Conditions d’emergence de l’ecriture engagee

LA PERIODE COLONIALE

La littérature malgache d’expression française de la période coloniale a été marquée par la présence de Jean Joseph RABEARIVELO et de Jacques RABEMANANJARA. Jean Joseph RABEARIVELO est un auteur qui vivait en lui les déchirures et les humiliations de la colonisation mais aussi l’orgueil et la révolte incessamment réprimés derrière la façade tantôt souriante, tantôt ombrageuse mais probablement étrangère à toute violence.

Jean Joseph RABEARIVELO ne s’est pas laissé envahir par le cours de l’histoire. Il a essayé de le dépasser et d’en tirer des fruits même amers. Riche d’un métissage culturel fécond, il a connu des réussites brillantes en puisant dans les ressources apportées par l’Occident, dont la langue française, pour les mouler avec bonheur dans l’imaginaire malgache. Il était sûr et certain qu’il était possible de dépasser par l’esprit, le talent et l’art, la fausse fatalité d’une domination étrangère imposée et méprisante. C’est cette révolte qui l’engageait et dérangeait beaucoup son époque. Il attaquait surtout les colonisateurs en les provoquant et en ménageant guère les classes dirigeantes malgaches incapables d’assumer le cours de l’Histoire.

Pour Jacques RABEMANANJARA, son apprentissage de la littérature passait par le hain-teny , les Ohabolana . Son ambition était d’être écouté et compris puisqu’il avait son message à faire passer et cela en français pour avoir une audience un peu plus large. Ce qui l’a amené à écrire, c’était surtout la lutte contre le colonialisme qui consistait à supprimer la personnalité du colonisé, faire en sorte que les malgaches n’aient pas d’ancêtres, pas de passé. Nous observons là, une part d’engagement de Jacques RABEMANANJARA qui revendique surtout l’identité malgache, engagement personnel dû aux circonstances de l’Histoire.

La poésie est le genre qui domine l’espace littéraire de la période coloniale et la première image qui se dégage des poèmes de cette période est celle d’un pays « exotique ». Cette image, c’est-à-dire l’image de Madagascar n’émerge véritablement au niveau de la conscience collective qu’à partir du moment où de nombreux écrivains apportent leurs témoignages sur les beautés exotiques de l’île et les méfaits de la colonisation.

Cette forte fréquence de Madagascar et de ceux qui peuvent la substituer peut être expliquée par le fait que durant la période coloniale, la politique de répression s’étendait dans tous les domaines à Madagascar. Il était interdit aux Malgaches de prendre conscience de leur identité et de leur unité. C’est pourquoi ils n’avaient que la littérature pour manifester leur aspiration profonde et que cette seule arme qu’ils avaient était aussi sévèrement censurée. Ainsi, les écrivains n’osaient pas vraiment s’engager dans leurs écrits.

LA PERIODE DE L’INDEPENDANCE (DE 1960 A 1980) 

La période littéraire des années 60 à 80 prend une toute autre dimension car l’Indépendance semble avoir libéré un certain nombre de blocages liés aux réalités coloniales. En effet, les écrivains exaltent dans leurs écrits les beautés exotiques de Madagascar, l’île libre et indépendante sur un fond historique et ethnologique. Ils assumaient leur double culture, désormais sans fausse honte et sans fierté déplacée afin de s’intégrer dans une littérature internationale sans avoir à nier leur racine.

La poésie est également le genre le plus pratiqué pendant cette période car la publication est plus accessible vu le volume des ouvrages. Les écrivains ont une préférence marquée pour des thèmes qui relatent l’humain malgache : le pays, son sol et son peuple. Ils sont à la recherche d’une expression spécifiquement malgache, à la recherche de la forme pure et à la reconquête de la malgachéité.

