UN BESOIN DE REGULATION IDENTIFIE DANS LES VILLES PETITES ET MOYENNES
SAINT-ETIENNE : UNE REACTION DE LA VILLE FACE AUX EFFETS DE LA COURSE AU VOLUME
La commune de Saint-Etienne est notre premier terrain de recherche dans cette catégorie. a) Le contexte : pas de régulation publique locale de la production privée de logements avant le milieu des années 2000 i. Le contexte démographique et institutionnel La ville compte ͳͺͲ.ͲͲͲ habitants. Elle fait partie d’une aire urbaine de 317.004 habitants (au 1er janvier 2007), dont la principale caractéristique est la diminution de sa population depuis deux décennies : avec Douai-Lens et Le Havre, elle fait en effet partie des trois grandes aires urbaines françaises qui connaissent une dynamique démographique négative. Sur le plan institutionnel, la commune de Saint-Etienne est la ville-centre de la communauté d’agglomération Saint-Etienne Métropole, une intercommunalité composée de 43 communes et regroupant environ 400.000 habitants ȋson périmètre s’étend au-delà de l’aire urbaine) (Figure n°102). UN BESOIN DE REGULATION IDENTIFIE DANS LES VILLES PETITES ET MOYENNES 251 Figure n°102 : Aire urbaine, communauté d’agglomération et commune de Saint-Etienne Source : EPURES, INSEE RP 2008 ii. La régulation publique locale Comparativement aux autres villes françaises, la commune de Saint-Etienne présente des caractéristiques atypiques. En nombre d’habitants, c’est la quatorzième ville de France ; elle est donc à classer parmi les grandes communes du territoire national. Elle dispose de moyens d’ingénierie en conséquence ȋune agence d’urbanisme de plus de trente personnes, des compétences sur les questions relatives à l’habitat dans les services municipaux…Ȍ, surtout si on tient compte du fait qu’il existe un établissement public d’aménagement qui est venu renforcer les ressources locales dans la deuxième moitié des années ʹͲͲͲ. Cependant, à l’opposé de ce constat, le volume et les prix moyens sur le marché de la construction résidentielle y demeurent relativement bas. En raison du recul démographique et de la faible attractivité de la commune pour les catégories sociales moyennes et supérieures, ce marché est resté relativement étroit, beaucoup plus en tout cas que ce que laisse augurer la taille de l’agglomération. Du coup, l’attractivité pour les promoteurs, notamment pour les grands promoteurs nationaux, est plutôt équivalente à celle d’une ville moyenne (entretien Saint-Etienne n°2 avec un élu local, février 2010 ; entretien Saint-Etienne n°8 avec un promoteur, février 2010). Cette faible attractivité de la ville explique en grande partie pourquoi, avant le milieu des années 2000, aucune politique de régulation publique locale de la production privée de 252 logements n’avait été mise en place. L’enjeu était plutôt d’attirer les acteurs privés, et non de les contraindre. En amont du permis de construire, il n’y avait donc aucune négociation avec les promoteurs, si ce n’est pour vérifier la conformité réglementaire des opérations. La politique foncière était en outre peu développée.
L’émergence d’une politique de régulation suite aux effets de la course au volume
La production de logements défiscalisés à Saint -Etienne
La situation du marché de la promotion immobilière à Saint-Etienne a changé substantiellement au milieu des années 2000 avec l’arrivée de grands promoteurs régionaux et nationaux (par exemple Nexity qui a réalisé une opération phare sur la friche urbaine laissée par GIAT Industrie). Le contexte dans lequel cette arrivée s’est opérée est celui que nous avons déjà décrit au titre de la course au volume des grands promoteurs traditionnels. Enserrés dans un univers fortement concurrentiel et adossés aux dispositifs d’aide fiscale à l’investissement locatif, ces promoteurs se sont en effet mis à rechercher de nouveaux marchés dans des secteurs moins classiques. En l’occurrence, le marché stéphanois, bien que fondamentalement étroit, pouvait laisser penser qu’il y avait là une opportunité de développement. Le prix du foncier restait relativement mesuré et un changement d’image de la ville était espéré, compte tenu notamment des politiques publiques engagées. Cette arrivée a immédiatement provoqué une plus grande concurrence entre opérateurs, et donc une montée des prix fonciers et immobiliers, surtout dans un contexte de faible maîtrise foncière publique. « Initialement, le prix du foncier était à 100-150 euros du mètre carré de SHON. Puis des promoteurs nationaux comme Nexity sont arrivés et ont tout de suite mis 50 à 100 euros de plus. Leur logique était de construire avec des prestations techniques moyennes et de vendre à des investisseurs » (entretien Saint-Etienne n°5 avec un promoteur, février 2010). « On est alors entré dans une logique de hausse du foncier, qui a pris des allures d’euphorie » (entretien Saint-Etienne n°8 avec un promoteur, février 2010). « Et le prix du foncier a atteint jusqu’à ͵ͷͲ euros le mètre carré ! » (entretien Saint-Etienne n°10 avec un promoteur, février 2010). L’indépassable étroitesse du marché stéphanois et la crise économique et financière de 2008 ont fini par briser cette spirale. Les investisseurs ont eu de plus en plus de mal à trouver des locataires aux niveaux de loyer espérés, générant une mauvaise image de l’investissement locatif à Saint-Etienne : « Alors que certains promoteurs promettaient un loyer au plafond de la loi, à 10,50 euros du mètre carré, le marché était à 9 euros, et en plus pour une gamme de logement plus qualitatif. Bilan : les investisseurs ont eu beaucoup de mal à louer. Au bout de six mois, devant le risque de perdre le bénéfice de leur avantage fiscal, ils se sont mis à s’affoler. Des baisses de loyer jusqu’à ,ͷͲ euros 253 ont été consenties. A peu près au niveau HLM ! » (entretien Saint-Etienne n°5 avec un promoteur, février 2010). Le rythme des ventes des promoteurs s’est alors ralenti : « sur le site GIAT notamment, la commercialisation a été longue pour les derniers programmes car les difficultés à louer se sont faites jour assez rapidement (notamment au moment de la deuxième mise en location des premiers programmes) » (entretien Saint-Etienne n°Ͷ avec un agent de l’Etat, février ʹͲͳͲȌ. Les grands promoteurs ont de ce fait changé de regard sur la ville. Saint-Etienne n’a plus constitué pour eux une opportunité de diversification géographique (Nexity n’y est plus implanté par exemple), mais un territoire dans lequel peuvent éventuellement être envisagées des opérations ponctuelles (entretien Lyon n°7 avec un promoteur, juillet 2010). Au moment où la crise économique et financière est arrivée, les grands promoteurs nationaux et régionaux ont donc été davantage dans une position de retrait du marché stéphanois. Et le plan de relance gouvernemental, soutenant le rachat de logements privés par des bailleurs sociaux, a été une véritable opportunité de sortie (entretien Saint-Etienne n°1 avec un banquier, février 2010 ; entretien Saint-Etienne n°3 avec un agent de collectivité, février 2010 ; entretien Saint-Etienne n°2 avec un élu, février 2010 ; entretien Saint-Etienne n°4 avec un agent de l’Etat, février ʹͲͳͲȌ. L’analyse quantitative de la production de logements défiscalisés à Saint-Etienne confirme cette dynamique. Alors qu’elle reste globalement modeste au regard du poids de population de la commune, deux périodes se distinguent, marquant une hausse du niveau de production (Figure n°103).