L’hydrologie isotopique est une discipline relativement récente par rapport aux techniques classiques de prospection relatives à l’hydrogéologie tels que l’hydrodynamique, la géologie, la géophysique, la télédétection, le Système d’Information Géographique (S.I.G.), etc.
Depuis son intégration dans les études hydrogéologiques dans les années 50, son application a été plus ou moins réussie et plusieurs travaux de recherches ont contribué à développer quantitativement et qualitativement cette technique . Le nombre des isotopes potentiellement exploitables dans les études hydrogéologiques dépasse maintenant la vingtaine, mais 50 % seulement sont d’usage courant, en particulier les isotopes de l’eau (2H,3H, 18O) et les isotopes des solutés (13C, 14C, 87Sr, 15N,…) . Le traçage des isotopes de l’environnement dans les eaux souterraines et les eaux de surface, basé sur la signature isotopique des échantillons prélevés dans ces dernières, permet de déterminer en particulier les mécanismes d’infiltrations et les mélanges des eaux, et de remonter à l’origine de la dégradation de la qualité de ces dernières. Comme la diversité des signatures isotopiques repose essentiellement sur le principe de fractionnement isotopique qui favorise l’accumulation des isotopes stables lourds dans la matière condensée, les paramètres climatologiques, topographiques, géologiques et géographiques ont dû être pris en considération dans le cycle de l’eau pour interpréter les diverses signatures isotopiques des eaux. Ce principe de fractionnement isotopique est à l’origine de certaines théories mettant en évidence les effets de température, d’altitude et de continentalité sur la variation des teneurs en isotopes lourds des précipitations, sources d’alimentation des eaux souterraines et de surface. En outre, la datation des eaux souterraines, qui repose essentiellement sur la décroissance radioactive des radio isotopes tels que le tritium et le 14C, dépend également du type de nappe d’eau souterraine. Ainsi, divers modèles mathématiques ont été élaborés et adaptés pour chaque cas. L’aspect théorique du traitement et de l’interprétation des données isotopiques est discuté dans le cadre de la présente étude.
Le rapport coût/efficacité a toujours été considéré comme un indicateur de décision pour les utilisateurs finaux et les bailleurs de fonds. La minimisation de ce rapport repose en grande partie sur l’utilisation rationnelle de la technique isotopique d’une part, et la stratégie d’approche, ou approche méthodologique, d’autre part. En effet, comme nous l’avons mentionné au début, la technique isotopique appliquée à l’hydrogéologie, communément appelée hydrologie isotopique, est relativement récente puisque son application n’a débuté que dans les années 50. Bien qu’ayant accompli des progrès significatifs, l’hydrologie isotopique est encore perfectible, à la fois sur le plan théorique que sur l’aspect approche méthodologique. Des améliorations ont été apportées surtout par le biais d’expérimentations sporadiques limitées à des aspects ponctuels de l’hydrologie isotopique. Ce n’est que plus tard, après les années 70 que quelques auteurs ont plus ou moins essayé de traiter le sujet avec une vision synthétique, citons entre autres Bullen et al. (1998), B.Th. Verhagen et al. (1991), Fontes et al. (1976, 1978) .
Intérêt scientifique des isotopes en hydrogéologie
Isotopes de l’eau
Revue de quelques fondements théoriques et discussions (Clark I.D. et Fritz P., 1997)
Isotopes stables
L’interprétation théorique des isotopes stables en hydrogéologie a connu un développement significatif depuis 1961, lorsque Harmon Graig mit en évidence la relation δ² H -δ¹⁸ O, obtenue à partir de plusieurs échantillons d’eau de surface, relation appelée Droite Météorique Mondiale, DMM (en anglais : Global Meteoric Water Line GMWL) :
δ²H=8 δ¹⁸O+10‰ SMOW.
Cette relation fut affinée par la suite dans le cadre du GNIP ( Global Network of Isotopes in Précipitation ou Réseau Mondial des Isotopes des Précipitations) et aboutit à la relation améliorée suivante :
δ²H= (8.17±0.07)δ¹⁸ O+(11.27±0.65) ‰ VSMOW .
