Les cadrages théoriques à la rencontre d’un terrain
Le cadrage théorique
« Un bon dispositif de gestion c’est celui qui sait répondre aux défis présents puis anticiper sur l’avenir, en étant aussi adapté aux tâches et aux capacités de chacun. C’est difficile, puisqu’on a quand même à gérer une très grande hétérogénéité de natures de postes, de grandeurs, de capacités humaines. Je pense que c’est un des gros soucis qu’on a à mettre en place. […] je reviens à mon idée d’écosystème, essayer de trouver des outils dans lesquels les gens arrivent à trouver leur place par rapport à des homologues, par rapport à une tutelle, faire en sorte que ces outils de gestion apportent une vraie plus-value » (entretien MAE02). Ce chapitre analyse ce qu’est, à ce jour, le contrôle de gestion dit capacitant (enabling control en anglais). Il va s’agir de retracer son émergence depuis les travaux fondateurs jusqu’à son application aux systèmes de contrôle de gestion, en mobilisant les recherches les plus récentes.
La progression choisie s’articule en trois axes qui sont autant d’idées maîtresses ; nous préciserons l’insertion de ce cadre conceptuel dans les théories organisationnelles et du contrôle de gestion, et notamment le cadre des bureaucraties professionnelles et son lien avec l’approche contingente dans la mesure où cela fait sens avec les données recueillies sur notre terrain d’étude ; nous montrerons comment le modèle capacitant a évolué vers celui du contrôle capacitant, en le définissant et en soulignant ses imprécisions conceptuelles ; ces manquements nous conduiront à identifier trois leviers de compréhension du contrôle capacitant que nous avons mobilisés pour l’étude de notre terrain et qui ont été sous-caractérisés, voire absents, dans les travaux réalisés jusqu’à ce jour.
La revue de littérature, une tension entre savoir et non savoir
Le « cadrage théorique », qu’il convient d’entendre dans un sens générique, correspond dans notre développement à une revue de littérature centrée sur le modèle conceptuel que nous mobilisons. Dans cette première partie qui nous permet d’illustrer le cheminement d’allers et de retours entre éléments théoriques et empiriques, ce premier chapitre nous conduit à présenter la revue de la littérature en contrôle de gestion capacitant, que nous appelons « contrôle capacitant ». Le centrage sur le modèle conceptuel nous conduit à nous focaliser sur l’objet théorique de notre recherche en apportant des réponses au travers d’une analyse s’articulant autour de trois volets : – la genèse du contrôle capacitant à partir des travaux de Paul Adler ; – de quoi parle-t-on ? – comment en parle-t-on ?
Cette approche graduelle en trois temps permet de souligner les imprécisions conceptuelles du modèle mobilisé et d’identifier trois leviers de compréhension qui éclairent les résultats du présent travail de recherche et doivent être actionnés pour la mise en place de la qualité capacitante du contrôle de gestion. Nous élargirons notre propos en nous intéressant aux liens explicites que le modèle conceptuel du contrôle capacitant entretient avec d’autres approches théoriques. En effet, qu’il s’agisse d’une approche conceptuelle ou méthodologique, le contrôle capacitant peut être interrogé visà-vis d’autres approches théoriques, diverses les unes des autres. Nous proposons de représenter sous la forme d’un sablier la progression que nous avons retenue pour mieux saisir les éléments déterminants de cette partie (voir infra figure I.1.).
D’une manière générale, une revue de littérature peut s’entendre en tant que « travail d’identification, d’interprétation et d’analyse » du savoir qui a été produit par différents chercheurs et praticiens (Fink, 2014, p. XIII). Fink ajoute qu’il s’agit des travaux de recherche publiés et non publiés. Par souci de transparence, nous tenons à indiquer que la grande majorité de notre corpus provient de travaux de recherche publiés ou ayant fait l’objet de communications lors de manifestations scientifiques. La littérature de recherche non publiée à laquelle nous ferons référence nous a été communiquée directement par les auteurs (cas de documents complémentaires à des articles, par exemple des grilles d’entretiens ou des questionnaires) mais il peut s’agir aussi de versions de travaux destinés à communication ou publication, dont le statut est Chapitre I – Le cadrage théorique 37 sans doute moins fort que celui de travaux validés par les pairs et publiés mais qui peuvent également présenter un réel intérêt.
Une double insertion : le cadre des bureaucraties professionnelles et la théorie de la contingence
Dans un article publié par la revue canadienne Contemporary Accounting Research, Ahrens et Chapman (2004) présentèrent une nouvelle approche conceptuelle basée sur des travaux de recherche de Paul Adler et sur une étude de cas longitudinale dans une chaîne de restaurants au Royaume-Uni. Cet article constituant la publication fondatrice du contrôle capacitant prenait lui-même largement pour référence l’article d’Adler et Borys (1996) posant les bases conceptuelles du modèle capacitant à partir d’une réflexion orientée sur des bureaucraties de type capacitant et publiée dans la revue américaine Administrative Science Quarterly. Nous proposons d’aborder la compréhension de ce modèle avec une analyse des bureaucraties professionnelles à partir du modèle de Mintzberg, mobilisé tout au long de la présente recherche, et de la formalisation du travail pour situer le modèle capacitant au regard des travaux entrepris par Paul Adler dès sa recherche doctorale, en sorte de le situer en contrôle de gestion. Il nous semble en effet pertinent de positionner le modèle capacitant avant de le saisir puis de comprendre pourquoi et comment il a été adopté pour la recherche en systèmes de maîtrise de gestion.