Les ignames ou Dioscorea (famille des DIOSCOREACEAE) sont des plantes, cultivées ou sauvages, des pays tropicaux (Asie, Afrique et Amérique). Leurs valeurs socio-économique, culturelle, médicinale et industrielle, surtout dans les pays africains, les ont modelées pour être un aliment de très haute catégorie. L’Afrique de l’ouest, dont le Nigeria, suivi de la Côte d’Ivoire et du Bénin, est le premier producteur et consommateur d’ignames, avec plus de 95% de la production mondiale d’ignames (FAO, 1991). Au Nigeria, l’igname est un marqueur de rang social et occupe une place importante dans les rituels africains (mariage, naissance, inauguration, fêtes religieuses,…). Depuis les années 40, la plante a suscité beaucoup d’intérêts lorsque le chimiste Russell MARKER a découvert qu’elle était riche en diosgénine et en dioscine, Ces dernières ont ouvert la voie à la fabrication industrielle de pilules contraceptives ainsi que de la DHEA, substance connue pour ses propriétés rajeunissantes. D’ailleurs, différentes recherches ont été déjà menées sur les usages médicinaux traditionnels des ignames. Certaines espèces de Dioscorea ont des effets anti asthmatiques selon RAKOTOBE (1993), contre les blessures ou piqûres d’insectes d’après AKE ASSI (1998), contre l’impuissance sexuelle (BERTHAUD et al., 1998) et contre les maux d’estomac et les vers intestinaux (JEANNODA et al., 2003), …
Du point de vue alimentaire, les ignames représentent la principale nourriture de certains pays comme les Caraïbes, l’Océanie et l’Afrique centrale (ATTAIE et al., 1998). A Madagascar, elles constituaient l’alimentation de base des premiers malgaches ayant peuplé l’île, avant le XVIIIème siècle, mais elles ont été supplantées par le riz et d’autres plantes à racines et tubercules (RAISON, 1992). Il s’agit, en particulier, d’espèces originaires de l’Asie et/ou du Pacifique, D. bulbifera, D. alata et D. esculenta, qui ont été cultivées par les malgaches dans de véritables champs (PERRIER DE LA BATHIE, 1925). L’abandon de la culture des ignames s’est fait aux dépens des ignames sauvages ou « oviala » rencontrées dans toutes les forêts de Madagascar. L’exploitation de l’igname à Madagascar est donc progressivement passée d’une agriculture véritable à un système de cueillette permettant seulement de combler les besoins alimentaires en période de soudure ou de disette.
Famille des DIOSCOREACEAE
Position taxonomique
Selon JUDD et al. (1999), les ignames appartiennent au genre Dioscorea, famille des DIOSCOREACEAE, ordre des DIOSCOREALES, classe des LILIOPSIDA et superclasse des MONOCOLPEES (MONOCOTYLEDONES), mais des caractères morphologiques et anatomiques les rapprochent des DICOTYLEDONES (MIEGE, 1952). CONLAN et al. (1995) ont montré que les caractéristiques du codon de certains gènes des Dioscorea sont plus proches des DICOTYLEDONES que des MONOCOTYLEDONES. En 1998, ORKWOR et al. ont confirmé ce rapprochement par le port lianescent, la forme des feuilles, la nervation du limbe, l’organisation des faisceaux libéro-ligneux en un seul cercle dans les jeunes tiges et les pétioles, la présence de deux préfeuilles, la fréquence des inflorescences en cymes scorpioïdes, la présence de disque nectarifère dans certaines fleurs et la formation des pollens par division simultanée.
En 2002, se basant sur les caractères morphologiques et les données moléculaires, CADDICK et al. ont conclu que la famille des DIOSCOREACEAE compte quatre genres, appartenant tous à un même groupe monophylétique et se différenciant par leurs fleurs :
– un à fleur unisexué : Dioscorea et ;
– trois à fleurs hermaphrodites : Tacca, Trichopus et Stenomeris.
