Structure de propriété et performance des banques islamiques
Introduction Dans l’optique de mieux comprendre les interactions au sein d’une organisation, la gouvernance d’entreprise nous offre aujourd’hui des mécanismes tels que, les caractéristiques du conseil d’administration (sa concentration, sa taille, la fréquence de rencontre de ses membres), la transparence d’information ou encore la rémunération des dirigeants, ceci afin d’anticiper les éventuelles crises pouvant être des entraves au bon fonctionnement de l’organisation. La gouvernance d’entreprise est donc définie comme un ensemble de mécanismes qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit qui gouvernent leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire (Charreaux, 1997). Comme mécanisme de gouvernance de l’organisation, la structure de propriété (ou structure de l’actionnariat d’une organisation) permet aussi de mieux comprendre les influences qui pourraient exister entre les propriétaires et les dirigeants de l’organisation. Ces influences ont fait l’objet de plusieurs études et continuent de susciter beaucoup d’intérêt dans les recherches en sciences de gestion, le but étant par exemple de mieux comprendre leur nature, leur degré et parfois même leur étendue. L’idée ici étant parfois d’infirmer ou de confirmer une théorie des organisations qui existe, ou mieux d’énoncer une théorie qui traduise pertinemment le lien entre la structure de propriété et la performance. Les travaux de nombreux chercheurs tels que : Charreaux (1991), Classens et al. (2000), Lawriwsky (1984) ou encore Madani & Khlif (2010), font montre des influences qui pourraient exister entre la nature de la structure de propriété et la performance des institutions pratiquant la finance dite « conventionnelle ». Sur un plan théorique, les travaux de Shleifer & Vishny (1986) suggèrent que la concentration de la propriété peut améliorer la performance, car les 117 actionnaires auront alors assez de pouvoir pour mieux contrôler les dirigeants et ainsi réduire leur pouvoir discrétionnaire. Cette relation n’est pas observée dans les travaux de Charreaux (1991), Madani & Khlif (2010) ou encore de Demsetz (1983), qui trouvent une absence de lien statistique entre la concentration de la propriété et la performance. Ils suggèrent alors que la configuration de la structure de la propriété (concentrée ou diluée) constitue une réponse endogène au processus de maximisation de profit, et celui-ci est beaucoup plus influencé par les spécificités de l’exploitation et l’environnement de l’organisation. A la lecture de ces conclusions, on se pose donc la question de savoir si ces différents liens entre la structure de propriété et la performance demeurent en cas de changement dans la structuration du business model de l’organisation. L’innovation architecturale de la hiérarchie de décision dont font preuve les institutions de finance islamique, plus précisément les banques islamiques (BIs) met en avant un organe appelé Sharia Supervisory Board (SSB) 67, dont les membres sont nommés par les actionnaires en Assemblée générale extraordinaire (A.G.E), dotés d’un pouvoir de surveillance et de décision sur toute l’activité des BIs au regard de la Sharia qui est la loi islamique. En effet, le SSB (qu’on traduira par CSC pour conseil de surveillance de la charia) qui est propre aux institutions de finance islamique est un outil en plus en matière de gouvernance, comme le suggèrent Mollah & Zaman (2015) à partir d’un échantillon de 86 banques islamiques et 86 banques pratiquant la finance dite « conventionnelle », sur une période d’étude allant de 2005 à 2011 : le rôle de surveillance du CSC impacte positivement la performance des BIs, alors que celui de conseil a un impact plutôt 67 On pourrait l’assimiler à un conseil de surveillance en charge du contrôle, de l’évaluation et de la charia au sein des institutions de finance islamique. 118 négligeable sur la performance. Le but de cet article est donc de mieux comprendre, à partir des observations et surtout, d’une analyse empirique, les influences que pourraient avoir les caractéristiques du CSC (sa taille, SSB top 20 ou la réputation de ses membres, la fréquence des réunions) sur la relation entre la structure de propriété et la performance bancaire. La présence de cet organe au sein des BIs modifie-t-elle profondément les conclusions tirées en matière de structure de propriété et performance au sein des banques conventionnelles (BC) ? Cette étude est menée sur les BIs, nous allons donc essayer de comprendre si certaines caractéristiques du CSC (sa taille, la fréquence de réunions, la présence d’un Scholar68 ou jurisconsulte appartenant au top_20) peuvent influencer la relation entre la structure de propriété et la performance. L’objectif est d’apprécier ces éventuelles influences afin de mieux comprendre le fonctionnement des BIs.
