Intégration financière, croissance économique et chocs financiers
Contraintes et coûts de la non intégration
Les expériences des mouvements de libéralisation financière à travers les pays durant les deux dernières décennies ont conduit les économistes et les décideurs des pays à reconnaître qu’en plus des avantages potentiels évoqués ci-dessus, l’ouverture des systèmes financiers peut également générer des coûts importants pour les pays. Ces coûts potentiels comprennent2 : (i) l’accroissement des flux de capitaux dans l’économie domestique et le manque d’accès au financement pour les petits pays ; (ii) la mauvaise répartition domestique de ces flux, ce qui peut entraver leurs effets positifs sur la croissance et aggraver les distorsions domestiques préexistantes ; (iii) la perte de la stabilité macroéconomique ; et (iv) l’augmentation du degré de volatilité des flux de capitaux, ce qui peut engendrer des pertes et des risques financiers importants. 1 Abdi H. N. (2012), « L’Afrique entre les défis de la mondialisation et l’agenda de l’intégration régionale », Revue PASSERELLES (Revue africaine pour une nouvelle perspective sur le développement durable), Vol. 13, No. 3, Octobre, p 10. 2 Agénor (2001), op-cit, p 12. Intégration financière, croissance économique et chocs financiers Chapitre IV. Intégration financière, croissance économique et chocs financiers externes : investigation empirique sur les pays de l’UMA 160 En général, les politiques intérieures et extérieures de la libéralisation financière dans plusieurs pays avancés et émergents ont augmenté leur vulnérabilité aux chocs financiers. Autrement dit, ces politiques semblent avoir été associées à des chocs financiers coûteux, tel que indiqué par Williamson et Mahar (1998)1 . Cette liaison aux chocs peut être un peu trompeuse, étant donné que les crises financières sont des événements complexes dont les causes sont multiples et ont eu lieu, principalement, à cause des politiques de libéralisation des systèmes financiers. Par conséquent, eu égard aux nombreuses expériences d’échec des politiques de libéralisation financière (y compris la libéralisation du compte de capital) qu’ont connues plusieurs pays du monde [Chile (1981) ; Mexico (1995) ; Asie du Sud Est (1997) ; Turkey (1994) ; …], les économistes ont soulevé de sérieuses questions pour savoir dans quelles conditions une telle libéralisation sera bénéfique (et non pas nuisible) pour la croissance économique2 . Néanmoins, le coût de la non concrétisation de l’union Maghrébine peut s’avérer insoutenable pour les économies de la région. En réalité, les échanges commerciaux de chaque pays du Maghreb avec l’Union Européenne représentent entre 60% et 70% de leur commerce extérieur, tandis que les échanges intra-maghrébins ne représentent que 2,5%. Même leurs échanges avec l’Amérique Latine sont supérieurs à ceux qu’ils entretiennent entre eux. Donc, le non-Maghreb coûte cher à ces pays3 . Les pertes dues à l’absence d’intégration s’élèveraient, ainsi, à plus de 10 milliards de dollars par an pour l’ensemble de la région4 . La faiblesse des échanges entre les pays du Maghreb entrave le décollage de ces économies en raison, notamment, de la rigidité de leurs structures économiques, des barrières douanières et des faibles taux d’investissement. Dans le nouvel ordre économique mondial, la non intégration financière entraîne des coûts élevés, mais la réalisation de cette opération commune n’est pas simple vu les multiples entraves qui surgissent tout au long du parcours menant vers la concrétisation de cette importante tâche. La volonté politique, pointée du doigt et tenue, le plus souvent, pour responsable de la stagnation, ne semble plus avoir réellement prise sur une réalité envahissante. Cela est observable dans le cas de l’UMA. En effet, les les dirigeants maghrébins ont toujours manifesté leur ferme volonté de lever les obstacles matériels et immatériels qui se dressent devant l’intégration financière et économique de la région. Mais les discours diplomatiques pavés de bonnes intentions ont été rarement suivis d’actions concrètes. Une vision claire et bien ciblée s’impose donc au plus haut niveau hiérarchique pour mener à bien les multiples projets de transformations internes nécessaires basés sur l’équité, la justice et la défense des intérêts de la région ; en veillant tout particulièrement à ce que les ressources du Maghreb soient destinées en priorité aux Maghrébins. Au demeurant, malgré la volonté politique exprimée par les chefs de gouvernements des cinq pays de l’UMA, la mission de créer une union économique et de mettre en place une zone de libre échange s’avère être une tâche éminemment complexe et exigeante au regard des multiples contraintes et obstacles existants. Parmi ces difficultés figurent : • la faiblesse de la volonté politique et/ou l’existence de plusieurs barrières d’ordre politique, notamment entre l’Algérie et le Maroc avec le sempiternel problème du Sahara Occidental ; • le manque de capacités techniques de certains pays membres (à l’exemple la Mauritanie et de la Lybie à l’heure actuelle) pour mettre en œuvre les programmes communs en termes d’intégration économique et financière ; • la faiblesse de la mobilisation domestique des ressources pouvant compenser les éventuelles pertes en recettes douanières ; • la faiblesse et l’insuffisance des infrastructures développées. Bien que ces obstacles soient de taille, ils ne sont pas pour autant insurmontables si la volonté de bien faire est réelle dans chacun des pays du Maghreb.
