VRD VOIRIE ET RATÉS DIVERS

VRD VOIRIE ET RATÉS DIVERS

Le problème, c’est les travaux publics de développement

Le principal problème avec les travaux, c’est qu’il y a tellement d’organismes impliqués que c’est terriblement confus. En plus, nous sommes toujours les premiers à être affectés parce que notre réseau est déjà là. Même si on a un plan, le certificat de non-objection etc., ils ne préviennent pas. (directeur, TPDDL, 22/01/2013) Le déroulement d’un chantier d’installation d’infrastructures est l’étape de consolidation physique et spatiale des quartiers irréguliers, et par conséquent, de la ville en croissance. Ces interventions, de par leur matérialité et leur lourdeur, ont un impact durable si ce n’est définitif sur la forme urbaine. Leur bonne ou mauvaise réalisation a des conséquences sur la qualité des infrastructures installées, mais de manière plus générale sur l’état et le fonctionnement actuel et futur de la ville. Les perturbations provoquées par les ‘travaux en cours’ éclairent sous un nouveau jour les déficiences de la planification urbaine et leurs effets en chaîne. Chantiers et travaux dans les quartiers irréguliers sont à vue d’œil chaotiques, avec une multitude d’organismes qui interviennent en continu pour modifier l’espace physique en y installant de nouveaux équipements. Dans ce foisonnement, les acteurs s’ignorent les uns les autres, suivent leurs propres logiques sans articulation avec les autres dynamiques sectorielles, et voient leurs interventions affectées par la fabrique urbaine environnante. Ce désordre mène au mieux à des inefficiences, quand ce ne sont pas des absurdités dans la conduite des travaux publics. Face à cela, les entreprises de services déplorent cette négligence ou concurrence néfaste sur l’espace restreint de la voirie et expriment le souhait de plus de planification. Le manque de littérature en sciences sociales et en urbanisme sur la conduite des travaux urbains montre bien que la recherche, tout autant que les professionnels (Mattingly 2001), ont laissé orpheline cette question de la coordination des interventions matérielles et physiques sur la ville. Une piste d’analyse se trouve dans la notion de génie urbain, définie comme l’art de concevoir, de réaliser et de gérer des réseaux techniques urbains (Martinand 1986). Néanmoins, l’usage de cette notion est daté et reste très circonscrit aux villes occidentales, voire au cas français, ce qui la rend peu aisément utilisable dans le cas de villes qui sont quant à elles ‘en développement’, c’est-à-dire en très grande partie et continûment en travaux   d’équipement, de construction et de consolidation urbaine. Les rares textes sur le génie urbain reconnaissent d’ailleurs le manque de traitement et d’unité des pratiques et des savoirs (Barles & Guillerme 1995; Scherrer 2000; Thibault 2000). L’absence de problématisation des chantiers comme objets d’études sociaux et politiques (Martinand 1986) laisse tout un pan de la dynamique des villes en développement en friche. À défaut d’un cadre d’analyse construit sur la coordination intersectorielle des travaux publics, nous en resterons aux questions relatives à la localisation, la temporalité et la cohérence des travaux d’infrastructures urbaines (Mattingly 2001). Nous nous inspirons également des pistes de réflexion ouvertes par les travaux en faveur d’une expansion urbaine articulée autour d’une trame viaire (Angel et al. 2005; Angel 2008; Angel et al. 2011a). Bien que cette littérature ne porte pas directement sur la viabilisation, elle permet de dépasser le simple constat du désordre pour en tirer des leçons opérationnelles et politiques prospectives articulant extension physique des réseaux et expansion spatiale des villes. Est-il possible de viabiliser de manière moins perturbatrice, moins chaotique, plus efficace, voire plus durable ? Comment à l’avenir prévenir et limiter ces dysfonctionnements ? Quelle institution pourrait générer un certain ordre dans des situations de croissance urbaine irrégulière ? Quelle serait alors la relation entre cette coordination intersectorielle et la planification urbaine ?

CÂBLES ET BOYAUX

Les difficultés opérationnelles des entreprises de services sont omises dans les débats sur la ville compacte, aussi critiques soient-ils (cf. Gordon & Richardson 1997; Neuman 2005), or les dynamiques urbaines des quartiers irréguliers sèment le doute quant au bien-fondé de la promotion de formes urbaines compactes et de la lutte contre l’étalement spatial (Angel et al. 2011a; Todes 2011). En effet, dans les villes en développement, l’expansion urbaine peut aller de pair avec une concentration et une densification rapide des zones urbaines. Si plus que la distance, ce sont la dispersion et la faible densité qui pèsent sur l’extension des réseaux (Ecoffey & Pflieger 2010), alors la pression foncière et la congestion existant dans les quartiers irréguliers de Delhi et Lima ne sont pas un problème. Au contraire même, les difficultés dont rendent compte les ingénieurs pour positionner les infrastructures sont celles du manque d’espace, d’étroitesse des voies, d’empiètement du cadre bâti etc., autrement dit, des ‘déséconomies’ d’agglomération liées à la complexité de la réalisation et de la maintenance des infrastructures et non pas à la longueur des réseaux (Jaglin 2010).

