Les data centers à Plaine Commune, entre implantation discrète et promotion du territoire
Une infrastructure invisible dans un territoire en mutation
Reconversion urbaine et grands projets Comment expliquer l’implantation des data centers à Plaine Commune ? Nous verrons que la réponse à cette question dépend des acteurs rencontrés. Pour notre premier interlocuteur dans cette histoire, Nicolas, directeur du service développement économique de Plaine Commune depuis la création de l’Établissement Public Territorial (EPT) en 20005, l’arrivée des exploitants de data centers sur le territoire, a pour point de départ la construction du Stade de France à Saint-Denis, édifié pour accueillir la Coupe du Monde de Football de 1998.
Loin de n’être que dédiés à l’événement sportif, les préparatifs de la Coupe du Monde ont constitué un moment de transformation sans commune mesure pour le territoire, qui était jusqu’alors marqué par les stigmates de la désindustrialisation et de la construction des autoroutes A1 et A86, créant d’imposantes frontières entre les différents quartiers de Saint-Denis et d’Aubervilliers. Si ces autoroutes ont permis de relier Paris aux grandes villes du nord de la France et de l’Europe, elles ont en contrepartie relégué sa proche banlieue dans la position de marge inhospitalière. Pour accueillir les supporters du monde entier dans ce nouveau stade géant, les pouvoirs publics ont engagé de grands travaux infrastructurels touchant notamment à la desserte des transports. « Pour ce territoire qui avait pris du retard en termes d’investissements publics, le choix fait en 1993 pour décider que le Stade de France s’implantera ici va concentrer dans une période relativement courte plusieurs milliards de francs dans différents investissements d’aménagements. Des gares, de la voirie et autre. » Nicolas, directeur du service développement économique de Plaine Commune, entretien du 26 juin 2015.
L’accueil de la Coupe du Monde a été l’occasion pour les élus, et notamment Patrick Braouzek, alors Maire de Saint-Denis, d’une négociation avec l’État pour financer des aménagements tels que les prolongations des lignes de métro 12 et 136, des rénovations des lignes RER7, ainsi que la couverture partielle de l’autoroute A1 (Bacqué, 1998). Profitant de l’événement sportif international, les élus de Saint-Denis et du syndicat intercommunal Plaine Renaissance (qui est devenu en 2000 l’Établissement Public Territorial Plaine Commune) se sont engagés dans un important travail de promotion des qualités du territoire, vantant notamment les nombreuses friches industrielles à bas coût et la proximité via l’autoroute A89 de La Défense, dont les prix immobiliers devenaient très chers. Ils ont ainsi attiré l’attention des investisseurs immobiliers, et ont ouvert un grand programme de requalification de l’ancienne zone industrielle de la Plaine Saint-Denis, programme qui a connu un second souffle en 2008 avec les négociations autour du projet de métropole du Grand Paris, sur lesquelles je reviendrai dans la suite de ce chapitre.
Une implantation discrète
Les installations répétées de data centers n’ont guère attiré l’attention de la plupart du personnel politique et des habitants de Plaine Commune. Certains élus, favorables aux centres de données, s’en sont d’ailleurs attristés à l’occasion des entretiens que j’ai pu réaliser avec eux. Ainsi, Paul, élu de Saint-Denis et vice-président au développement économique de Plaine Commune de 2001 à 2014, regrettait l’absence de réaction de ces collègues, mais aussi de la population lorsque les entrepôts des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, qui assuraient l’impression et la distribution de la plupart des quotidiens en région parisienne, ont été réinvesties par des opérateurs de data centers. Selon lui, cette transformation, symbolique de la place nouvelle que prenait l’industrie numérique dans nos sociétés, était passée inaperçue. « Si je prends à Saint-Denis, il y avait les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne.
L’arrivée, le développement des Messageries de la Presse Parisienne, c’est un événement sur le territoire. Le départ des Messageries de la Presse Parisienne, éclatées sur plusieurs sites au début de la crise de la presse écrite, c’est aussi un événement, un traumatisme, etc. Après il y a un data [center] qui vient là12. C’était l’affaire du service économique de la ville de Saint-Denis et puis de Plaine Commune. L’installation se fait dans l’indifférence. Ce n’est pas que l’état d’esprit des collectivités, c’est plus large dans le paysage, dans la société. » Paul, vice-président (PCF) au développement économique de Plaine Commune de 2008 à 2014, entretien du 22 mai 2015. L’indifférence des élus et de la population quant à l’arrivée d’une infrastructure numérique dans un espace de plus 20 000 m2 au début des années 2000 contraste avec l’engouement et les critiques que connaissent ces infrastructures depuis quelques années (Vonderau, 2018). Le manque d’intérêt pour la place des réseaux et des bâtiments liés aux technologies de l’information et de la communication dans les espaces urbains n’est pas propre à Plaine Commune. Des urbanistes anglo-saxons (Graham 1997) et français (Duféal, Grasland, 2003) ont pu noter que le manque de visibilité des réseaux souterrains ainsi que la privatisation du secteur des télécommunications (Musso, 2008) ont fait des infrastructures du numérique un angle mort des politiques de développement économique et territorial.