Gestion des hypoxies estivales de l’estuaire de la Gironde
Introduction
Au vu des prévisions des conditions d’oxygénation des eaux de la Garonne pour les années à venir, des solutions de gestion doivent être envisagées afin de préserver la qualité de l’écosystème. La gestion des hypoxies dans un système fluvio-estuarien hyper-turbide, où plusieurs processus interagissent (température, débits fluviaux, rejets urbains, turbidité) est complexe. Il n’est pas techniquement possible de prévenir l’augmentation de la température et du niveau moyen marin, et les seuls facteurs sur lesquels il sera possible d’intervenir dans le futur sont le soutien des débits d’étiage de la Garonne et la gestion des rejets urbains de Bordeaux Métropole (Schmidt et al., 2016a). Améliorer le traitement des eaux urbaines afin de déverser un minimum de matière organique et d’ammonium est une priorité.
Par exemple sur la Seine, la construction d’une STEP en aval de Paris a permis d’améliorer significativement l’oxygénation des eaux qui étaient auparavant hypoxiques (Billen et al., 2001). De même, sur l’estuaire de l’Escaut et de la Tamise, une nette amélioration de la qualité de l’eau a été observée ces dernières décennies depuis l’installation ou la modernisation des systèmes d’épuration (Andrews et Rickard, 1980 ; Soetaert et al., 2006). Cependant, lors d’événements pluvieux soudains, les problèmes de qualité de l’eau peuvent persister, aussi bien sur la Seine que sur la Tamise (Even et al., 2007a ; Mouchel et al., 1994 ; Tinsley, 1998). Les grandes villes européennes sont principalement dotées de réseaux de collecte de type unitaire (mélangeant eaux pluviales, eaux usées domestiques et eaux industrielles), associés à des stations d’épuration dont la capacité est généralement insuffisante pour traiter l’ensemble des effluents en cas de fortes pluies. Par conséquent, lors d’épisodes pluvieux intenses les réseaux sont saturés, entraînant des rejets directs dans le milieu naturel.
Les nouvelles réglementations sur les rejets urbains par temps de pluie ont incité de nombreuses agglomérations à optimiser la gestion de leurs effluents. Au début des années 2000, aux États-Unis, l’Environmental Protection Agency a établi une stratégie visant à maîtriser les capacités de transport et de stockage des eaux pluviales excédentaires, avec la mise en place d’une gestion en temps réel (GTR) via un réseau de capteurs, contrôleurs et systèmes de transmission de données (EPA, 2006 ; Gonwa, 1993). Ce système de contrôle en temps réel a été développé sur plusieurs villes comme Québec (Pleau et al., 2005) , Tokyo (Maeda et al., 2002) et une partie du réseau de Paris Gestion des hypoxies estivales de l’estuaire de la Gironde Chapitre IV : Impact des changements globaux et gestion de l’hypoxie estivale 157 (Even et al., 2007a). Sur la Tamise, les études menées afin d’identifier les moyens d’améliorer la qualité de l’eau ont abouti à une autre solution : la construction d’un émissaire de 24 km sous le fleuve qui transfère les effluents vers une STEP située plus en aval.
Ces travaux sont en cours et devraient prendre fin en 2023 (Thames Tideway Tunnel, www.tideway.london). Ce type de solution est aussi en cours sur Stockholm (www.stockholmvatten.se) et Helsinki (www.hsy.fi). En 2011, la métropole de Bordeaux a réhabilité la station d’épuration de Louis Fargue, qui aujourd’hui a la même capacité de traitement que Clos de Hilde. Depuis 2013, la Lyonnaise des Eaux met en œuvre un outil de Gestion Dynamique (GD) des effluents afin de réduire les rejets urbains par temps de pluie du bassin de collecte de la STEP Louis Fargue, dont 60% est unitaire (Andréa et al., 2013).
