Fédéralisme environnemental
Comme son nom l’indique, la notion de fédéralisme environnemental renvoie au partage des pouvoirs entourant la politique environnementale. C’est une extension naturelle de la théorie du fédéralisme fiscal, qui s’intéresse à la répartition des fonctions d’allocation et de redistribution entre un gouvernement central (souvent fédéral) et ses unités constituantes (provinces, États, Länder ou autres). Lorsqu’un groupe d’États adopte une structure fédérale, ces derniers sacrifient une partie de leur souveraineté afin d’accroitre leurs gains communs. La justification la plus intuitive du fédéralisme est une meilleure internalisation des externalités. La nature transfrontalière de certains biens publics conduit les juridictions à les fournir en quantité sous-optimale. Sans compensation, il n’est pas dans l’intérêt d’une juridiction de tenir compte du bien-être de ses voisines dans l’établissement de sa politique. 5 Confier cette compétence au palier supérieur peut atténuer les problèmes liés au comportement de passager clandestin. Il est également possible que des économies d’échelle rendent avantageuse la mise en œuvre d’une politique à l’échelle nationale. C’est le cas notamment des investissements en recherche scientifique (Esty, 1996 et Adler, 2005). Il est possible que certaines problématiques puissent être réglées par la coopération partielle entre les juridictions touchées. Lorsqu’une problématique environnementale ne concerne qu’un nombre limité d’États, le théorème de Coase conclut que sous certaines conditions, dont un petit nombre de participants, la négociation privée peut mener à une allocation optimale. Lorsque le nombre d’États concernés est plus élevé, une coopération efficace est moins probable. Le bénéfice de se comporter en passager clandestin augmente à mesure que le nombre de coopérants potentiels est élevé. La littérature à ce sujet est vaste. 6 Les premiers modèles de fédéralisme environnemental mettent surtout l’accent sur les côtés positifs de la décentralisation. Plusieurs de ces modèles établissent la supériorité de la décentralisation sans avoir recours au théorème d’Oates. On y relâche notamment certaines hypothèses fortes, comme l’absence d’externalités transfrontalières. Dans la plupart de ces études, la mobilité des ménages ou des firmes est élevée. Les gouvernements régionaux se concurrencent dans leurs politiques afin d’attirer les investissements et les contribuables ou de plaire à certains groupes organisés. 7 Wellisch (1995) permet aux ménages et aux firmes d’être parfaitement mobiles et en conclut que la décentralisation est optimale à condition qu’aucune externalité ne traverse la frontière des juridictions et que la taxe ou les permis échangeables soient utilisés comme instruments, et pas des normes règlementaires. 8 Les études empiriques montrent toutefois que, à quelques exceptions près, la mobilité des ménages et des firmes est peu élevée et que la règlementation environnementale n’explique qu’une portion marginale des migrations interrégionales.
Économie politique du fédéralisme
Il y a plusieurs raisons d’aborder le fédéralisme environnemental sous l’angle de l’économie politique. D’abord, sur le plan empirique, de nombreux exemples suggèrent que l’élaboration d’une politique est souvent confiée à un palier gouvernemental qui n’est pas cohérent avec l’importance des effets externes en jeu. Les exemples ne manquent pas de situations où la mise en œuvre d’une politique nationale avait des effets plutôt locaux et où, à l’inverse, une politique locale avait des effets plus nationaux. 11 L’efficacité économique n’est donc pas le seul déterminant du palier gouvernemental responsable de légiférer sur une problématique environnementale. Une autre raison d’utiliser les modèles d’économie politique est qu’une partie des compétences législatives n’est pas prévue dans les constitutions sur lesquelles se base le partage des pouvoirs. C’est le cas de l’environnement dans plusieurs fédérations importantes, y compris le Canada, les États-Unis et l’Australie. Dans ces cas, les jeux de négociation entre le gouvernement fédéral et ses unités constituantes peuvent expliquer la répartition des compétences au fil du temps. C’est pour cette raison que Ryan (2011) affirme que c’est au sujet de la règlementation environnementale que les réclamations des états fédérés et du gouvernement fédéral sont simultanément à leur plus fort. La constitution d’une fédération comprend généralement une énumération codifiée des compétences règlementaires spécifiant lesquelles sont assignées aux paliers fédéral et infranational. Certaines compétences sont exclusives, c’est-à-dire qu’elles sont entièrement réservées au palier auquel elles sont octroyées, alors que d’autres sont concurrentes. Dans ces dernières, le pouvoir est partagé entre les deux paliers. Par exemple, l’environnement est considéré comme une compétence partagée au Canada, et les tribunaux peuvent servir en cas de conflit à bien départager les responsabilités entre les acteurs politiques. Selon le problème environnemental en question, l’un ou l’autre des paliers gouvernementaux peut avoir prépondérance dans le choix de ses politiques. Il est toujours possible de déroger de la répartition prévue par la constitution, mais cela peut demander un amendement, dont les règles d’adoption varient fortement d’une fédération à l’autre. 13 Le partage initial des pouvoirs ne peut pas être exhaustif au point d’inclure tous les problèmes présents et futurs auxquels les gouvernements auront à faire face. C’est pour cette raison que les constitutions incluent normalement une clause spécifiant à qui est octroyé le pouvoir résiduaire, c’està-dire la compétence de légiférer (ou de déléguer) toute matière qui ne serait pas incluse dans la constitution. En Belgique et au Canada, c’est le gouvernement fédéral qui hérite de ce pouvoir. 14 À l’autre extrême, le dixième amendement de la constitution des États-Unis précise que tous les pouvoirs qui ne sont pas explicitement accordés au gouvernement fédéral reviennent aux États. C’est le cas également de la plupart des fédérations (Alen, 1994). Le pouvoir résiduaire n’implique pas que la responsabilité sur une matière non prévue par la constitution revienne nécessairement au palier identifié. Ce dernier a toutefois le choix d’assumer cette responsabilité ou de la déléguer à l’autre palier. Certains auteurs ont noté que cette possibilité pouvait conduire à un accroissement de l’importance du gouvernement fédéral. À cet égard, la loi de Popitz énonce que les finances publiques dans une fédération tendent à se centraliser car le gouvernement fédéral s’empare des sources de recettes fiscales avec le temps (Mueller, 2003). Grossman et West (1994) trouvent que ce processus de centralisation est survenu au Canada.15 Notamment le mécanisme de péréquation propre au Canada serait le résultat d’un « cartel » de provinces dont l’objectif était de réduire une concurrence fiscale qui les désavantageait.