Théorie des jeux modélisation du comportement de l’administration fiscale
Deux acteurs principaux sont impliqués dans la problématique du risque fiscal. Il s’agit de l’entreprise et de l’administration fiscale. L’administration fiscale constitue un actionnaire diffus n’ayant pas de lien contractuel avec l’entreprise mais qui dispose d’un pouvoir de contrôle et de sanction qui peut dépasser même celui des actionnaires majoritaires. L’entreprise procède à l a fin de chaque exercice au calcul de son résultat fiscal et au dépôt de la déclaration annuelle de l’impôt sur les sociétés. Sur la base de cette déclaration et en faisant recours à d’autres sources informationnelles, l’administration fiscale peut procéder au contrôle du contribuable pour vérifier le bien-fondé du résultat fiscal déclaré. Ce contrôle peut conduire, le cas échéant, à la détection du risque fiscal du contribuable et à des sanctions. Ces dernières peuvent dépasser la sanction fiscale pour impacter la performance financière de l’entreprise ainsi que sa réputation. Afin de mieux comprendre l’interaction ainsi que les comportements des deux acteurs, il est utile de recourir à la théorie des jeux. Cette théorie représente ces comportements sous la forme d’un jeu, dans lequel une décision prise par l’un des deux joueurs dépend de la décision prise par l’autre joueur. Dans le cadre de cette étude, l’utilité de cette théorie est justifiée dans la mesure où la décision de contrôle de l’administration fiscale et l’issue de ce contrôle dépendent dans une grande mesure de la décision de déclaration des entreprises. Cette décision de déclaration dépend à s on tour de la stratégie fiscale de l’entreprise sachant que cette stratégie peut être entachée de risques. Ce sont les risques fiscaux qui influencent ainsi la décision et l’issue du contrôle de l’administration fiscale. Un éclairage sur la théorie des jeux ainsi que sur ses domaines d’application s’avère tout d’abord indispensable pour présenter ensuite les études fiscales ayant traité le jeu entre l’entreprise et l’administration fiscale. La présentation et l’analyse du jeu du risque fiscal est faite dans une deuxième partie. 1. Théorie des jeux et domaine fiscal : une revue de la littérature Avant d’exposer le rôle de la théorie des jeux dans l’analyse de nombreuses situations en matière fiscale, il convient tout d’abord de donner un éclairage sur cette théorie ainsi que sur ses domaines d’application. Théorie des jeux modélisation du comportement de l’administration fiscale et de l’entreprise à l’égard du risque fiscal.
Eclairage sur la théorie des jeux
La théorie des jeux constitue un out il d’analyse des comportements humains. Elle permet de décrire et d’analyser de nombreuses relations économiques et sociales sous la forme de jeux stratégiques. Un jeu stratégique se caractérise par un ensemble de règles de jeu spécifiant les joueurs (deux joueurs ou plus), les choix ou les stratégies pouvant être adoptés par chacun d’eux, la séquence des décisions prises et enfin l’utilité que chaque joueur retirera à la fin du jeu pour chaque combinaison de choix possibles (Pénard, 2007). Le jeu est défini par Thepot (1998, p. 7) comme « toute situation dans laquelle plusieurs décideurs autonomes sont amenés à prendre des décisions débouchant sur des résultats. A chaque décideur est affecté un résultat mais ce résultat dépend de l’ensemble des décisions prises par tous ». La stratégie d’un joueur est définie, par Umbhauer (2002, p. 16) comme «un plan d’actions qui spécifie l’action de ce joueur à chacun de ses éventuels tours de jeu ». Thepot (1998, p. 8) donne aussi la définition suivante : « une stratégie d’un joueur est une liste de décisions qu’il envisage de prendre en fonction de toutes les situations observables qui pourront se présenter dans l’arbre du jeu ». Les règles du jeu peuvent être représentées sous la forme d’un arbre (forme extensive du jeu) ou d’une matrice (forme normale du jeu). Selon Umbhauer (2002, p. 16), « un jeu sous forme normale (ou stratégique) est la donnée de 3 éléments : – N est l’ensemble des joueurs, n étant le cardinal de N ; – S= Xn i=1 Si où Si , i= 1, 2 est l’ensemble des stratégies du joueur i (2) ; – n relations de préférences, une par joueur, définies sur S= Xn i=1 Si supposées de type Von Neuman Morgenstern (ces n relations peuvent être remplacées par n fonctions Ui : S R, i de 1 à n, où Ui désigne la fonction d’utilité Von Neuman Morgenstern définie sur S et R l’ensemble des réels) ». Lorsque N=2, c’est-à-dire que le jeu est à deux joueurs, la forme normale est une matrice. Dans cette matrice sont représentées les stratégies jouées par chaque joueur (les lignes et les colonnes) ainsi que les utilités réalisées suite à ces stratégies jouées. La deuxième représentation du jeu prend la forme extensive. Celle-ci « a été popularisée par Selten (1975). Elle consiste à représenter, à l’aide d’un arbre, les différents enchaînements décisionnels possibles » (Umbhauer, 2002, p. 17). La théorie des jeux trouve son fondement dans le travail de Von Neumann et Morgenstern (1944) dans leur livre intitulé « Theory of Games and Economic Behavior ». 