Incarner l’invisible silence iconographique et médiumnisme médiéval

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Les bas-reliefs de Kalikot

Manma

Situé dans l’actuel district de Kalikot, le village de Manma se trouve à deux kilomètres en contrebas de Khāḍācakra, chef-lieu du district. Le côté occidental de l’éperon rocheux de Khāḍācakra est marqué par les vestiges lithiques d’un ensemble fortifié (Fig. 11.1, 11.2 et 11.3). En aval, sur la face sud du massif, le vieux village de Manma (Fig. 11.4) contient trois fontaines médiévales (KLK03, 04 et 05), un pilier non daté mais comportant la représentation d’un cavalier (KLK08, Pl. 8.36) et, vers l’extrémité orientale du bourg, le complexe de cinq temples nommé « Pañcadeval » (KLK06) (Fig. 11.6).Malgré l’absence de sources épigraphiques exploitables, il est possible de supposer que les temples de Manma, Śambhunāth et Mehalmudi que nous allons étudier ont été construits entre le XIVe et le XVe siècle. Plusieurs facteurs le suggèrent. Tout d’abord, les temples de Manma sont situés sur un versant faisant quasiment face au village de Gelā, à une journée de marche vers l’est. Aujourd’hui un village ordinaire, Gelā est cependant marqué par une large plateforme dominant les flots de la Karnali. Cet espace est ponctué par six piliers de héros, un stūpa et un petit temple construit en matériaux de remploi (KLK33-09), datant tous de la période médiévale. Il est évident que l’agglomération tint un rôle important sous les rois Khaśa Malla, principalement en raison de sa situation sur la « voie royale », un des principaux axes de circulation entre le district de Dailekh et les régions plus septentrionales. Gelā devait revêtir une certaine importance à la période impériale puisque le Kīrtikhamba de Dullu (1357) indique que Puṇya Malla est originaire de la lignée de Gelā (gelānvayaḥ) 624. Or nous avons déjà vu que Puṇya Malla, ou Sonam de en tibétain, est sans conteste issu d’une famille royale purangi et que cette identification à une lignée locale est, à l’instar de la sanskritisation générale des noms tibétains, probablement destinée à attribuer une plus grande légitimité à un souverain étranger (Ch. 2). Pṛthvī Malla, le fils de Puṇya Malla, peut à bien des égards être considéré comme un roi bâtisseur. Son règne est en effet marqué par la construction de nombreuses infrastructures publiques (réservoirs, fontaines, etc.)625. Deux décennies après lui, son petit-fils Abhaya Malla perd le pouvoir au profit de la famille Varmā (ou Vrahma)626. Les membres de cette famille se font connaître dans les sources historiques à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle. Ils tiennent alors des positions importantes dans l’administration impériale Khaśa Malla, tels que « ministre en chef » (Skt. mahāmahattaka) ou « grand gouverneur » (Skt. mahāmaṇḍaleśvar) 627. Une inscription datée de 1378 fait mention de Malaya Varmā comme d’un roi (rājā). Celui-ci prend ensuite le titre d’empereur, ou plus exactement de « grand roi des rois » (Skt. mahārājadhirāja) en 1389628.

Architecture du Pañcadeval

Le Pañcadeval de Manma se compose de cinq temples deval. Le temple central, orienté au sud, est le plus large. Les quatre temples périphériques sont bâtis en contact quasi direct avec le temple central. Les proportions des monuments rapprochent le site des groupes de temples du district de Dailekh. Des innovations architecturales sont cependant à noter dans le cas de Manma. En effet, la proximité des temples secondaires avec la plateforme du temple central (entre 25 et 40 cm) et les portes orientées vers le temple central ont permis aux architectes d’introduire une corniche saillante partant du temple central (Fig. 11.12). Une paire de piliers placée sur chaque côté de celui-ci permet de supporter cet élément qui court tout autour du monument. Les piliers sont installés sur des bases carrées. Quasi tronconiques en élévation, les supports sont carrés jusqu’à la partie supérieure, qui est circulaire. Les chapiteaux sont composés d’une échine quadrangulaire, en corbeille cruciforme ou concave à profil droit. Au-dessus de l’échine est posé un abaque en apparence carré mais qui consiste en fait en une poutre rectangulaire insérée dans le massif de la maçonnerie. En guise d’entablement, des poutres monolithiques de section rectangulaire sont installéessur les chapiteaux. Ellessoutiennent la corniche du temple central. Cet agencement génère un étroit portique (Skt. ardhamaṇḍapa) devant chaque temple secondaire, ainsi qu’un déambulatoire abrité mais où la circumambulation (Skt. 632 Sharma 2012, p. 199. 205 pradaksina) reste malaisée. Ce dispositif est unique dans la région étudiée et semble indiquer le désir de l’architecte de réinventer le canon architectural régional. La corniche du temple central supporte sur chaque côté une niche à fronton pyramidal (Skt. śukanāsikā). Les quatre niches contiennent des représentations sculptées (Fig. 11.13 à 11.16). Les cinq temples sont coiffés par un étagement de un à trois disques āmalaka surmontés par une pointe ogivale (Skt. stūpī), similaires à ce que M. A. Dhaky qualifie ailleurs de « boutons de lotus » (Skt. mukula) 633. Les mêmes « boutons de lotus » ornent le sommet des niches du temple central, sauf au sud, où le bec sculpté d’une fontaine à été installé.

L’iconographie des temples

Le temple fut partiellement décrit par P. R. Sharma dans son étude de l’art et de l’architecture de la Karnali635. L’auteur ne mentionne qu’une image de Durgā, insérée dans la niche à pilier occidentale du temple central alors que R. N. Pandey636 omet tout simplement de mentionner le site. Plus proche de nous est la description faite par D. R. Sharma, qui n’a probablement jamais visité le site mais qui se repose sur des informateurs locaux. Sharma note que le temple central est embelli « avec divers figures et motifs »637. Il décrit ensuite quatre grandes représentations (mentionnées plus haut), mais en reste là. Ces examens du site se révèlent en fait très superficiels à la lumière de ce que j’ai pu y observer. En effet, un total de trente-deux hauts et bas-reliefs ont pu être relevés sur les linteaux, murs et piliers des cinq temples. Le décalage entre ce qui a pu être publié auparavant et la réalité matérielle est probablement le reflet d’une attitude commune de nombreux chercheurs, qui se sont fréquemment bornés à considérer les formes artistiques dites « classiques » et « belles », oblitérant par la même occasion, consciemment ou non, les autres idiomes638. Comme nous allons le voir, les trente-deux représentations sont d’un intérêt majeur pour la compréhension de la culture médiévale de l’ouest du Népal.

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