Difficultes de prise en charge des leucemies aigues lymphoblastiques de l’enfant

Les leucémies aiguës sont les plus fréquentes des maladies malignes de l’enfant. Elles représentent environ un tiers de ces affections au cours de 15 premières années de la vie, et les trois quart des leucémies de l’enfant sont des leucémies aigues lymphoblastiques (LAL) (1). Soixante-dix à 75% des enfants traités pour LAL sont actuellement guéris par un traitement de première ligne. Les efforts développés tendent à accroître ce pourcentage tout en diminuant les séquelles potentielles (2).

La stratification des patients est capitale dans le choix du protocole appliqué. Les protocoles proposés dans la LAL de l’enfant ont été validés par des essais cliniques de plusieurs années. Actuellement, plusieurs critères entrent en jeux pour classifier les leucémies aigues lymphoblastiques de l’enfant afin d’améliorer le taux de guérison, allant des critères simples tels que l’âge au diagnostic, la leucocytose initiale jusqu’aux techniques de biologies moléculaires très détaillés .

Cependant, peu de pays en voie de développement comme Madagascar ont accès à des examens sophistiqués tels que l’immunophénotypage, les examens cytogénétiques, la biologie moléculaire dans les analyses des facteurs de risque des LAL. De ce fait la stratification des patients est moins précise de même que leur prise en charge.

PHYSIOPATHOLOGIE

Les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) sont définies par un envahissement de la moelle osseuse par une population lymphoïde immature et monoclonale. La transformation maligne d’un progéniteur lymphoïde produit une descendance de cellules lymphoïdes bloquées à un stade précoce de la différenciation cellulaire et incapables de maturation terminale et dont la prolifération et l’apoptose sont dérégulés. Les précurseurs concernés par la transformation maligne sont des précurseurs lymphoïdes B ou T, les LAL de l’enfant sont à 80% de type B.

Etiopathogénie

L’étiologie des LAL de l’enfant est inconnue dans plus de 90% des cas. En effet la LAL se caractérise dans un premier temps par l’apparition de mutations somatiques et de réarrangements génétiques à l’intérieur d’une cellule de la lignée des pro géniteurs lymphoïdes médullaires. Cette cellule va subir une transformation maligne et générer une population monoclonale de précurseurs lymphoïdes immatures (lymphoblastes préB ou pré-T) incapables de maturation terminale et dont la prolifération et l’apoptose sont dérégulées.

La population cellulaire clonale envahit la moelle osseuse, perturbe le fonctionnement des pro géniteurs normaux et entraîne une insuffisance médullaire. Le mécanisme de l’inhibition de l’hématopoïèse polyclonale normale faisant suite à l’infiltration blastique médullaire est soit l’encombrement physique de l’espace médullaire soit l’inhibition de la différenciation des progéniteurs hématopoïétiques normaux soit l’association des deux mécanismes. Ainsi, l’augmentation de l’espace médullaire occupée par la population des lymphoblastes au cours du temps se ferait au dépend de celui réservé aux différentes lignées hématopoïétiques normales, qui en se raréfiant génèrent une insuffisance médullaire qui influent sur la numération sanguine des cellules hématopoïétiques matures.

Il en résulte la survenue d’un tableau clinico-biologique d’insuffisance médullaire (déficit en cellules matures des lignées hématopoïétiques). Les cellules leucémiques envahissent la moelle osseuse, ensuite le sang voire les ganglions, les reins, le système nerveux central… Le caractère aigu de la leucémie est défini par le potentiel évolutif rapide (en quelques semaines) des symptômes et signes biologiques de la maladie et le caractère rapidement létal des troubles viscéraux engendrés, ceci en l’absence d’un traitement efficace.

Plusieurs facteurs sont reconnus être associés à un risque accru de développer une leucémie.

Facteurs génétiques 

Des prédispositions génétiques contribuent sûrement à l’apparition d’une leucémie; ainsi le risque est important pour un jumeau homozygote d’un enfant leucémique avec un risque à 100% si la LAL survient avant 1 an, et à 20-25% si la LAL survient après 6 ans mais le risque s’amenuise en suite pour approcher un risque standard après 10 ans. L’augmentation des risques chez les enfants de mère leucémique et des mariages consanguins sont aussi rapportés.