Défis à relever par les économies maghrébines
Pour atteindre les objectifs tracés en matière d’intégration financière et de développement économique, les pays de l’UMA doivent adopter une approche pragmatique dans leurs relations avec les pays développés et ceux en développement. Il s’agit pour eux d’instaurer une coopération solide et des relations économiques tissées Chapitre IV. Intégration financière, croissance économique et chocs financiers externes : investigation empirique sur les pays de l’UMA 162 non pas sur des liens historiques et/ou culturels, mais sur la base des intérêts de la région, à court, moyen et long terme. Dans cet ordre d’idées, les pays maghrébins seraient bien inspirés s’ils adaptaient leurs modèles à ceux de certains pays asiatiques comme la Chine, la Corée, la Malaisie ou encore l’Indonésie. Cela va sans dire, le contexte mondial actuel, impose aux pays du Maghreb de trouver de bons mécanismes de négociations avec les pôles économiques mondiaux et de diversifier leurs relations de coopération avec différents pays tout en renforçant le rôle de l’UMA afin de permettre à ce bloc de prendre de l’ampleur aux plans régional et international et d’être capable de préserver les intérêts économiques et culturels des peuples du Maghreb. En parallèle, la stratégie d’intégration des économies du Maghreb dans un ensemble structuré, intégré et cohérent (qui est l’UMA) doit se baser sur la valorisation du capital naturel qui contribue largement à la création de la richesse dans la région. Elle doit également passer par l’industrialisation et le développement des capacités productives devant permettre de promouvoir la spécialisation et le développement de chaînes de valeurs au niveau de la région. Il y a, en outre, la possibilité de renforcer la compétitivité des secteurs productifs africains et de les diversifier. Par ailleurs, pour ce qui est de la mise en place d’une Zone de Libre Echange (ZLE), les économies maghrébines sont tenues de procéder en deux étapes : • La première axera les efforts sur les principaux outils nécessaires à l’établissement de la ZLE (libéralisation tarifaire, résolution de conflits, procédures douanières et simplification des documents douaniers, procédures de transit, entraves au commerce, barrières techniques au commerce, mesures phytosanitaires et libre circulation des personnes). • La seconde doit compléter la première et se focaliser sur le commerce des services, la propriété intellectuelle, la politique de concurrence et le développement du commerce. En somme, les principaux défis économiques que les pays maghrébins doivent relever afin de parvenir à une intégration régionale efficace sont : – L’amélioration de la compétitivité des économies et la spécialisation dans la production à travers la stimulation du processus d’industrialisation et la multiplication des échanges mondiaux performants ; Chapitre IV. Intégration financière, croissance économique et chocs financiers externes : investigation empirique sur les pays de l’UMA 163 – Le parachèvement de l’assainissement macroéconomique des institutions économiques et financières ; – L’attractivité des investissements étrangers dans des secteurs autres que celui des hydrocarbures ; – – La simplification des procédures administratives et la réduction de la corruption ; – La création et le développement d’infrastructures de base d’accueil pouvant inciter les institutions financières à prêter ou à investir dans les différents secteurs économiques ; – Le perfectionnement des modèles d’interaction et de coordination entre les différents acteurs du système financier ; – L’amélioration du climat d’investissement pour tous les types de capitaux étrangers et domestiques et la création de conditions adéquates pour un environnement économique sain capable d’attirer les investisseurs étrangers ; – La valorisation du capital humain par la formation continue ; – La régionalisation du commerce des produits de base et l’harmonisation des régimes de change ; – L’élimination des barrières entre les pays et le partage des connaissances et des informations sur les marchés au-delà des frontières ; – La réforme des systèmes légaux et juridiques par la mise en place de règles et de disciplines adaptées à la situation (concurrence, investissement, régimes douaniers, …) ; – L’incitation des communautés économiques régionales à la prise d’initiatives visant à lever les obstacles, tels que l’infrastructure, le transport et la corruption, qui empêchent les marchés régionaux de fonctionner efficacement, – La réalisation de la convergence macroéconomique entre les pays de l’union à travers l’harmonisation des cadres juridiques, réglementaires et de supervision ; – La multiplication des activités financières à travers l’amélioration du taux de développement et d’approfondissement des systèmes financiers : l’expérience des pays émergents a montré l’importance fondamentale de l’approfondissement et de la diversification des secteurs financiers comme préalable à l’établissement d’une intégration économique et financière et, par conséquent, à l’amélioration des niveaux de croissance économique ; – Le renforcement de la stabilité financière, économique et politique .