PRESCRIPTIONS OFFICIELLES ET CADRE INSTITUTIONNEL DE FORMATION INITIALE DANS LE DOMAINE DE LA LECTURE DES TEXTES LITTÉRAIRES À L’ÉCOLE
L’enseignement de la lecture des textes littéraires dans les prescriptions officielles
En tant que tâches prescrites en mutation, les évolutions des prescriptions sont à prendre en compte dans leur relation avec la tâche redéfinie et la tâche effective. Il faut comprendre dans quelle mesure ces prescriptions témoignent d’une évolution du modèle d’enseignement, en quoi elles sont lues et prises en compte par les enseignants interrogés, comment ceux-ci les comprennent et dans quelle mesure celles-ci sont liées à des changements dans leur activité. Il s’agit de saisir le rôle de l’évolution diachronique de l’institution de formation et celle des modèles d’enseignement dans la définition des objets d’enseignement et dans le développement professionnel des enseignants formés actuellement.
Même s’il a fallu attendre les programmes de 2002 (MEN14, 2002) pour voir la littérature mentionnée explicitement comme domaine d’apprentissage à l’école primaire, l’enseignement de la lecture des textes littéraires n’est pas un objet nouveau à l’école. Avant 2002, il apparait même comme un objet diffus. Les objectifs et les enjeux qu’il poursuit varient selon le contexte politique et social. Pour comprendre les prescriptions actuelles, il nous faut donc les situer dans leur histoire. Précisons que nous entendons ici par prescriptions non seulement les instructions officielles publiées au Journal Officiel mais aussi les documents d’accompagnement et autres publications émanant du Ministère. Nous chercherons à chaque fois à dégager les finalités, les modalités et les postures de lecteurs visées.
De l’évidence à la complexité : les instructions du XIXe siècle à 2002
La didactique historique montre que les modèles d’enseignement sont historiquement situés (Bishop, 2016, Ibid.) et évoluent au fil des projets politiques, des préoccupations sociales et des apports de la recherche. Bien que notre recherche ne s’inscrive pas particulièrement dans une dimension diachronique, ce détour historique nous permet d’interroger les fondements et les finalités du modèle actuel et donc de saisir la dimension politique et sociale de l’activité des enseignants.
Il nous intéresse également dans la mesure où il permet de percevoir l’activité enseignante comme fruit d’une sédimentation qui est ici analysée dans ses dimensions historiques, sociales et politiques et qui est observée plus loin dans son actualisation et dans ses dimensions intra- et inter-individuelles. Les recherches de Bishop mettent particulièrement en lumière l’évolution des Instructions Officielles de l’école primaire concernant la lecture des textes littéraires. Portant plus précisément sur la période s’étendant de la fin du XIXe siècle à 2002, elles nous montrent en quoi, en un peu plus d’un siècle, les pratiques et les finalités de cet enseignement ont évolué en lien avec les mutations des conceptions de la littérature et l’évolution de l’image du lecteur.
Le modèle fondateur, dominant de la fin du XIXe à la fin de la IVe République, se caractérise par la volonté de transmettre un patrimoine littéraire et de former un lecteur capable de mener une lecture expressive qui est, considère-t-on, gage de compréhension et d’appréciation. La finalité de cet enseignement est liée à la volonté républicaine d’éduquer les citoyens.
Une prescription en cours d’évolution : les instructions officielles et documents d’accompagnement de 2005 à 2014
Cette sous-partie est consacrée aux textes réglementaires auxquels étaient soumis les enseignants suivis dans le cadre de notre enquête jusqu’à la rentrée 2016. La question de la rupture et de la continuité entre ces diverses instructions est posée par l’analyse que nous en faisons et sera également soulevée dans l’enquête. L’analyse doit permettre de voir dans quelle mesure les instructions de 2002 continuent ou pas à irriguer les pratiques des enseignants interrogés. Dans le Socle commun de connaissances et de compétences défini par la loi pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005, en vigueur jusqu’à la rentrée 2016, la littérature apparait dans le domaine de la maîtrise de langue française.
La tâche prescrite dans ce domaine fixe des objectifs de développement du citoyen : La langue française est l’outil premier de l’égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité : elle permet de communiquer à l’oral comme à l’écrit, dans diverses situations ; elle permet de comprendre et d’exprimer ses droits et ses devoirs. (Socle commun de connaissances et de compétences, 2005, p.6) L’accès à la littérature est posé comme central : La fréquentation de la littérature d’expression française est un instrument majeur des acquisitions nécessaires à la maîtrise de la langue française. (Ibid.)
La littérature est également présentée comme un objet de connaissance essentielle à l’acquisition d’une culture humaniste qui « se fonde sur l’analyse et l’interprétation des textes et des œuvres d’époques ou de genres différents » et « repose sur la fréquentation des œuvres littéraires (récits, romans, poèmes, pièces de théâtre), qui contribue à la connaissance des 69 idées et à la découverte de soi » (Ibid., p.18). Les enjeux assignés à l’enseignement de la littérature sont des enjeux de transmission procéduraux, sociaux et culturels.