LA CONFRONTATION DES ESPACES PRIVÉS ET DES RÉSEAUX

Les quartiers irréguliers sont, au moment de leur viabilisation, déjà construits et habités. Les travaux d’installation viennent à la fois perturber le cadre bâti et être contraint par ce dernier. Constructions de logements et infrastructures se déroulent non seulement dans une absence de considération réciproque voire même en compétition pour repousser les frontières entre espaces publics et privés, aux dépens les uns des autres.  Chantiers et perturbations Malgré le fait que les travaux sont la promesse de l’arrivée des services et d’une amélioration de l’environnement urbain, la réalisation des chantiers occasionne gêne et perturbations, surtout lorsqu’elle est désorganisée comme c’est souvent le cas dans les quartiers irréguliers. En entrant dans les quartiers irréguliers, le premier travail des ingénieurs est de vérifier l’adéquation du cadre bâti au plan qui leur a été fourni et sa conformité aux prérequis techniques. Les délais entre le moment de l’approbation du plan de lotissement, l’élaboration du projet d’infrastructure, le lancement des travaux ne permettent pas de suivre le rythme de la fabrique urbaine. Pendant ce temps, de nouvelles habitations apparaissent, potentiellement 304 sur les voies de passage identifiées pour les réseaux. Néanmoins, même si les ingénieurs mentionnent le fait que les plans de lotissement n’ont souvent que peu de cohérence avec la réalité de terrain, ils ne s’attaquent pas pour autant à faire démolir ou déplacer les constructions pour les mettre en conformité. Dans les quartiers irréguliers étudiés, les habitants respectent les voies de passage, les rues restent généralement libres ou les empiètements ne sont que des constructions temporaires telles que des stands commerciaux. Dès lors, il n’y a pas réellement d’obstruction à l’installation des réseaux sur la voirie, même si celle-ci ne correspond pas au plan ou à l’étude du projet. En revanche, à Delhi, les conflits apparaissent quant au devenir des installations de services réalisées par les résidents telles que les fosses septiques ou réseaux d’eau superficiels (Photo 12). En effet, non seulement les habitants n’excluent pas de garder ces équipements de manière complémentaire pour pallier les déficiences du réseau public, mais ces installations constituent aussi un capital que les habitants peuvent vouloir valoriser – tout comme il y a un marché de poteaux en bois et de câbles électriques à Lima. Quant aux réseaux informels existants, le DJB va les enlever: ils disent aux gens de les enlever… ou plutôt, le personnel du DJB va venir et les démanteler lui-même parce que les tuyaux rapportent de l’argent au marché noir. (professeure, NIUA, 26/12/2012) La direction du DJB tolère ouvertement les installations communautaires avant la viabilisation, mais elle défend la démolition de celles-ci lors de l’arrivée du réseau officiel au nom de considérations d’hygiène et de sécurité pour l’eau, et de rendement économique pour l’assainissement. Ayant du mal à convaincre de se raccorder aux égouts, le DJB tente d’imposer l’abandon des solutions décentralisées autonomes. Ces mesures sont mal perçues par les habitants qui ont investi dans ces installations et nient la nécessité d’une dépendance exclusive à un réseau officiel par ailleurs de mauvaise qualité et aléatoire. Si l’installation des réseaux est gênante pour les habitants, d’autres travaux de voirie telles que les opérations de construction et de revêtement des routes dans les colonies nonautorisées delhiites occasionne parfois des perturbations plus durables, qui se répercutent en chaîne sur les réseaux. Comme constaté à plusieurs reprises lors des visites de terrain, et confirmé par plusieurs habitants, ingénieurs et fonctionnaires municipaux, le recouvrement des routes est réalisé en ajoutant une couche de revêtement à la voie existante (Photo 64). Cette couche peut mesurer jusqu’à 30 cm ; or les routes étant constamment refaites en matériaux de plus en plus solides (terre, puis briques, puis parfois bitume, et enfin ciment), les couches s’accumulent pour, comme le reconnaît un ingénieur de la municipalité, finir par 305 transformer des rez-de-chaussée en caves (Photo 65) ! Les responsables des travaux publics avancent des explications techniques relatives à la pente nécessaire à l’évacuation des eaux usées. En effet, à Delhi, la réalisation des routes va systématiquement de pair avec celle des caniveaux, afin de faire face à la mousson. En revêtant la route, l’agence responsable doit donc prévoir la pente suffisante pour que les eaux pluviales s’écoulent par gravité. Pour cela, les petits caniveaux des allées doivent d’abord rejoindre les caniveaux d’évacuation le long des routes principales périphériques, or celles-ci sont généralement consolidées avant, et donc plus hautes que les allées résidentielles (Photo 92). Comme il n’y a soit pas la place, soit pas les fonds pour installer des pompes aux points de connexion entre les caniveaux tertiaires et secondaires, les ingénieurs ne peuvent compter que sur la pente. Ils partent donc du point de connexion périphérique et remontent ensuite jusqu’au cœur des quartiers. 

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