre du gigapascals (GPa). Cette valeur est différente selon le taxon choisi, mais les modules de Young sont également différents entres les os d’une même espèce (Tableau 2.1). • Coefficient de Poisson (ν) : Quand une structure subit un chargement en tension, elle devient plus longue dans la direction chargée et se raccourcit dans les directions transversales.

Le ratio entre le rétrécissement transversal et l’allongement longitudinal définit le coefficient de Poisson (Martin et al. 1998). Les valeurs typiques pour l’os sont généralement de 0,3. Dans les tests méthodologiques suivants, les valeurs des propriétés mécaniques utilisées étaient généralement les mêmes, que celles appliquées pour les fémurs mammaliens dans Christen et al. (2015) : un module de Young de 10 GPa et un coefficient de Poisson de 0,3. D’autres valeurs plus proches des os et des taxons choisis, comme celle de l’humérus de Geochelone (Tableau 2.1) pourraient être également employées.

Cependant, l’objectif principal des expériences suivantes est de tester l’effet d’un paramètre, en le modifiant ou en le supprimant. En utilisant différents modules de Young, l’algorithme d’estimation des charges modifie uniquement l’amplitude des cas de charge, en les pondérant toutes parune même valeur (Synek et al. 2018). Dans ces analyses, on s’intéresse principalement aux patrons de chargement obtenus, qui seront les mêmes qu’importe la valeur du module de Young. 

La naissance de l’algorithme d’estimation des charges : hypothèse et objectif

L’hypothèse sous-jacente de cet algorithme est que l’os adapte sa microstructure interne en réponse au chargement local, afin d’atteindre un chargement uniforme du tissu osseux (Christen et al. 2012). La structure osseuse observée est le résultat d’un mécanisme de remodelage : l’os est ajouté ou résorbé. L’ajout et la résorption s’égalisent dans le cas où le stimulus mécanique local atteint un certain équilibre. Ainsi, l’histoire de chargement (c’est à dire, tous les chargements auxquels l’animal a été soumis au cours de sa vie) la plus probable est celle qui se rapproche au mieux de ce niveau d’équilibre de remodelage dans l’os entier.

L’ensemble de l’os devrait être chargé uniformément, produisant une morphologie qui est optimisée pour l’histoire de chargement externe auquel il est soumis (Christen et al. 2012). Bien sûr, la morphologie osseuse est aussi influencée par d’autres facteurs comme l’homéostasie du calcium, l’ontogénie ou la phylogénie. Par conséquent, le tissu osseux ne sera pas chargé de manière parfaitement uniforme. A partir de cette hypothèse et d’une microarchitecture osseuse donnée, on pourrait retrouver l’histoire du chargement, c’est-à-dire un ensemble de forces externes produisant un chargement uniforme au sein de cette microarchitecture.

Le but de cet algorithme est donc d’estimer les chargements articulaires à partir de l’architecture osseuse. Ce concept avait déjà été exploré dans des études précédentes utilisant des modèles continus d’éléments finis et prenant en compte uniquement la densité osseuse. Fischer et al. (1995) ont développé une approche dans laquelle l’amplitude d’un ensemble de charges plausibles est optimisée pour une contrainte uniforme du tissu osseux. Comme ces modèles continus ne pouvaient pas modéliser l’architecture trabéculaire, les estimations n’ont été calculées qu’à partir du continuum de contraintes et de la densité osseuse.

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