Des anomalies génétiques constitutionnelles augmentent le risque de LAL. Celle ci est particulièrement fréquente chez les enfants atteints de trisomie 21, le risque pour ces enfants de présenter une leucémie est 20 fois plus important que chez les enfants normaux. Il est à noter qu’une trisomie 21 acquise est fréquente au cours d’une LAL (30%), le gène impliqué dans la leucémogénèse est en 21q22-ter. D’autres maladies génétiques sont également citées tels que l’ataxie-télangiectasie, le syndrome de Bloom, la maladie de Shwachman.

Dans la maladie de Fanconi, la neurofibromatose de type 1 et la maladie de Blackfan-Diamond, l’augmentation de fréquence des hémopathies malignes porte essentiellement sur les hémopathies myéloïdes.

Facteurs environnementaux

L’exposition à des radiations ionisantes augmente le risque de leucémie aiguë lymphoïde et myéloïde. Le risque est corrélé à la proximité de l’irradiation. Ce rôle a été analysé pour trois types différents d’exposition : avant la conception, pendant la vie intra-utérine et après la naissance. Certains auteurs ont mis en évidence une augmentation du risque chez les enfants nés d’un père ayant vécu à proximité d’une centrale nucléaire, via la survenue d’une mutation germinale mais celle ci n’a pas été confirmée dans d’autres études. Le risque lié à l’exposition pendant la vie intra-utérine ou après la naissance est bien documenté mais n’est actuellement en cause que dans un très faible pourcentage de cas de LAL de l’enfant.

Les leucémies secondaires aux médicaments cytostatiques et agents chimiques cancérigènes sont dans la majorité des cas des leucémies aiguës myéloïdes ou des myélodysplasies plutôt que des LAL.

Le rôle d’agents infectieux qui agiraient comme cofacteurs de la leucémogenèse a été suggéré depuis des longues dates (hypothèse de Greaves) mais n’a été démontré que dans le cas du virus Epstein-Barr (EBV), qui est impliqué dans la leucémie de Burkitt (LAL3).

Classification

La description des différentes anomalies cytogénétiques a été le point de départ de l’individualisation d’entités dont l’intérêt dépasse le rôle de critère pronostique. La LAL de l’enfant doit maintenant être considérée comme une maladie hétérogène faite d’entités distinctes sur le plan de leur physiopathologie moléculaire, de leurs étiologies, du mode de présentation clinique et biologique et de la réponse au traitement.

Classification cytologique 

La classification FAB, initialement décrite par les auteurs français, américains et britanniques, est utilisée très largement .On distingue les formes L1, L2, L3 en fonction de l’aspect du noyau et des nucléoles, du rapport nucléocytoplasmique, de la basophilie du cytoplasme, de la présence de vacuoles cytoplasmiques.

Lymphoblastes L1 :
Les lymphoblastes L1 (90 % des patients) sont de petites cellules à très haut rapport nucléocytoplasmique ; les nucléoles ne sont généralement pas visibles ; le cytoplasme dépourvu de granulations est réduit à un petit liseré périphérique.

Lymphoblastes L2 :
Les lymphoblastes L2 sont des cellules plus grandes, leur cytoplasme est plus abondant, les nucléoles sont visibles. La distinction L1/L2 n’est pas corrélée à des profils phénotypiques ou cytogénétiques particuliers. Avant l’utilisation des protocoles modernes, le mauvais pronostic est initialement associé aux lymphoblastes L2.

Lymphoblastes L3 :
Les lymphoblastes L3 sont très spécifiques de la leucémie de Burkitt, c’est-àdire de la leucémie à cellule B mature qui porte des immunoglobulines de membrane. Le lymphoblaste L3 est facilement reconnaissable par l’intense basophilie du cytoplasme et la présence de nombreuses vacuoles cytoplasmiques.

Classification phénotypique

L’immunophénotypage permet de déterminer, à l’aide d’anticorps monoclonaux utilisés en cytométrie de flux, le diagnostic d’appartenance de lignée : lignée B ou lignée T, ainsi que le stade de maturation. Cette analyse a une valeur diagnostique et pronostique par exemple, l’existence de l’antigène CD 10 ou CALLA (« Commun Acute Lymphoblastic Leukemia ») qui est présent dans la plupart des LAL de l’enfant et corrélé à un bon pronostic.