Développement des hypothèses
Par «nature de la propriété», il faut entendre l’identité de l’actionnaire majoritaire (en fonction du pourcentage de contrôle). La classification des différents types de profil que peut représenter la nature de propriété est parfois liée à l’objectif de l’article, à l’environnement ou au domaine de la recherche. Charreaux (1991) distingue trois types d’entreprises selon la nature de la propriété (entreprises contrôlées, entreprises managériales et entreprises familiales). Selon Charreaux (1991), une firme managériale est une société dans laquelle il existe une distinction de la fonction de propriété et de décision presque complète et indépendante, et aucun dirigeant ne détient également une part significative de l’entreprise. Dans une entreprise familiale, une famille détient une large participation dans l’entreprise et en nomme un de ses membres pour la gestion. Dans ce cas, le degré de séparation de la propriété / décision et de la propriété / contrôle est faible et très lisse, les membres 124 de la famille jouissent à la fois de la propriété et du contrôle / décision, malgré la présence d’autres investisseurs (actionnaires minoritaires). Dans une entreprise contrôlée, la concentration de propriété est plus accentuée, le degré de séparation de la propriété / contrôle ou décision est strict et la principale propriété (fonds institutionnels, caisses de retraite, etc.) peut contrôler la stratégie de l’entreprise et certains outils de gouvernance. Le dernier type de propriété que nous choisissons d’ajouter à cette classification est une entreprise publique, en raison de son rôle dans la supervision des banques islamiques dans de nombreux pays du Moyen-Orient et de l’Afrique. L’Etat, dans certains pays majoritairement musulmans et dans l’optique de promouvoir ou même de soutenir la finance islamique, détient la position d’actionnaire majoritaire (Koweït, Iran, Qatar, Soudan et Pakistan) au sein des banques islamiques, ce qui pourrait avoir des influences sur la gestion de ces entités. Il faut également préciser que la présence ou la domination de l’actionnariat « public » peut influencer la performance de la firme, pour des raisons dues à la motivation directe de ses actionnaires. Notre échantillon contient, selon la nature de la propriété, des banques familiales, des banques publiques, les banques managériales et les banques contrôlées (institutionnels). L’un des objectifs de cette étude sera de vérifier tout d’abord le lien et l’importance de la relation entre propriété et performance dans les BIs. De nombreuses conclusions ont été tirées dans ce domaine, certaines ont trouvé un lien non significatif entre la structure de propriété familiale et la rentabilité financière (ROE) mais un lien significatif avec la rentabilité économique (ROA) comme mesure de la performance (Charreaux, 1991)69. Charreaux (1991) rapporte qu’en cas de maximisation de la valeur actionnariale, parmi les trois thèses 69 Les entreprises financières sont exclues de son échantillon. 125 développées (la thèse de la convergence des intérêts, la thèse de la neutralité et la thèse de l’enracinement des dirigeants), la thèse de neutralité (Demsetz H., 1983) est celle suggérée par son étude. Fazlzadeh et al. (2011), Khamis, et al. (2015), Abbas et al. (2009) ont trouvé un lien positif et statistiquement significatif entre les entreprises contrôlées et la performance, ils suggèrent que ce lien statistique peut être expliqué par la façon dont les investisseurs institutionnels contrôlent les dirigeants, ainsi que le rôle de surveillance qu’ils ont l’habitude de jouer. Les banques à actionnariat public (dont l’actionnaire majoritaire est l’Etat) peuvent être inefficaces et peu rentables, comme le suggèrent les conclusions de Cornett, M.M. et al. (2010). A partir d’un échantillon constitué de 16 pays d’Extrême-Orient, couvrant la période 1989 à 2004, l’étude porte sur la manière avec laquelle l’implication dans un système bancaire national, de la propriété « publique » et le gouvernement peut influencer la performance bancaire. La caractéristique spécifique des actionnaires dans cette propriété est qu’ils n’ont pas de droit direct sur leur revenu résiduel, et la gestion est souvent bureaucratique, ce qui peut négativement impacter la performance. Dans ce papier, ayant l’intention de vérifier ces conclusions, nous avons développé les hypothèses suivantes : H1 : Il n’existe pas de relation entre la concentration du capital et la performance financière et économique des banques islamiques. H2 : Il existe une relation entre la nature de la propriété et la performance financière et économique des banques islamiques.