2Schmidt (2001, p. 32) signale, dans ce cadre, que « ce n’est pas tout à fait un hasard si Von Neumann s’associa à l’économiste Morgenstern pour rédiger le volumineux ouvrage theory of Games and Economic Behavior qui, publié immédiatement à la fin de la seconde guerre mondiale, a marqué la naissance officielle de la théorie des jeux ». Ce livre englobe pour sa majorité des développements mathématiques présentant les solutions de jeux à somme nulle. Après un certain nombre d’années, d’autres développements de cette théorie viennent s’ajouter par Nash (entre 1950 et 1953). Selon Schmidt (2001, p. 32), « il a donc fallu attendre Nash, ses jeux non coopératifs à somme variable, son célèbre équilibre, et son modèle de négociation, pour que les économistes professionnels commencent à prendre au sérieux la théorie des jeux. En quelques pages denses, Nash résolvait plusieurs des casse-tête qui avaient occupé des générations d’économistes ». Cette théorie peut être définie comme « un cadre conceptuel d’analyse de la décision où cette interaction stratégique entre les décideurs est centrale pour la compréhension de l’issue finale » (Gliz, 2010, p.7). Cette définition permet de constater que la théorie des jeux se base sur l’interaction entre les joueurs, c’est-à-dire que l’utilité d’un joueur ne dépend pas seulement de ses propres décisions mais dépend aussi des décisions prises par les autres joueurs. Cette théorie suppose aussi que les joueurs sont rationnels c’est-à-dire que chaque joueur cherche à m aximiser sa propre utilité. Selon Guerrien (2002, p. 7 ), « l’hypothèse fondamentale de la théorie des jeux est celle qui stipule que chacun cherche à maximiser ses gains quelle que soit la façon dont ils sont mesurés. Souvent, on parle de rationalité à propos de cette hypothèse ».
Théorie des jeux et discipline des sciences de gestion
L’application de la théorie des jeux dans le domaine des sciences de gestion a ét é soulevée par plusieurs chercheurs. Dans ce cadre, Umbhauer (2002), dans son ouvrage intitulé « Théorie des jeux appliquée à la gestion », a cherché à convaincre les gestionnaires de l’utilité de cette théorie dans l’éclairage de nombreux contextes de gestion. Selon ce même auteur, « la théorie des jeux n’est d’aucune utilité au gestionnaire s’il ne peut saisir le pourquoi des différents résultats qu’elle met en avant. Aussi l’accent est mis sur le raisonnement stratégique qui fonde chaque résultat… ; la théorie des jeux n’a pas pour ambition de remplacer le décideur en lui fournissant la solution à son problème d’interactions. Par des jeux de structure simple, elle s’attache à souligner pourquoi certaines propriétés d’un contexte, contrairement à d’autres, sont susceptibles d’avoir un impact sur les résultats, et précise la nature de cet impact… En bref, son but est d’enrichir la réflexion qui guide la décision » (Umbhauer, 2002, p. 8). Selon Thepot (1998, p. 7 ), deux questions fondamentales sont posées pour évaluer l’apport de la théorie des jeux dans le domaine des sciences de gestion, la première est « comment modéliser la situation ou le jeu ? » alors que la deuxième question est « comment en tirer des règles de décision applicables dans les entreprises et les organisations ? ». Selon ce même auteur, pour pouvoir bénéficier des développements réalisés en théorie des jeux dans le domaine des sciences de gestion, trois conditions doivent être respectées : accepter une démarche en termes de faits stylisés (où le décideur prend en compte les interactions stratégiques avec d’autres acteurs), chercher à pratiquer la théorie des jeux plutôt qu’à l’appliquer (la théorie des jeux est une démarche dans laquelle le modélisateur engage un dialogue avec le décideur, à partir de modélisations simples nécessitant des connaissances techniques minimales, et discute par la suite les résultats obtenus), recentrer les sciences de gestion autour des thèmes susceptibles d’être traités par la théorie des jeux.