Les surfclubs du club d’amateurs de folklore Web au « surfeur professionnel »

Les surfclubs du club d’amateurs de folklore Web au « surfeur professionnel »

Préambule : comment le Net art (re)vient au folklore Web

Dans Interface culture, Steven Johnson, alors en pleine découverte des nouveaux potentiels du Web des années 1990, se montre très critique à l’égard de l’activité du surf qu’il compare à celle, passive, du télé-zapping. Il enjoint le lecteur à se rappeler les principes visionnaires de Vannevar Bush lors de sa présentation au monde scientifique de sa machine Memex, permettant à des utilisateurs de non seulement consulter des documents avec la facilité et la souplesse de ce qu’on appellera plus tard l’hypertexte, mais aussi à tracer des chemins personnalisés au cœur de la masse de connaissances grâce à la mise en relation individualisée d’articles que l’on peut lier entre eux. Le « trailblazing » est ainsi une technologie orientée utilisateur qui permet de mettre en relation de manière réflexive des références éparpillées dans une forme d’index hypertextuel que chacun peut construire, s’approprier, augmenter.

Cette préfiguration de Wikipedia ne fait pas seulement entrevoir un nouveau rapport au savoir, mais plus généralement à la culture. Les inquiétudes de Johnson allaient vite être rendues caduques par la génération de pionniers du blog, dont j’ai parlé dans le chapitre précédent, qui avant de créer des dispositifs auctoriaux où tout le monde peut raconter sa vie en ligne s’intéressent d’abord à des manières socio-techniques de lier le Web, c’est-à-dire de le parcourir et de le construire en se l’appropriant par le biais de listes de références croisées et commentées. La génération de Net artistes et les internautes des années 2000 héritent ainsi de ce plaisir de chercher, de trouver, et de référencer le territoire qui se déploie vigoureusement autour d’eux.

Mais cette génération arrive aussi dans un territoire qui est déjà pour la plus grande part construit, sur le plan des codes et des protocoles : ils n’ont plus besoin de bricoler les couches de l’HTML et les adresses pour entreprendre l’aventure du Web. Entourés d’applications qui délèguent leur rapport aux données et aux programmes du réseau, ils entrent dans l’ère prédite par un autre visionnaire qui lui aussi avait construit son utopie technologique sur la gestion hypertextuelle des références en réseau, Ted Nelson. Dans son ouvrage Dream Machines publié en 1974, Nelson envisage déjà que malgré la complexité des systèmes d’information en train d’être construits, des utilisateurs ignorants de l’informatique existent qui voudrait pourtant profiter des contenus que les ordinateurs aident à mettre en forme et à disposition.

 La nouvelle tendance « pop » du Net art

priorité à la dérive du surf Un des artistes pionniers de cette nouvelle génération, Cory Arcangel s’est fait connaître pour ses manipulations orientées hacker de jeux vidéos iconiques au sein d’un collectif nommé Beige qui s’illustre dans plusieurs domaines liés aux arts informatiques. Beige tranche dans le milieu du New Media Art en tant qu’il approprie le patrimoine informatique existant dans une perspective « low-tech »198 plutôt que de créer des matériaux innovants et « high-tech », tendance dominante dans les arts numériques.

Arcangel et ses acolytes revendiquent leur inspiration, voire leur appartenance à des sous-cultures issues du folklore informatique depuis ses pratiques les mieux identifiées dans l’économie culturelle du numérique (les programmeurs, les hackers, les joueurs de jeux vidéos) jusqu’à des pratiques plus informelles (les hobbyistes, les bidouilleurs, les adolescents otaku, etc.). La figure charismatique d’Arcangel se distingue alors qu’il maintient un site Web aux allures Web 1.0, listant pêle-mêle ses propres travaux comme les découvertes qu’il a faites d’objets insolites de culture Web, récoltés au cours de sa navigation sur le réseau199. Un de ces projets de 2002200 est un pastiche de l’esthétique des pages personnelles des années 1990, affectueusement rebaptisée « dirt style » (« style sale » ou « style pauvre »), en référence aux codages HTML.

Une légitimation via une plateforme du web social net artistique

Rhizome.org Le projet The Year in the Internet initié par Cory Arcangel fait le tour de la communauté de Rhizome.org. Paddy Johnson, critique d’art new-yorkaise ayant un rôle pivot dans cette communauté, prolonge ce projet de manière assumée dans sa série « The Best of the Web » de 2006 jusqu’à ce jour, où elle invite de manière similaire des personnalités de son entourage à venir proposer leurs liens préférés212. Par un effet de miroir propre aux environnements informationnels de réseau, « The Best of the Web » est lui-même choisi pour être publié dans la section « reblog » de Rhizome.org, donnant ainsi une grande résonance à cette nouvelle pratique de compilation de références par des amateurs de culture Web consacrés experts ad hoc.

Rhizome.org est devenu l’une des plateformes à l’avant-garde des arts du réseau, avec des millions d’utilisateurs se connectant tous les mois, grâce en partie à son partenariat avec le nouveau projet de Musée d’art contemporain installé à New York, le New Museum, en 2003214. Rhizome, depuis 1999, s’est constituée en plateforme collaborative Web, avec des espaces d’exposition, de commentaires, de forums, de publication d’articles par le public et d’œuvres de Net art : c’est un « lieu de rencontre en ligne où les membres peuvent annoncer leurs travaux les plus récents, demander de l’assistance technique ou se disputer sur des problématiques esthétiques obscure. »

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