Il est à noter toutefois que cette relation est la moyenne des droites des eaux météoriques locales DML (en anglais : Local Meteoric Water Line, LMWL) qui peut être différente de celle des eaux météoriques mondiales .
Tout d’abord, la pente et l’ordonnée à l’origine, encore appelée « excès en deutérium d », de la DML dépend en particulier du degré d’humidité (effet de masse) et de la température ambiante. Ces deux paramètres constituent par conséquent des outils très pratiques susceptibles de fournir d’intéressantes données hydrogéologiques pour les hydrologues et hydrogéologues. En outre, l’échantillonnage ne nécessite aucune formation spécialisée préalable. Cependant, l’élaboration de la stratégie d’une campagne d’échantillonnage requiert un minimum de bagage théorique sur les isotopes de l’environnement. Ces derniers peuvent apporter des informations capitales telles que :
-La DMM correspond à une humidité de 85 %, alors qu’une droite météorique locale peut couper le point représentatif de l’eau de mer (d=0) si l’humidité est de 100 % ; ainsi, une région aride d’humidité inférieure à 85 % aura un excès en deutérium d supérieur à 10, alors que d sera inférieur à 10 pour une humidité supérieure à 85 % .
-En outre, pour une humidité donnée, les échantillons de pluie seront plus riches en isotopes lourds dans les régions froides que dans les régions chaudes. Leurs points représentatifs sont donc localisés sur la partie supérieure droite de la DMM.
-D’autre part, des averses répétées provenant d’un nuage appauvriront ce dernier en isotopes lourds et les points représentatifs se déplaceront vers la partie gauche inférieure de la DMM, pouvant à la limite se confondre avec les points représentatifs des pluies de paléoclimats . Ce phénomène est à l’origine des effets géographiques, tels que la continentalité, l’altitude et la latitude.
●Effet de température : un autre point à retenir est que la température interne d’un nuage contrôle la relation δ¹⁸O et δ² H correspondante, mais pour des raisons pratiques la mesure de ce paramètre s’effectue à la superficie de la terre. Par conséquent, on doit tenir compte de cette contrainte dans l’interprétation de la distribution spatiale des concentrations δ¹⁸O et δ² H. En outre, l’établissement d’une relation fiable T-δ¹⁸O sur le continent n’est pas chose aisée en raison de la diversité des climats, par conséquent les campagnes d’échantillonnage ne devraient pas se limiter à une saison mais couvrir les quatre saisons annuelles de façon à obtenir des statistiques plus réalistes.
●Effet de latitude : quoique qu’il semble évident que l’appauvrissement en δ¹⁸O devrait augmenter avec la latitude, cette tendance peut être affectée par le recyclage de la vapeur d’eau provoquée par l’évapotranspiration des forêts tropicales qui pourrait dans ce cas être responsable d’un gradient uniforme en δ¹⁸O.
●Effet de continentalité : quant à l’effet de continentalité, l’index de Conrad caractérise cet effet par la relation :
k = [(1,7ΔT)/sin(φ+10)] – 14
où φ est l’angle de latitude et ΔT l’intervalle des températures extrêmes . Cependant, cette relation ne met pas en évidence de façon explicite le facteur topographique qui est indirectement exprimé par ΔT . Nous suggérons de l’inclure en ajoutant la variation moyenne de l’altitude ΔH sur toute l’étendue du site considéré, comme suit :
k = [(A.Δ-)/sin(φ+10)] – B
avec Δ- = [a.ΔT/T + b.ΔH/H]/(a+b), où T et H sont respectivement les moyennes des températures et des altitudes, a et b seraient des constantes arbitraires en pourcents (%), A et B seraient des constantes empiriques .
●Effet d’altitude : un point fondamental à retenir, qui est d’ailleurs couramment appliqué, est le gradient δ1¹⁸O vs. altitude qui est de 3 ‰ d’appauvrissement en 1¹⁸O pour 100 m d’augmentation en altitude. Ce principe est appliqué au bassin versant de Sfax (Tunisie) et à l’aquifère karstique de Bossea (Italie) par exemple.
Introduction |