Impact de la rente pétrolière et de la qualité institutionnelle
Evolution de l’économie algérienne depuis l’indépendance
Pendant longtemps en Algérie, on associe la rente tirée des hydrocarbures (essentiellement la rente pétrolière), à la prospérité de l’économie. Si à l’aube de l’indépendance l’orientation des décideurs politiques était tournée vers un « capitalisme de l’Etat 1 » par de gigantesques programmes de production essentiellement dans le secteur industriel, pendant la colonisation, il était impossible que l’économie algérienne connaisse une réelle mutation du capitalisme agraire vers un capitalisme industriel, puisque le capital agraire était incapable de transformer les sources de son accumulation pour une industrialisation, comme celle de la substitution d’importation. En effet le système économique avait une spécialisation qui correspondait aux intérêts de l’autre coté de la méditerrané, puisque la tendance agraire de la politique économique coloniale s’explique par le souci des industriels métropolitains pour l’écoulement de leur production. Néanmoins, il existait environ 20 entreprises publiques du modèle français, une minorité d’entre elles existaient avant 1945, mais la plus part ont vu le jour après le plan colonial d’industrialisation de 1946 (ce plan est lancé par le gouvernement général de l’Algérie française, le montant du programme de dépenses d’industrialisation est de 21 milliards2 d’ancien franc dont la charge devait être partagée par l’Algérie et le métropole, or l’Algérie ne s’est pas industrialisée dans les années qui ont suivi ce programme). La production de ces entreprises en matière de gaz, d’électricité, de banques, d’assurances…était destinée pour satisfaire uniquement les intérêts de la métropole et des européens. Cette dimension nous permet de comprendre pourquoi les dirigeants algériens, qui ont hérité d’une économie sous-développée et dépendante, ont opéré des choix radicalement différents à l’indépendance. Depuis la création du premier gouvernement en 1963, jusqu’à aujourd’hui, l’Algérie est passé par plusieurs tentatives afin d’arriver à une économie qui prospère indépendamment de la rente tirée de ces richesses naturelles. L’Etat algérien a-t-il atteint son objectif ? Quelles sont ces tentatives, et quelles étaient les stratégies décidées pour les objectifs tracés ? Quelle est la place de la rente pétrolière dans les différentes stratégies et dans les différentes étapes de l’histoire de l’économie algérienne ? Cette première partie du chapitre permettra de nous éclaircir sur ces questionnements. 1. Les orientations générales à l’aube de l’indépendance : Dès l’indépendance, il était d’abord question de construction étatique, qui a débouché vers le programme de Tripoli 1962, rédigé par une petite équipe de sept personnes, parmi eux des intellectuelles de sensibilité marxiste1 . Ce programme avait pour objectif la révolution démocratique populaire en adoptant une politique économique avec une perspective socialiste, centrée sur la question agraire avec le slogan « La terre à ceux qui la travaillent 2 ». L’action de l’Etat après l’indépendance a débuté par une vague de nationalisation des terres, ces dernières récupérées par l’Etat seront soit redistribuées aux paysans qui n’en avaient pas, soit exploitées dans le cadre de fermes d’Etat dont les ouvriers seront associés à la gestion et aux bénéfices. Parallèlement à la question agraire, le programme de Tripoli préconisait une industrialisation a travers une initiative de l’Etat, par une planification centralisée. La nationalisation du crédit et du commerce extérieur deviennent une question urgente. Dès que le premier gouvernement est formé en 1963 en succédant le Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne (G.P.R.A), le pays commence à investir les modestes capitaux issus des recettes de la fiscalité pétrolière. La première société nationale est la SONATRACH, créée en 1963, cette dernière est une société nationale pour la recherche, la production, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures. De 1963 à 1966, le gouvernement en place était surtout concentré sur les problèmes de reprise en main de l’appareil productif après un long colonialisme français, c’est pourquoi les orientations en terme de politique économique, ne sont claires qu’à partir du premier plan triennal. 1 M.Lacheraf, R.Malek et M.Habri, cette équipe était présidée par Ahmed Ben Bella 2 A.Lamchichi « L’Algérie en crise »,p 102 Chapitre III : Impact de la rente pétrolière et de la qualité institutionnelle sur l’économie algérienne 142 Néanmoins l’Algérie a dès le début pris le contrôle des structures monétaires et financières, comme1 : la création de la Banque centrale d’Algérie le premier Janvier 1963, l’instauration d’un contrôle des changes avec les pays de la zone Franc le 19 Octobre 1963, la création du Dinar algérien le 10 Avril 1964 et la nationalisation des diverses banques en 1966 et 1967.
Le plan triennal (1967-1969)
Ce plan marque un passage d’un régime capitaliste libéralo-colonial à un régime de type socialiste s’exerçant par une planification centralisée et gouvernée par un pouvoir autoritaire. On peut reconnaitre le type du régime à travers ces trois principes qui définissent le socialisme comme technique de développement économiques2 : – La nationalisation ; – L’industrialisation par le développement des industries de base et la transformation des produits qui en résulte en biens nécessaires à la production tournée vers la consommation finale ; – La réforme agraire qui s’est faite autour de trois axes : le partage des terres des gros colons et des gros propriétaires algériens au profit des paysans qui en sont dépourvus, la modernisation de l’agriculture et la conservation du patrimoine foncier contre l’érosion et la déforestation. D’une manière générale, le développement à long terme est lié à l’implantation des industries de base nécessaires aux besoins d’une agriculture moderne. En effet le planificateur, avait pris pour forte conviction une réforme agraire, puisque selon lui la paysannerie pauvre est la source de la révolution. Or comme on le verra cet objectif n’a pas été atteint. 3. Les deux plans quadriennals (1970-1973) et (1974-1977) : A. Le modèle de développement : Tous les observateurs estiment que la décennie soixante-dix est le lancement de projets très ambitieux en Algérie. A la fin des années soixante, la mise en doute de la substitution d’importation au Brésil, au Chili…etc, a disqualifié cette orientation aux yeux des planificateurs algériens. Ces derniers se sont beaucoup plus inspirés de la théorie marxienne de G.Feldman qui donne la priorité à l’industrie des biens d’équipement, la stratégie de 1 De Bernis « Deux stratégies pour l’industrialisation du tiers monde, Les industries industrialisantes et les options algériennes », Feldman conçoit un développement économique qui sera atteint à travers deux étapes ; à la première l’accent est mis sur l’industrie des équipements et donc sur l’industrie lourde, une fois cette étape franchie, l’agriculture et l’industrie légère sont supposés connaitre une expansion rapide, et nous voilà dans la seconde étape, où son aboutissement est conditionné par la réussite de la première étape. Aucun Etat n’a pu mener à terme les deux étapes, même pas l’Union soviétique où le communisme a vu le jour. Le président N.Khroutchev en 1956 a renoncé à cette stratégie avant la généralisation de la prospérité espérée. Ce premier plan quadriennal est le point de départ d’une planification socialiste à la quelle ont contribué des économistes polonais. Au secrétariat d’Etat sont fixés des plans d’investissement choisis à partir des critères sociaux économiques (l’emploi, la contribution à l’équilibre général…). Le secrétariat d’Etat en liaison avec le Ministère des finances arrêtent un taux d’investissement qu’il soumet au gouvernement et au Conseil de la Révolution. Les investissements retenus sont généralement ceux qui peuvent procurer un maximum d’effets socio-économiques et une rentabilité financière.