Les écrivains parlent également des grandes légendes et veulent montrer que ces dernières manifestent les besoins profonds de la religion populaire étouffée par la colonisation. Ils veulent aussi rétablir les valeurs ontologiques dans leur essence même mais ne parviennent pas à se débarrasser du milieu culturel dont l’école contribue à instaurer. Malgré tout, ils ont réussi dans leur tentative de faire connaître leur enracinement et leurs origines. Toutefois, même si la liberté a été retrouvée, la liberté d’expression n’existait pas encore et les écrivains n’osaient pas s’engager ouvertement. Ce n’est seulement qu’à partir des années 80 que commence la liberté d’expression. Ce fut l’émergence de l’écriture engagée.

LES ANNEES 80 

Les années 80, c’est les années où la littérature malgache d’expression française naît de nouveau. En effet, en ces temps-là, les écrivains malgaches, de toutes les générations renouent avec la création en langue française après une longue traversée du désert des années 70.

LA PRODUCTION LITTERAIRE 

La production littéraire francophone des années 80 connaît un certain dynamisme : elle rallie toutes les générations littéraires et reprend les traces de la poésie de la Négritude ainsi que les traditions néo-classiques des années d’Indépendance. Elle assume également l’originalité de nouvelles voies prises par tous les genres. Effectivement, romans, théâtres et surtout poésies et nouvelles comprennent des innovations remarquables au niveau de l’écriture de la thématique et du langage. Certains romans et surtout la plupart des nouvelles tendent à détruire la linéarité des récits, à jouer de la diversité de conception de la narration.

Les pièces modernes annulent le réalisme conventionnel des décors et des personnages pour en souligner la valeur symbolique. Les poèmes n’utilisent pratiquement plus les rimes et jouent avec la mise en page, le rythme et la ponctuation.

A travers tous ces genres, le langage est extrêmement violent ou se met au niveau du quotidien. Toutes des innovations assument de nouveaux thèmes qui remodèlent en profondeur le paysage littéraire. La production littéraire malgache francophone des années 80 connaît aussi un paysage littéraire original. Ce dynamisme et cette originalité assurent l’authenticité de l’espace littéraire de ces années.

Cette production témoigne d’une reprise d’activité spontanée et massive composée par la diversité des genres, des tons et des styles, les différents aspects de la thématique et les divergences des écritures. Elle témoigne également de la survivance de la littérature exotique et édifiante qui a marqué les années 60. Cependant, elle met surtout en évidence la génération des années 80 pour que la création en langue française soit un moyen d’assurer la conquête de l’identité ; une jeune génération pour qui l’écriture est un moyen de s’engager en tentant de se situer dans l’univers du Tiers-monde, du Monde Moderne et surtout dans la densité et le désordre de la vie. C’est cela l’émergence de l’écriture engagée.