La GD consiste à utiliser, lors des épisodes pluvieux, les capacités de stockage des bassins de rétention pour maintenir ces volumes d’eaux supplémentaires, qui sont ensuite traités dans la STEP. Cette gestion se fait à l’aide d’un dispositif de contrôle en temps réel de l’état du réseau afin de réguler le débit transféré vers les STEPs et en limitant les débordements. Les performances annuelles observées montrent que les volumes déversés ont été réduits de 30% en 2013 et de 40% en 2014 et 2015 (Robitaille et al., 2016). La disponibilité en eau sur le bassin versant est un second problème de l’estuaire de la Gironde (Etcheber et al., 2013). En période d’étiage, une solution envisageable serait d’augmenter les débits fluviaux pour limiter la remontée amont du bouchon vaseux et pour apporter un volume supplémentaire d’eau fluviale oxygénée. Le long du bassin versant de la Garonne, les barrages hydro-électriques retiennent de l’eau, tandis que l’agriculture en utilise en été pour l’irrigation.
Afin de maintenir le débit de la Garonne, il est envisageable de libérer une quantité d’eau stockée dans les barrages, ou bien de limiter l’irrigation en cas de risque d’hypoxie dans la Garonne estuarienne. C’est déjà le cas sur la Garonne, le soutien d’étiage est assuré par le SMEAG (Syndicat Mixte d’Études et d’Aménagement de la Garonne) ; il consiste à ajouter à l’écoulement, trop faible, un débit supplémentaire obtenu en déstockant l’eau retenue dans les barrages. L’objectif est de maintenir un débit de 110 m3 .s -1 (à Tonneins, Figure IV.22) pour assurer le bon fonctionnement de l’environnement aquatique. Le volume d’eau mobilisable en été par l’ensemble les barrages de la Garonne est de 58 millions de m3 ou 58 hm3 (www.smeag.fr), ce qui correspond à un débit théorique supplémentaire de 95 m3 .s-1 pendant une semaine.
Les scénarii
Afin d’évaluer les différents types de solutions de gestion pour améliorer l’état de l’oxygène des eaux de la Garonne, nous partons, comme dans la 1ère partie, d’une simulation de référence correspondant à une situation extrême, choisie afin d’évaluer l’intérêt de chaque type de solution. La simulation de référence utilise comme forçages la température, les débits fluviaux et les rejets urbains de 2006, année sèche et chaude. Le débit de la Garonne, en étiage sévère est maintenu constant à 40 m3 .s-1 du 15/07 au 30/09, et le niveau marin moyen est de 3,24 m (Figure IV.19). Chapitre IV : Impact des changements globaux et gestion de l’hypoxie estivale 159 Figure IV.19 : Simulation de référence : évolution journalière des débits fluviaux (a), de la température (b) et des débits rejetés par les STEPs et DOs (c).
La température médiane est calculée sur la période 2005 à 2015 (courbe bleue) et l’enveloppe verte représente les minima et les maxima. L’efficacité de deux types d’interventions est testée : une meilleure gestion des rejets urbains et un soutien d’étiage grâce aux barrages situés en amont. Tous les scénarii ont comme base la simulation de référence (Figure IV.19), où sont modifiés soit le débit de la Garonne, soit les quantités de rejets urbains (Tableau IV.5). Les scénarii sont réalisés sur 10 mois, du 1er janvier au 31 octobre.
Action 1 : Gestion des rejets urbains
Trois types d’action ont été testés : la réhabilitation de la STEP Louis Fargue, la diminution des rejets d’eaux usées provenant des déversoirs d’orage et le déplacement de la position des rejets urbains en aval de Bordeaux. Action 1.0 : Amélioration de traitement de la STEP Louis Fargue Pour évaluer l’efficacité de la réhabilitation de la STEP Louis Fargue qui a eu lieu en 2011 et la mise en place de la gestion dynamique en 2013, les rejets urbains de 2014 sont comparés aux rejets urbains de 2006 (Tableau IV.3). Aujourd’hui, la STEP Louis Fargue a la même capacité de traitement que la STEP Clos de Hilde (voir tableau des concentrations dans Tableau I.2, Lanoux 2013).