L’utilisation d’un outil de modélisation inverse par des concepteurs
L’état de l’art de l’observation des architectes concevant
L’objectif de ce chapitre étant de préciser nos choix en matière d’observation des concepteurs, nous nous devons préalablement de conduire un bref examen des travaux existants actuellement en matière d’observation des architectes concevant, soit sur papier, soit sur ordinateur. Volontairement, nous ne limitons pas notre recherche aux seules observations d’architectes utilisant la Conception Assistée par Ordinateur (CAO), car nous pensons trouver, en simulation graphique sur papier, des éléments qui étayent nos hypothèses sur la démarche inverse de conception architecturale.
Nous estimons également qu’à la manière de la figuration d’intentions projectuelles exprimée par des croquis, la démarche de modélisation numérique inverse devrait intervenir très tôt dans la chronologie du projet. Pour rendre compte d’une session d’observation de concepteurs face à leur projet, il est souhaitable de situer notre démarche d’observation dans un cadre méthodologique étayé par les recherches internationales en la matière.
De nombreux travaux d’analyse de la conception architecturale ou de design ont fait l’objet de publications internationales durant les deux dernières décennies. Principalement anglo-saxonnes, ces recherches ne sont pas spécifiques à la conception architecturale. Pour moitié, elles traitent de ce champ disciplinaire. Pour l’autre moitié, il s’agit du domaine du design ou de l’ingénierie. Sans avoir la prétention d’être exhaustif, ni de développer longuement le sujet comme il pourrait l’être dans un mémoire de thèse en sciences humaines et sociales, nous proposons les pistes suivantes, sur l’observation des concepteurs en général, puis sur les protocoles d’observation les plus utilisés en recherche.
L’observation de l’architecte concevant
Cette section traite, de manière générale, du croquis d’architecte, et en particulier des raisonnements cognitifs qui sont liés à la conception sur papier ou sur ordinateur (l’utilisation du flou dans le croquis, le raisonnement local et la manipulation d’un nombre limité de concepts, la réduction des incertitudes, etc.). Elle a pour objectif d’analyser les travaux de recherches sur le sujet, qui seront autant d’arguments en faveur de la modélisation inverse.
L’utilisation d’un outil de modélisation inverse par des concepteurs 159 Dans les paragraphes qui suivent, nous parlerons de simulation ou de modélisation graphique pour désigner les opérations de conception que les architectes effectuent sur une feuille de papier ou de calque avec un simple crayon, et numérique pour désigner les opérations de conception réalisées sur un écran d’ordinateur grâce à un logiciel de CAO.
Les différents types de croquis et de visualisation
Dans le domaine de l’analyse des croquis de concepteurs, plusieurs recherches sont à signaler. A. McGown et G. Green ont ainsi publié un article sur le sujet, Visible ideas : information patterns of conceptual sketch activity dans la revue internationale Design Studies [McGown et Green 1998]. Les deux auteurs y distinguent principalement trois types de croquis chez les concepteurs : les croquis pensés, les croquis de prescription et les croquis parlés. A. McGown et G. Green définissent les croquis pensés comme ceux utilisés par le designer pour focaliser et guider des pensées non verbales.
Le croquis de prescription serait utilisé par l’architecte ou l’ingénieur pour diriger le dessinateur vers le dessin abouti. Quant au croquis parlé, il serait produit durant des échanges avec les techniciens dans le but de clarifier certaines ambiguïtés du dessin. Une autre étude, organisée autour des fonctions fondamentales de l’usage du dessin dans le travail de conception de l’architecte prend forme dans l’ouvrage intitulé Dessin d’Architecture et Infographie, l’évolution contemporaine des pratiques graphiques [Estevez 2001].
La fonction descriptive du dessin qui correspond à la manière dont le dessin s’inscrit dans une visée de construction matérielle des édifices a évolué depuis la Renaissance, écrit D. Estevez. L’auteur rappelle que cette période fut une rupture dans le système « autorégulant d’adaptation et de diffusion des techniques graphiques ». Il pose la question suivante : « le danger existe-t-il aujourd’hui que se produise ce type de rupture d’autorégulation à travers le phénomène de virtualisation numérique de la construction liée à l’informatisation des techniques de figuration ? ».
Le principe graphique depuis la Renaissance étant la représentation en perspective, l’auteur poursuit sa réflexion sur l’évolution historique de cette représentation perspective. Elle débouche sur « les problématiques contemporaines de la figuration architecturale, en particulier sur son versant informatisé (modeleurs tridimensionnels, images de synthèse, etc.) » affirme D. Estevez. Selon R. Arnheim, cité par l’auteur, « les opérations cognitives désignées par le mot « pensée » […] constituent les ingrédients fondamentaux de la perception elle-même ». Mais selon l’auteur, la perception a ses propres limites.