Cette production est une production diversifiée et c’est dans cette diversité que s’affirme incontestablement l’harmonie d’une littérature profondément enracinée dans l’univers malgache.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : CONDITIONS D’EMERGENCE DE L’ECRITURE ENGAGEE
CHAPITRE I. CONTEXTE SOCIO-CULTUREL MALGACHE
I.1.1. LA PERIODE COLONIALE
I.1.2. LA PERIODE DE L’INDEPENDANCE (DE 1960 A 1980)
I.1.3. LES ANNEES 80
I.1.3.1. LA PRODUCTION LITTERAIRE
I.1.3.2. LE THEATRE DES ANNEES 80
A. Le théâtre ethnologique
B. Le théâtre sociologique
C. Le théâtre historique
I.1.3.3. LES PROCEDES D’ECRITURE AU THEATRE
I.1.4. SITUATION DES ECRIVAINS MALGACHES FRANCOPHONE DES ANNEES 80
CHAPITRE II. DAVID JAOMANORO ET MAROTIANA RANDRIANIRINA : DES AUTEURS ENGAGES
I.2.1. DAVID JAOMANORO : L’AUTEUR
I.2.2. MAROTIANA RANDRIANIRINA (DADDY) : LE METTEUR EN SCÈNE
DEUXIEME PARTIE : LES FONCTIONS DE L’ECRITURE THEATRALE OU DENONCIATION DES MAUX DE LA SOCIETE MALAGACHE
CHAPITRE I. FONCTION INFORMATIVE DE L’ECRITURE THEATRALE
II.1.1. L’ASPECT SPATIO-TEMPOREL
II.1.1.1. INDICATION SPATIALE
II.1.1.2. INDICATION TEMPORELLE
II.1.2. L’ASPECT SOCIO-CULTUREL
II.1.2.1. LES NOMS DES PERSONNAGES
II.1.2.2. LA TRADITION MALGACHE
A. Au niveau du texte
B. Au niveau de la représentation
II.1.2.3. LES REPLIQUES EN MALGACHES
A. Au niveau du texte
B. Au niveau de la représentation
II.1.3. L’ASPECT SOCIO-ECONOMIQUE
II.1.3.1. L’IMPORTATION
II.1.3.2. LE COMMERCE
A. Les étrangers
B. La misère
II.1.4. L’ASPECT SOCIO-POLITIQUE
II.1.4.1. LES MAUX DE LA SOCIETE
II.1.4.2. LES ELEMENTS DU POUVOIR
CHAPITRE II. FONCTION SUBVERSIVE DE L’ECRITURE THEATRALE
II.2.1. L’IRONIE
II.2.1.1. LES EFFETS DE LA MISE EN SCENE
A. L’intonation
B. La gestuelle
C. Le rire
C.1. Le rire du spectateur (lecteur)
C.2. Le rire du personnage mis en scène
II.2.1.2.LES EFFETS DU LANGAGE
A. Les figures
B. Les jeux de mots
B.1. Les noms des personnages
B.2. Les mots à double sens
II.2.2. LA SATIRE
II.2.2.1. L’INVERSION DE L’ORDRE MORAL
A. Le devoir du citoyen
B. L’énumération des autorités morales et politiques
II.2.2.2. L’AGRANDISSEMENT DANS LES IMAGES
A. Le sordide des éléments du décor
B. La déchéance physique des personnages
II.2.2.3. LES EMPRUNTS DU DISCOURS
A. Le port des pancartes
B. Le discours des pancartes
II.2.2.4. LA DERISION
A. La grossièreté
B. La caricature
TROISIEME PARTIE : DIMENSION POETIQUE DE L’ECRITURE THEATRALE
CHAPITRE I. LA STYLISATION DU REEL DANS LA REPRESENTATION
III.1.1. LA STYLISATION
III.1.1.1. L’ILLUSION DE LA VIE QUOTIDIENNE
A. Les comédiens
B. Les costumes
III.1.1.2. L’EFFET DE REEL SUR LE CADRE MALGACHE
III.1.2. LES LIMITES DE LA STYLISATION
III.1.2.1. LES AJOUTS
A. Les chants
B. Les répliques en malgaches
III.1.2.2. LES RETRAITS
A. L’annulation des scènes
B. Le retrait de quelques répliques
C. L’annulation des didascalies
III.1.2.3. LES CHANGEMENTS
A. Changements au niveau des repliques
B. Changements au niveau des didascalies
CHAPITRE II. L’ECRITURE THEATRALE ENGAGEE PAR REPETITION
III.2.1. LES TROIS UNITES
III.2.1.1. L’UNITE DE TEMPS
III.2.1.2. L’UNITE DE LIEU
III.2.1.3. L’UNITE D’ACTION
III.2.2. LES ENUMERATIONS
III.2.2.1. LES TIRADES
A. Le monologue
B. Le destinataire
III.2.2.2. LE CHAMP LEXICAL
III.2.3. LA COMMUNICATION PLURIELLE
III.2.3.1. AU NIVEAU DU TEXTE : DIALOGUES DOUBLES PAR PANCARTES
III.2.3.2. AU NIVEAU DE LA REPRESENTATION
A. La parole-audition
B. L’image-vision
B.1. Les pancartes
B.2. Les tableaux
CONCLUSION GENERALE
ANNEXE

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