Description botanique
Morphologie
En 2002, CADDICK et al. ont publié une nouvelle description botanique de la famille des DIOSCOREACEAE : Plantes dont le port herbacé est rarement arbustif et souvent grimpant. Géophyte pérenne à rhizome court portant un à plusieurs tubercules qui contiennent de l’amidon et quelquefois des saponines stéroïdiens. Racines quelquefois avec une couche de velamen (Tacca et Dioscorea). Tige aérienne souvent longue et volubile puis à faisceaux disposés en deux cercles (sauf chez Trichopus zeylanicus). Feuilles à phyllotaxie alterne ou opposée, ordinairement moins courte, érigée et soutenant une seule feuille chez Trichopus zeylanicus ou acaule chez Tacca. Feuilles à pétioles munis d’un pulvinus sur chacune de ses extrémités ou légèrement engainante à la base comme chez Tacca. Excroissance nodale, ou de chaque côté de la feuille, quelquefois présente (appelée « stipule » par BURKILL en 1960). Limbe entier ou palmatifide ou composé, terminé par un acumen. Nervation primaire campylodrome, pennée ou palmée ; nervation secondaire réticulée. Raphides d’oxalates de calcium présents dans les organes végétatifs, trichomes variables, simples ou ramifiés, unis ou multicellulaires. Inflorescence généralement axile et peut être solitaire ou en panicule, cyme, épi ou racème. Fleurs trimères, épigynes, actinomorphes, unisexuées ou bisexuées, pédicellées ou sessiles, avec ou sans bractéoles. Tépales disposés en 2 cercles de 3 unités souvent semblables entre eux ; blancs, jaunes pales, verts ou bruns pourpres, libres ou parfois soudés à la base. Hypanthium court, large ou aplati, ou développé en une chambre urcéolée. Tépale fréquemment couvert de poils glandulaires nombreux ou clairsemés, en particulier au début de leur ontogénèse. Etamines (ou staminodes) disposées sur 2 cercles de 3, les plus internes étant quelques fois stériles ou absentes. Filets courts ou longs, parfois soudés, quelquefois fusionnés aux tépales par leur base réfléchie. Anthères tétraloculaires, introrses, à déhiscence longitudinale. Pollen monosulqué, bisulqué. Gynécée syncarpe, tricarpellé, uni ou triloculaire, contenant 6 à plusieurs ovules anatropes, crassinucellés, rarement tenuinucellés, placentation axile ou pariétale, stigmate trifide ou trilobé. Fruit généralement capsule, rarement une baie ou samare, à déhiscence loculicide, irrégulier ou indéhiscent. Graine aplatie et ailée ou non, globuleuse et lisse, irrégulière, prismatiqueréniforme et striée longitudinalement.
Anatomie
Selon DEGRAS (1986), les DIOSCOREACEAE peuvent être reconnus par l’ensemble des caractères anatomiques suivants :
– les faisceaux libéro-ligneux, à disposition alterne sur un cercle, sont organisés en deux types : les faisceaux ordinaires ou common bundles (les plus petits) et les faisceaux caulinares ou cauline bundles (les plus gros) ;
– le liber composé de tubes conducteurs, de cellules compagnes et de parenchyme libérien ;
– une à sept unités libériennes dans les faisceaux ordinaires ;
– le bois composé de vaisseaux, de trachéides (vaisseaux imparfaits) et de parenchyme ligneux ;
– un parenchyme à réserve amylacée se trouvant dans le tubercule ;
– des stomates anomocytiques (deux cellules de garde, rarement une ; pas de cellules compagnes différenciées) ;
– un tissu palissadique à la face adaxiale seulement.
