Les situations de recherche et l’étude du boulier chinois
Les situations de recherche
Définition des situations de recherche en classe Nous faisons référence ici à la dénomination utilisée par Grenier et Payan (2003), situation de recherche en classe : » En situation de recherche, le chercheur peut, et doit, faire évoluer sa question, choisir lui-même le cadre de résolution, modifier les règles ou en changer, s’autoriser à redéfinir les objets ou à modifier la question posée. Il peut momentanément s’attaquer à une autre question si cela lui semble nécessaire. C’est à ce type de pratique (praxis pour la résolution d’une question) que nous souhaitons confronter l’élève. » (Grenier et Payan, 2003, p 190) Cette démarche met en avant les savoirs transversaux qui interviennent en mathématiques dans tous les domaines : » expérimentation, conjecture, argumentation, modélisation, définition, preuve, implication, structuration, décomposition/recomposition, induction… « . (Ibid, p 190).
Les savoirs transversaux sont explicites dans les programmes scolaires alors qu’ils restent absents des manuels (Grenier et Payan, 1998 et 2003). De plus, dans la pratique, l’objectif d’institutionnalisation de savoirs notionnels place généralement les savoirs transversaux au second plan. Ici, pour une situation de recherche, les notions mathématiques constituent des « points d’ancrage notionnels » pour l’enseignant. » Pour que la situation soit une situation de recherche, aucune stratégie, aucune connaissance ne doit être a priori exclue. » (Ibid, p 195) Pour caractériser une situation de recherche en classe, les auteurs proposent cinq critères : – la situation s’inscrit dans une problématique de recherche professionnelle (c’est-à-dire proche de questions non résolues par les mathématiciens), – la question initiale est facile d’accès (c’est-à-dire à comprendre), – il existe des stratégies initiales (sans pré-requis spécifiques indispensables), – plusieurs stratégies d’avancée sont possibles et – une question résolue renvoie très souvent à de nouvelles questions.
Considérant le triplet (Question, Conjecture, Preuve) comme un savoir, les auteurs se posent alors » la question de l’existence d’une situation fondamentale (Brousseau, 1998, p 59), pour ce savoir et donc, l’existence de situations adidactiques associées. » Les éléments du triplet sont les invariants de la situation. Les variables didactiques associées sont des variables de recherche. Les remarquent également que par rapport aux situations classiques en classe, ici » l’élève est en position de chercheur » alors que » l’enseignant est en double position de chercheur et de gestionnaire de la situation « . (Ibid, p 196). Enfin, l’enjeu de vérité, l’aspect social de l’activité et l’aspect recherche sont les trois aspects fondamentaux d’une situation de recherche
Définition de notre travail comme situation de recherche Pourquoi cette référence théorique ?
Comment nous situer par rapport à d’autres définitions ? Comment nous situer par rapport à ce modèle ? Grenier et Payan (2003) ont positionné les situations de recherche par rapport au problème ouvert (Arsac et al 1988) et au problème long. Ces démarches ont des caractéristiques communes, en particulier le souci d’argumentation, de formulation de conjectures… mais le problème ouvert et le problème long ont des contraintes institutionnelles assez fortes et même s’il existe plusieurs pistes pour aboutir à la solution, celle-ci est souvent immédiate pour le professeur. Par exemple, la question :
Le boulier, comment ça marche ? induit une situation de recherche ; alors que la formulation : Écrire 5 269 sur le boulier, induit un problème ouvert parce qu’en particulier on sous-entend pouvoir écrire ce nombre. Pour notre part, les situations que nous proposons sont des situations de recherche. Reprenons les cinq critères de caractérisation : – A priori, un des critères fort d’une situation de recherche est de s’inscrire dans une problématique de recherche actuelle en mathématiques. Même si nos questions ne constituent pas des questions ouvertes pour les mathématiciens de nos jours, nous pointons l’importance épistémologique des concepts en jeu. Comme nous l’avons développé, la numération positionnelle et le calcul ont nécessité une construction historique et épistémologique importante.
De plus, le support matériel n’engendre pas seulement un sens psychologique pour mieux comprendre. On observe aussi un fait épistémologique : les hommes ont commencé à compter avec des cailloux, puis des abaques, des tables à calculs avec des jetons en Europe, des bouliers en Asie. Pour faire émerger une théorie mathématique des nombres, l’humanité a dû s’aider de différents objets. Cette remarque est aussi pertinente pour la géométrie (Chevallard, 2004) pour laquelle les figures tracées sur papier sont un premier pas vers une théorie mathématique de l’espace et pas seulement une aide pour les moins bons. À la fonction psychologique s’ajoute la fonction épistémologique. De plus, lorsque la situation de recherche proposée est un problème non résolu par les mathématiciens, ceci change le rapport des élèves à la question et augmente sensiblement leur motivation. Pour nous, cette accroche est remplacée par la fabrication des objets matériels.