Le projet CHANGER comme expérimentation d’espaces tiers entre formation et travail
Le projet Changer s’est ainsi construit autour de l’idée qu’il est possible d’apprendre des situations de travail et qu’il faut créer les conditions nécessaires pour que celles-ci soient apprenantes en s’inspirant des conclusions issues du travail de Guillot (2015). Ainsi, alors que classiquement, les situations de conseil sont distinguées à partir : (i) de l’objet du conseil (agronomique, élevage, d’entreprise), (ii) des méthodes mises en œuvre pour traiter de cet objet (tour de plaine, réunion morte saison, atelier de conception, diagnostic de territoire…) ou encore (iii) de l’offre de service proposée par la structure (conseil technique en saison, conseil stratégique, conseil à l’installation, etc.) à une diversité de publics (agriculteur individuel, groupe, collectivité, etc.), dans le projet CHANGER, ces distinctions ne sont pas premières. Il s’agit d’abord d’arriver à qualifier les dimensions agissantes dans chaque situation vécue par un conseiller pour que celui-ci, seul et surtout avec un collectif de pairs, s’interroge sur la façon de parvenir à y « tenir conseil » efficacement. Comme l’a montré Guillot (2015) cela peut nécessiter d’imaginer de nouveaux cadrages pour réussir les délibérations et l’enquête conjointe au cœur de la coordination dans l’action21 entre conseiller, agriculteurs, et d’autres partenaires éventuels sur le territoire. Le projet CHANGER a été l’occasion de constituer des espaces d’échanges et de débats sur le métier de conseiller fondés sur cette approche des situations de travail. Dans ces espaces, il s’agit, pour un conseiller, de documenter son activité, les situations rencontrées, de les mettre en mots et en forme sur diverses supports pour les donner à voir aux autres et les rendre discutables. Axer les échanges sur les situations, c’est privilégier une unité d’analyse qui donne accès au travail de deux façons : i) en permettant de pointer les ajustements réalisés par les conseillers face à la variabilité des situations réelles pour garantir la réussite de l’action avec leurs interlocuteurs. Le pari est que les échanges soient alors l’occasion de s’interroger sur de nouvelles façons de réaliser le travail que chacun peut décider ensuite d’éprouver ou non dans des situations qu’il rencontre ; ii) en travaillant les liens entre les situations rencontrées par un conseiller pour en faire émerger tant le sens que la temporalité de l’activité et s’interroger sur le métier, ses normes, ses variantes.
Un dispositif étudié au prisme du développement professionnel : le dispositif bourguignon
Lors de la construction de ce dispositif et compte tenu des moyens alloués par le projet Changer pour chaque dispositif, onze jours ont été négociés avec les organisations employeuses sur une durée de trois ans pour travailler entre conseillers sur le métier. Via cette négociation le dispositif se trouve légitimé. Les conceptrices-animatrices22 ont réparti ces onze jours sur six séminaires tous les six mois, soit environ 2 jours par séminaire, selon leur propre volonté mais aussi, après discussion, avec l’accord des participants (figure 1). Figure 1 : le calendrier de réalisation des séminaires du dispositif bourguignon Le dispositif ne se limite néanmoins pas à la mise en place de ces espaces de formation au fil des trois années. En effet, les conceptrices-animatrices, en accord avec les participants, souhaitent faire du lien entre ces espaces de formation et le travail en situation. Ainsi, au fil des trois années, les conseillers vont, selon leur contexte et leur engagement dans une évolution de leurs propres pratiques pour faire face à de nouvelles situations, tester de nouvelles façons de faire. Le dispositif mêle ainsi des temps d’échange dans le collectif, et des temps de mise en œuvre de nouvelles pratiques sur le terrain. Ces nouvelles pratiques peuvent être éventuellement préparées ou débriefer dans le collectif, à la demande des conseillers en s’appuyant sur leur mise en récit. Ainsi, le dispositif assure une alternance entre des temps de « formation » collectifs, et des temps de mises en pratique sur le terrain, individuellement et parfois à plusieurs (figure 2).