Utilisations
Usages alimentaires
L’igname est une plante vivrière dont le tubercule est réputé par sa valeur nutritionnelle liée à sa richesse en amidon. « Un tiers des besoins énergétiques quotidiens de l’homme peut être couvert par un kilogramme d’igname », affirme COURSEY (in DEGRAS, 1986). L’énergie qu’elle apporte est environ égale au tiers de celle fournie par un poids équivalent de céréales, par exemple du riz ou du blé, car les tubercules sont très riches en eau (FAO, 1991). Dans les pays où l’igname constitue la base du régime alimentaire, les tubercules sont consommés frais ou transformés en pâte. Ils peuvent être aussi séchés en cossettes. Enfin les ignames peuvent faire l’objet de plusieurs transformations et sont alors disponibles sous plusieurs formes : farine, amidon, chips, …
Dans le cadre du projet FADES, la grande majorité des ignames recensées sont consommées, même celles qui sont toxiques ou amères (D. sansibarensis, D. antaly ou D. ovinala) (DBFA et DBEV, 2005). Les techniques de détoxification permettant d’éliminer l’amertume et la toxicité des tubercules sont connues et bien maîtrisées par les populations (trempage dans l’eau courante et séchage). Dans plusieurs régions de Madagascar, les gens préfèrent les ignames à d’autres tubercules (manioc, taro, patate douce) car elles sont réputées plus faciles à digérer (« tsy mahamasinaty ») et persistent plus longtemps dans l’estomac (« mateza an-kibo »). Ce sont surtout les ignames sauvages qui sont les plus appréciées : masiba ou ovy (D. maciba) à Morondava, ovifotsy (D. seriflora) à Ambositra-Ambohimahasoa (DBFA et DBEV, 2005) et masiba ou mality (D. maciba) à Ankarafantsika (RAKOTONDRATSIMBA, 2008). Les tubercules se mangent généralement cuits, frits et grillés. A Madagascar, il existe des ignames aqueuses, très riches en eau, comme le sosandrano, sosan’ala et babo (D. soso) ou anjiky (D. fandra). Ces dernières sont utilisées en tant que boisson rafraîchissante ou utilisées comme eau de cuisson. L’existence d’ignames aqueuses est un fait propre à Madagascar et unique au monde (DEGRAS, 1986).
A Madagascar, les tubercules d’ignames sont aussi transformés en cossettes pour permettre leur conservation. Le projet FADES a réussi à transformer les ignames malgaches en farine et en sirop de glucose (DBFA et DBEV, 2005).
Usages médicinaux et culturels
A cause de la présence de diosgénine, les vertus médicinales des ignames ont retenu l’attention particulière des chercheurs. La diosgénine est un composant chimique à partir de laquelle des médicaments stéroïdes sont fabriqués (DEGRAS, 1986). Beaucoup d’espèces d’ignames tant sauvages que cultivées sont utilisées, à Madagascar, pour soigner les maux d’estomac, les plaies, les furoncles et les brûlures (DBFA et DBEV, 2005).
Dans la région du Menabe, le bemako (D. alata) est considéré comme la plante des ancêtres (« zavamanirin’ny Ntaolo ») (JEANNODA et al., 2003), ce qui fait remonter à plusieurs générations l’importance des ignames. A Brickaville, on utilise le 26 juin comme date fatidique de début de récolte des ignames, « dilan’ny 26 jiona » (JEANNODA et al., 2003). Des dictons et proverbes attribuent également aux ignames leur importance dans la vie quotidienne de la population (JEANNODA et al., 2003). A Morondava, un dicton fait allusion à l’attachement de la population aux ovy ou masiba (D. maciba) même si leur tubercule s’enfonce profondément dans le sol très dur, lors des saisons de récolte (« Faly sahirana ohatry ny mpiady ovy »). A Brickaville, si on vous donne un rendez-vous auprès d’un D. bulbifera (« Manao fotoana am-body hofika »), n’y allez pas parce que l’on vous posera un lapin car il n’y a pas d’ombre au pied de cette igname qui puisse vous permettre de patienter. Des traditions renforcées par des croyances ont assuré la pérennité de cette ressource ainsi que sa conservation. Aussi bien à Brickaville qu’à Morondava, lorsqu’on déterre l’igname, il ne faut surtout pas parler ni siffler de peur que le tubercule ne disparaisse. Des règles sociales ancestrales connues sous le nom de « dina » sont appliquées aux ignames de Brickaville où toute personne qui déterre les ignames doit replanter la corme prélevée du tubercule en rebouchant le trou (DBFA et DBEV, 2005). A Ankarafantsika, la récolte du tubercule se fait souvent lors des jours « fady » (mardi et jeudi) pendant lesquels les paysans ne travaillent pas au champ (RAKATONDRATSIMBA, 2008).
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