Une cartographie pour situer et articuler les enjeux d’innovation comptable pour les écosystèmes
Présentation de la Cartographie des Comptabilités pour les Ecosystèmes
Un cadre commun pour les comptabilités centrées sur les organisations et les comptabilités centrées sur les problèmes écologiques La conservation de la biodiversité suscite le développement de nouvelles comptabilités socio-environnementales au sein des organisations vouées à accroître la responsabilité, à réduire les impacts et à accompagner des formes innovantes de participations individuelles à la gestion des écosystèmes. Ce défi comptable centré sur les organisations, au cœur du champ de recherche des CSE, est une condition nécessaire mais non suffisante à la gestion durable de la biosphère. Nous avons montré que le développement de systèmes d’information comptables centrés sur les écosystèmes et les problèmes écologiques jouent un rôle crucial et complémentaire dans l’organisation et l’institutionnalisation de la gestion collective et transorganisationnelle des systèmes écologiques. La discipline comptable, à la fois comme champ d’innovation et Une cartographie pour situer et articuler les enjeux d’innovation comptable pour les écosystèmes Chapitre 5 180 d’expérimentation de nouvelles techniques et comme espace disciplinaire portant sur la connexion entre ces techniques, l’organisation, l’institution et l’action, nous donne la possibilité de mettre en discussion ces enjeux divers de quantification des écosystèmes dans un cadre commun. Comme nous l’avons vu dans le deuxième chapitre, le champ des CSE s’est tourné récemment vers les questions relatives à l’élargissement du périmètre de responsabilité des organisations à la protection de la biodiversité. Dans la prolongation des réflexions comptables portant sur d’autres enjeux écologiques (pollutions, climat, etc.), il en résulte des travaux dédiés à l’élaboration de comptabilités visant à évaluer et à gérer les impacts des activités des organisations sur les écosystèmes, à renforcer leur responsabilité publique vis-à-vis de ces impacts et à prendre en compte le capital naturel dans la comptabilité générale. D’autres propositions cherchent à évaluer et à gérer les dépendances des organisations aux systèmes écologiques et les impacts qu’une bonne ou une mauvaise gestion de leur relation aux écosystèmes peuvent avoir sur leur performance et leur durabilité économique. Au-delà des enjeux techniques et méthodologiques, ces propositions peuvent être discutées à la lumière d’un ensemble de travaux produits par le champ des recherches critiques en comptabilités appliqués aux CSE (voir section II du chapitre 2). Ces travaux viennent enrichir les nombreuses réflexions sur les enjeux organisationnels, institutionnels, sociaux et politiques associés au développement des comptabilités environnementales et de biodiversité au sein des organisations : les CSE pour les écosystèmes contribuent-elles effectivement à atténuer l’impact des entreprises sur les écosystèmes ou servent-elles au contraire de justification pour masquer l’inaction (Cho et Patten, 2007 ; Cho et al., 2015 ; Larrinaga-Gonzalez et Bebbington, 2001) ? Participent-elles à la mise en place d’un programme de soutenabilité forte ou faible (Richard, 2012) ? Pourquoi certaines expérimentations réussissent-elles lorsque d’autres échouent et quels sont les vecteurs de succès de ces nouvelles comptabilités (Herbohn, 2005) ? Permettent-elles d’accompagner des transformations des modes de gouvernance des entreprises (Richard, 2012 ; Altukhova, 2013, p. 85-87) ? Sont-elles utiles à ces managers qui au sein des organisations cherchent à être des acteurs de leur transformation écologique face à des collègues souvent sceptiques (Ball, 2007) ? Comment fonder ces comptabilités pour les écosystèmes sur des philosophies, des éthiques et des ontologies différentes de celles qui sont au fondement des comptabilités conventionnelles et qui prévalent aujourd’hui au sein des organisations (Birkin, 1996 ; 2000 ; Cooper, 1992 ; Everett, 2004) ? Comment inscrire les problématiques de conception et d’utilisation des CSE organisationnelles dans le débat public démocratique ? (Arunachalam et al., 2007 ; Brown, 2009 ; Lehman, 1999 ; 2001) ?
Six domaines d’activités comptables, six contributions spécifiques au développement de comptabilités pour les écosystèmes
La Cartographie des Comptabilités pour les Ecosystèmes est illustrée sous la forme du schéma ci-dessous, qui nous servira de repère tout au long de ce chapitre. Il représente l’ensemble des domaines de comptabilités portant sur les questions relatives à la conservation des écosystèmes. Pour progressivement découvrir cette cartographie, nous commencerons par décrire un par un les différents domaines d’activités comptables qui la composent, représentés Chapitre 5 182 sous forme de cases. Pour chacun de ces domaines, nous rappellerons les innovations récentes qui sont proposées, élaborées et/ou utilisées par les communautés de chercheurs, des praticiens de la conservation ou encore des managers au sein des organisations. Nous indiquerons également les problématiques propres à chaque domaine et contribuant d’une manière spécifique à la « mise en comptabilité » progressive des écosystèmes. Les cases (1), (2) et (3) correspondent à des problématiques comptables d’extension du périmètre de responsabilité et de gestion des organisations à la conservation des systèmes écologiques. Ces trois domaines sont ainsi chacun à l’intersection de problématiques comptables de gestion de l’organisation, de ses performances économiques et gestionnaires (liées aux particularités de chaque organisation), et des nouvelles problématiques de prise en compte de ses interdépendances avec les écosystèmes : (1) Le domaine des comptabilités de gestion des interdépendances avec les écosystèmes concerne les outils et les activités comptables destinés à assister les managers au sein d’une organisation dans leurs décisions de gestion concernant les relations entre l’organisation et les écosystèmes. Il s’agit ici essentiellement de structurer de nouvelles informations (biophysiques, coûts monétaires, etc.) et de développer des méthodes d’analyse pour aider les managers à mieux prendre en compte, évaluer les résultats et piloter les problématiques de performance des activités de l’organisation sur les écosystèmes, compte tenu des ressources disponibles, des stratégies choisies et des autres enjeux de création de valeur propre à chaque organisation (économique, sociale, etc.). Ces comptabilités appartiennent au domaine plus large des comptabilités analytiques (ou de gestion) des organisations qui répondent au souci général de « modéliser les liens entre ressources et résultats pour aider les managers et influencer les comportements » (Bouquin, 2011, p. 39). On peut situer ici les propositions portant sur l’intégration des coûts et des bénéfices liés aux interdépendances avec les services écosystémiques dans les systèmes de comptabilités de gestion environnementales (CGE) des entreprises (Houdet et Germaneau, 2014). On retrouve également dans ce domaine d’innovation comptable les propositions de nouvelles méthodes d’analyse de cycles de vie visant à réduire l’impact des activités de production des firmes sur les systèmes écologiques (voir par exemple Zhang, 2010a et 2010b), ou encore le développement d’une gamme de nouveaux outils d’évaluation de la biodiversité et des services écosystémiques pour aider à l’analyse des coûts et des bénéfices, des risques et des opportunités liés aux impacts et à la dépendance de l’organisation sur les écosystèmes, assister à la planification et au pilotage stratégique de certaines activités ou à l’évaluation des performances (Waage, 2015).