Identification de la lignée en cause :
Les marqueurs les plus spécifiques sont l’expression intracytoplasmique de CD79a pour la lignée B, CD3 pour la lignée T, myéloperoxydase pour la lignée myéloïde mais certaines LAM sont MPO négatives (LAM0). Il faut au moins un score de deux points dans une lignée pour affirmer l’appartenance des blastes à cette lignée et les scores doivent être inférieurs à 2 dans les autres lignées sinon il s’agit d’un biphénotypisme cellulaire. Au cours des LAL biphénotypiques, le caractère biphénotypique fait référence à une infidélité de lignée, le score devant être supérieur à 2 pour les 2 lignées. Le biphénotypisme accompagne souvent les LAL associées à une translocation t(4 ;11). Le tableau clinique est celui d’une LAL hyperleucocytaire et splénomégalique. Les cellules ont à la fois un phénotype pré B (CD19+, CD10-, cIg+) et un phénotype myélomonocytaire (CD23, CD14, CD33, CD4). Le pronostic est grave.

Identification du stade de maturation :
Les marqueurs les plus importants à rechercher sont ceux qui doivent être négatifs. Si leur négativité n’est pas démontrée, la leucémie est inclassable.

LAL de la lignée lymphoïde B 

La LAL de type B présente au moins 2 de ces marqueurs : CD19 et/ou CD20 et/ou CD79a et/ou CD22, le plus souvent TdT positive et HLA-DR positive (sauf B-I). La LAL pro-B ou LAL B-I n’exprime aucun autre marqueur. La LAL B-II ou LAL commune exprime CD10 et HLA DR et ne possèdent pas de marqueurs T ni d’immunoglobuline de surface ou intra cytoplasmique. Elles représentent 55-65% des LAL de l’enfant et 50% des LAL de l’adulte. Elles sont de pronostic favorable chez l’enfant. La LAL B-III ou pré-B exprime une IgM intracytoplasmique et à l’immunophénotypage on retrouve une chaîne lourde d’immunoglobuline intracytoplasmique. Ce type de LAL représente 15-20% des LAL de l’enfant et 20% des LAL de l’adulte. Les lymphoblastes sont CD10+. Trente pour cent d’entre elles s’accompagnent d’une translocation t(1 ;19).

La LAL-IV ou LAL-B mature ou LAL de Burkitt, est définie par la présence d’une immunoglobuline, une chaîne légère κ ou λ, de surface et d’une cytologie particulière. On retrouve, comme dans les lymphomes de Burkitt, la translocation t(8 ;14) , t(8 ;22) ou t(2 ;8). Ces leucémies de type Burkitt ont un temps de doublement rapide avec une hyperleucocytose parfois importante. Le risque majeur est un syndrome de lyse aiguë spontané ou en début du traitement d’induction ou même dès le début de la corticothérapie. Des chimiothérapies intensives tenant en compte le risque méningé apportent des résultats encourageants.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS ET REVUE DE LA LITTERATURE
I PHYSIOPATHOLOGIE
I.1 – Etiopathogénie
I.2 – Classification
I.3 – Génétique moléculaire
I.4 – Facteurs pronostiques
II SIGNES CLINIQUES
II.1 – Signes d’insuffisance médullaire
II.2 – Signes liés à la prolifération tumorale
III DIAGNOSTICS
III.1 – Diagnostic positif
III.2 – Diagnostic de gravité
IV TRAITEMENT
IV.1 – Buts
IV.2 – Moyens
IV.3 – Indications
V SURVEILLANCES ET SUIVIS
V.1 – Surveillances à court terme
V.2 – Suivis à long terme
VI EVOLUTION
VI.1 – Guérison
VI.2 – Chimiorésistance
VI.3 – Rechute
VI.4 – Décès
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
I METHODES
I.1 – Critères d’inclusion
I.2 – Critères d’exclusion
I.3 – Traitements
I.4 – Critères de jugement
II RESULTATS
II.1 – Aspects épidémiologiques généraux
II.2 – Aspects socio-économiques
II.3 – Aspects cliniques
II.4 – Aspects biologiques
II.5 – Aspects évolutifs
III COMMENTAIRES ET DISCUSSION
III.1 – Epidémiologie
III.2 – Recrutement
III.3 – Choix de protocole
III.4 – Caractéristiques de la population selon les facteurs pronostiques
III.5 – Données constatées
III.6 – Difficultés rencontrées
IV SUGGESTIONS
IV.1 – Structure organisée
IV.2 – Prises en charge bien codifiées
IV.3 – Assistance sociale
IV.4 – Assistance technique
IV.5 – Autres recherches
CONCLUSION

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