La problématisation : recréer de la sociabilité de proximité et des liens intergénérationnels
La première étape correspond à la révélation d’un problème et à l’apport de solutions. Partant d’un état des lieux peu élogieux, les enseignantes se sont engagées à faire bouger les choses, et se sont appliquées à définir « les lignes à déplacer » c’est-à-dire à se fixer des objectifs pour remédier aux carences constatées. Ainsi le résume Nolwenn Guilloux, la directrice : « Alors on a commencé par faire un état des lieux. Donc la 2ème année, on était là, on avait le projet d’école qui est le document institutionnel demandé, à cette époque-là, encore maintenant tous les trois ans à refaire. Le projet d’école qui doit définir des actions qu’on met en œuvre dans l’école autour d’axes prioritaires qu’on aura définis.
Donc on a pris le parti de travailler beaucoup sur ce projet d’école d’origine en essayant de faire le tour de tous les constats que l’on pouvait faire aussi bien constats positifs que constats que l’on pouvait observer autour de quatre axes. Alors les quatre axes : il y avait la langue, l’autonomie, l’« être élève » et le 4 ème c’était sur les partenariats, le rapport à l’école. Voilà sur les partenariats extérieurs. Et donc sur ce projet d’école-là sur lequel, effectivement, on a beaucoup travaillé. Pour chacun des axes, on est parti des leviers possibles qu’on identifiait. Donc les constats positifs quoi. Les obstacles, et pour chacun des obstacles, on a cherché quelles pouvaient être les hypothèses explicatives. Par exemple, on a beaucoup d’enfants. Constat de l’époque : plusieurs enfants sont en difficulté importante au niveau de la langue. Hypothèse explicative, il y a des familles non francophones, soit des gens qui sont arrivés par besoin au niveau professionnel ou autre, pour raisons personnelles.
Donc ça peut être une hypothèse et de quelle façon, nous, au niveau de l’école on va agir sur cette difficulté-là ? Plutôt que de s’arrêter au constat, on se dit peut-être qu’en permettant à ces cultures de rentrer, on va faire un premier pont qui va leur permettre à elles ensuite en retour d’entrer dans la langue française et donc nous, au niveau de l’école, d’agir auprès des enfants sur cette variable de la langue. Voilà le cheminement qu’on a fait pour chacun des constats qu’on a faits. » La revalorisation de l’image de soi représente un axe majeur de la pédagogie des institutrices de Trébédan. Or tout l’enjeu de cette problématique réside dans la relation à l’autre et le lien social. Pour être réparée l’image de soi, l’estime de soi passent inévitablement par le regard de l’autre et son approbation. L’absence d’interactions et de relations sociales engendre une misère sociale et affective qui nourrit la peur de l’autre.
Dans ce sens, c’est la prise de conscience du bénéfice social de la relation à l’autre qui permet de générer une dynamique 284 de changement social par la redécouverte des liens sociaux de proximité afin de retisser un tissu social digne de ce nom en termes de manifestations, d’associations et d’échanges solidaires. Dans la configuration économique et géographique de Trébédan, le pari était loin d’être gagné. En effet, Trébédan est le reflet de la plupart des profils des petites communes anciennement agricoles : dépourvue de ses derniers commerces (bar, tabac, restaurant et boucherie) depuis plusieurs années, avec une population autochtone déclinante, devenue vieillissante et inactive, et avec en toile de fond le désert culturel.
La tendance s’inverse légèrement et permet à certains petits villages de ne pas disparaitre. Un vent en poupe pour la « néoruralité » apporte, en effet, un certain répit à ces communes ; des citadins majoritairement issus des classes populaires viennent s’installer à la campagne soit dans le contexte d’un retour aux sources, à la tranquillité, soit pour des raisons d’ordres financiers comme la quête de loyers plus abordables ou l’accession à la propriété plus accessible. C’est le cas de Trébédan qui est encore composé de jeunes familles avec des enfants ainsi le confirme le nombre d’enfants scolarisés et la vitalité de cette école rurale.
Les dispositifs d’intéressement pour « faire bouger les lignes »
faire entrer les parents et les anciens dans l’école et faire école « hors les murs » pour recréer des liens Dans cette perspective de redynamisation sociale, les institutrices développent durant plusieurs années des projets reposant sur des activités pédagogiques orientées vers le développement et le maintien des relations de proximité, en renouant notamment les liens sociaux entre générations. À titre d’exemple, voici comment les maîtresses ont réactivé les liens intergénérationnels entre les enfants et les anciens du village : « Il ne se passait rien parce qu’ils se connaissaient pas.
Et nous on a eu envie d’agir là-dessus et on a invité les gens du club à venir, à bêcher le jardin. Un petit morceau de notre jardin. Et ils sont venus, à trois, donc bêcher le jardin et bin tout s’est très bien passé. Alors ils étaient un petit peu sur la réserve, parce que, eux aussi avaient des a priori, des souvenirs par rapport à l’école qu’ils avaient connus. Donc ils n’osaient pas trop entrer. Et suite à cet après-midi-là, c’est vrai que ça été un premier pas mais un grand pas et suite à ça, on les a invités pour les remercier à venir manger la galette des rois qui était juste deux mois après. Et eux pour nous remercier de la galette des rois, nous ont invités à manger des crêpes. Donc ça, c’est devenu les deux rendez-vous incontournables chaque année. Et puis on a ajouté des petits évènements 285 comme présenter des objets d’autrefois, nous parler de la vie d’autrefois, sur des choses comme ça.
Ça, on a fait çà vraiment pendant beaucoup d’années. »620 De même les maitresses ont fait preuve d’imagination pour mettre en œuvre des stratégies qui fassent rentrer les parents, même les plus réticents, dans l’école. L’invitation des parents aux goûters des enfants, à participer à des activités scolaires comme la construction d’une cabane en sont quelques exemples. Progressivement et avec intelligence et bienveillance, les maitresses ont instauré des petits moments de partage avec les parents qui se sont installés au fil du temps comme autant de rituels incontournables. De plus, les activités portent souvent sur de nouvelles pratiques d’échanges, de partage et sur l’environnement naturel immédiat qui permet de découvrir et de se réapproprier collectivement un cadre de vie partagé.
À ce titre, elles font appel au CAUE 22621 : « Alors la première fois. Donc dans notre projet d’école il y avait cette action avec les familles. On a voulu travailler, faire une classe cabane. Donc c’était les classes à Pâques à ce momentlà ; projet artistique et culturel c’était un dispositif qui était proposé par le Ministère, qui est un dispositif Éducation nationale qui permettait des partenariats avec des intervenants que, du coup, l’école ne payait pas et pour lequel on pouvait aussi avoir du matériel, éventuellement. Du coup, ce qui faisait un projet à moindre coût pour nous puisque l’intervenant n’était pas rémunéré par l’école.
Et donc le CAUE, Conseil Architecture Urbanisme et Environnement du 22, est conventionné avec l’Éducation nationale pour ce type d’actions. Donc quand on a sollicité un projet de cette nature-là, on a été mis en contact, par hasard, à l’origine avec Didier Pidoux qui intervenait dans ce cadre-là. (…) Mais du coup c’est comme ça qu’on a commencé à bâtir des projets et là, aussi on a senti qu’on allait rapidement travailler bien ensemble. Y a des choses qui se faisaient. Donc à l’origine c’était dans le cadre d’une classe à Pâques. Puis c’est le conseiller départemental arts plastiques qui nous a mis en contact avec Didier Pidoux dans le cadre d’une classe à Pâques. »