Une capacité de mobilisation pour gagner du temps et « capitaliser » sur une connaissance distribuée

Une capacité de mobilisation pour gagner du temps et « capitaliser » sur
une connaissance distribuée

Pour devenir compétents rapidement dans des environnements inconnus, les consultants peuvent également compter sur leurs collègues, sur le collectif interne que constituent les autres membres du cabinet. Comme le fait remarquer un manager de ConsultCorp : « un consultant seul, c’est virtuellement un consultant mort. On a tous besoin d’aide ou de renfort à un moment […] et dans ce cas il faut trouver quelqu’un dans le réseau qui puisse vous répondre » (Notes de terrain, janvier 2013). Il est fréquent que les consultants interviennent en équipe chez leurs clients, les juniors étant alors guidés et encouragés à imiter leurs collègues plus expérimentés. Quand il s’agit de résoudre un dysfonctionnement par exemple (car avoir une compréhension précise d’un problème ne suffit pas nécessairement à en trouver la solution) le recours au réseau sociotechnique qu’incarne le collectif interne peut être déterminant, même pour les consultants plus expérimentés104. Le dictionnaire TLF définit la mobilisation comme le « fait de faire appel à toutes les forces physiques et intellectuelles d’une personne ou d’un groupe de personnes pour faire face à une situation difficile ». Nous préférons ce terme à celui de collaboration, répandu dans les cabinets, car il souligne l’effort nécessaire, de la part du consultant, pour rassembler une connaissance distribuée dans des dispositifs et parmi les membres du cabinet. La mobilisation n’est pas automatique ; elle suppose un engagement personnel et une compétence sociale de la part du consultant. 104 Les consultants qui travaillent seuls, car ils sont nombreux, ont généralement un domaine d’intervention restreint, et ont accès à de multiples réseaux extérieurs. Une capacité de mobilisation pour gagner du temps et « capitaliser » sur une connaissance distribuée

Savoir où chercher

La vignette ethnographique suivante décrit une séance de travail entre Thomas et un associé de ConsultCorp. Le premier à des difficultés à comprendre les enjeux et certains détails techniques de la mission sur laquelle il travaille. Comme mentionné dans le document de cadrage de la mission, cette dernière consiste à « mettre en place un réseau de centres de santé pour le compte d’une compagnie d’assurance, c’est-à-dire à la fois déterminer les critères d’entrée des partenaires dans le réseau et piloter la mise en œuvre, de manière très opérationnelle, d’une organisation adaptée » (Document de terrain, octobre 2009). Nous allons voir dans l’extrait suivant le rôle d’appui ponctuel joué par l’associé, qui fournit à Thomas des informations générales sur le marché, mais surtout lui indique où trouver l’information dont il a besoin. Je suis allé trouver [associé] pour lui demander de l’aide sur ma mission centres de santé. Non seulement j’ai beaucoup de mal à comprendre la structure du marché, mais j’anticipe surtout des difficultés dans la mise en place d’un module de géolocalisation pour trouver les centres de santé. […] Bienveillant, [associé] se lève et se dirige vers le paperboard. « Reprenons, dit-il, bon tu connais la différence entre le régime obligatoire et le régime complémentaire de la sécurité sociale, non ?, c’est très simple […] sur le marché il y a les assureurs, les instituts de prévoyance et les mutuelles qui ont chacun leur spécificité […]» Et il se lance dans un cours sur le marché de l’assurance que je saisis à la volée. Il prend ensuite un temps considérable pour m’expliquer où trouver les informations pertinentes : « va chercher sur [outil de gestion des connaissances] les éléments de la formation gestion de projet SI, sinon tu peux aussi récupérer l’étude AG2R sur l’automédication, ça te donnera des choses. Pour la géolocalisation, va voir Stéphanie de ma part, elle t’expliquera, c’est elle la spécialiste du sujet ». (Notes de terrain, octobre 2009) L’appui cognitif fourni par l’associé est ici limité à quelques repères sur le marché ; son rôle consiste plus à indiquer à Thomas où trouver les ressources appropriées pour répondre à ses questions, qu’il s’agisse de documents ou de spécialistes en interne. Il lui permet de gagner du temps en lui expliquant dans quelle direction chercher et comment utiliser les ressources disponibles à l’intérieur du cabinet. Ces ressources sont distribuées au sein du collectif et dans un système de gestion des connaissances. Leur production et mise à disposition repose sur un 282 processus singulier que les acteurs appellent « capitalisation » et qui sert d’appui à la montée en compétence du consultant.

 Capitaliser sur ses missions

Chez ConsultCorp chaque consultant est tenu de « capitaliser sur ses missions », c’est-à-dire de transformer son expérience individuelle en une ressource collective formalisée. Comme le fait remarquer un manager senior : « capitaliser, c’est laisser une trace de ce que l’on a fait, pour permettre le partage des connaissances et faire gagner du temps aux autres par la suite, pour qu’on ne s’amuse pas tous à réinventer la roue dans notre coin105 » (Notes de terrain, février 2012). Il s’agit donc de convertir une connaissance tacite en connaissance articulée et formelle, accessible à tous sur l’Intranet ou les serveurs partagés du cabinet. La notion de capitalisation renvoie ici à une forme d’effet de levier, d’effet d’amplification et d’accélération, associé à la mise à disposition par le collectif d’une masse de connaissance, plus ou moins distribuée dans des outils. Dans la vignette ethnographique suivante, Thomas suit les conseils dispensés précédemment par l’associé et décrit les ressources documentaires à sa disposition chez ConsultCorp : Je cherche donc à trouver de l’information sur [outil de gestion des connaissances]. ConsultCorp a mis en place un chantier interne dédié à la « capitalisation » et investi régulièrement pour améliorer ses outils de gestion des connaissances. Deux outils principaux sont à ma disposition : l’Intranet grâce auquel je peux trouver les « références » du cabinet et avoir leur descriptif, et un réseau partagé sur lequel différentes ressources sont accessibles. [Une bibliothèque d’images, de formes et de templates est également disponible dans l’Intranet depuis 2012]. (Notes de terrain, octobre 2009) La figure 5.1 présente une copie d’écran des pages d’accueil des deux systèmes. A gauche, les dossiers partagés sur le réseau, à droite, l’outil Intranet de recherche de références :Sur le réseau (à gauche figure 5.1), le consultant peut avoir accès à diverses méthodologies (fichier 03), études sectorielles (fichiers 03 et 09), aux livrables produits par ses collègues sur d’autres missions (fichier 01) ainsi qu’aux différentes « propales » gagnées et perdues par le cabinet (fichier 00). Les autres fichiers sont consacrés à la vie du cabinet et au management. Néanmoins, dans notre cas, Thomas considère que ces fichiers lui sont d’une utilité limitée pour monter en compétences sur sa mission. Il précise : Les informations à disposition sur le réseau sont sommaires, généralement dépassées, et surtout de qualité très inégale. Beaucoup de méthodologies sont empruntées à des cabinets concurrents ou disparus ; elles sont complexes, associées à une mission, difficiles à réutiliser en l’état. […] Je jette toutefois un œil à la formation et à l’étude AG2R, sans grande conviction. (Ibid.

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