L’entretien, OK ! Mais les petites annonces…pas convaincu”
L’entretien, un classique
L’adaptation en temps réel L’intérêt de l’entretien est de pouvoir s’adapter en temps réel au discours produit par l’interviewe, comme l’explique Kinsey (1948), cité par Blanchet et al. (1985, p.48) : « Les questions standardisées ne procurent pas des réponses standardisées, car la même question présente des sens différents pour différentes sortes de personnes. Pour que les questions aient la même signification aux yeux de tous, il faut les modifier de façon à les adapter au vocabulaire, au degré d’instruction et de compréhension de chaque sujet ». Sa méthode d’interview guidée permet ainsi, grâce à une solide base méthodologique, d’obtenir des données pouvant subir un traitement statistique par la suite.
Equilibre entre fiabilité et validité
Se pose cependant le problème de la directivité ou non de l’entretien. En effet, le matériel discursif obtenu doit être à la fois fiable (c’est-à-dire correspondre à ce que pense vraiment la personne interviewée) et valide (c’est-à-dire répondre aux questions que l’on se pose dans le cadre de la recherche). L’entretien non directif, en visant « la production d’un discours continu et structuré sur un problème donné » (Blanchet et Gotman, 2005), a pour principe de ne pas interrompre le discours de l’interviewé, augmentant ainsi fortement les chances pour ce dernier de dériver du sujet de la recherche, produisant ainsi une donnée fiable mais ayant une faible validité.
L’entretien semi-directif, en cherchant à aborder une série de thèmes prédéterminés, permet d‟obtenir des données ayant une meilleure validité (le discours étant orienté par l‟interviewer en fonction de l‟objet de sa recherche), comme l‟expliquent Blanchet et al. (1985), en expliquant que « la directivité […] favorise la comparabilité et la précision des réponses ». Ces données discursives seront cependant moins fiables car l‟interviewé n‟aura pas parlé de manière totalement libre, puisque son discours aura suivi le plan de l‟interviewer.
Enfin, l‟entretien directif, ou questionnaire, est constitué de questions fermées appelant des réponses quantitatives. Cette méthode produit des données totalement valides mais d‟une fiabilité minimale. Le problème était déjà posé par Hyman (1954, p.30) cité par Blanchet et al. (1985, p.52), selon qui « il apparaît que nous avons le choix entre des données pleinement fiables et parfaitement stériles, ou valides mais avec une absence quasi-totale de fiabilité. » Que nous dit la littérature sur notre sujet L’environnement du logement dans le rapport affectif PFE 2014 Oly Robsomanitrandrasana | Chloé Schiery Page 6 Toujours selon Blanchet et al. (1985, p.54), « la position que prennent la plupart des auteurs de traités méthodologiques » est celle d‟une méthode intermédiaire, suffisamment non-directive pour mettre en confiance l‟interlocuteur, mais recherchant tout de même des réponses à une série de questions.
Nous avons, pour ce projet, opté pour l‟entretien semi-directif : celui-ci semble en effet un bon compromis, pouvant nous fournir des données traitables dans une grille d‟analyse unique (donc valides), tout en permettant aux interviewés de s‟exprimer librement, maximisant ainsi les chances d‟obtenir un discours fiable. Il faut cependant signaler que notre manque d‟expérience dans la conduite d‟un entretien de recherche a pu nous pousser à trop intervenir, en posant des questions lors des entretiens, tendant alors vers un entretien directif. Toutefois, la majorité de ces questions étant ouvertes, elles ont tout de même participé à la collecte d‟un matériau discursif suffisamment fiable.
Les petites annonces immobilière, un matériau révélateur de jugement
Selon Lacaze (2004, p.451), « Les marchés de logements de seconde main constituent désormais les régulateurs d’ensemble des systèmes locaux de prix fonciers et immobiliers. Ils expriment le jugement final porté par les habitants sur les qualités urbanistiques des différents quartiers, anciens, récents ou réhabilités, de leurs villes. Les caractéristiques originales du bien économique qu’est le logement et l’existence fréquente d’un comportement patrimonial de la part des ménages créent un contexte et des motivations de choix spécifiques. La contrainte financière prend la forme d’un butoir tandis que des facteurs d’ordre psychosociologique se révèlent déterminants : le « coup de cœurs » et la référence aux représentations de la géographie sociale de la ville, telles qu’elles se manifestent dans les mémoires collectives des habitants.»
Les petites annonces sont une vitrine de ce marché des logements de seconde main, mais également du marché des logements neufs. En effet, une grande partie des transactions immobilières se font suite à une petite annonce. On peut donc penser que les petites annonces représentent, sinon l‟ensemble, du moins une partie importante du marché de l‟immobilier, qu‟il s‟agisse de logements neufs ou de seconde main. Notre support (les annonces entre particuliers sur le site web leboncoin.fr) implique que nous n‟étudiions pas les annonces concernant des logements neufs.
En effet, les particuliers passent des annonces sur ce site pour revendre un bien immobilier en leur possession, qui n‟est donc pas neuf. Nous pouvons donc considérer l‟analyse de Lacaze comme pleinement adaptée à notre matériau de recherche. Cela implique que nous pouvons travailler sur un matériau à la fois constitutif et révélateur d‟un marché, marché qui exprime un jugement des habitants sur les quartiers de leur ville. La petite annonce pourrait alors se révéler le vecteur de ce jugement, et constituer un moyen pour nous d‟étudier ce jugement.
Un matériau utile à la recherche
Si l’approche par les annonces immobilières semble originale, elle peut aussi être mise en question. Cette démarche a déjà été réalisée par d‟autres chercheurs. Daniel Siret et Gabriel Rodriguez, chercheurs à l‟UMR CNRS de l‟école d‟architecture de Nantes, ont déjà mené des recherches sur le logement en se basant sur des annonces immobilières, en travaillant à l‟époque sur les annonces papier paraissant dans la presse. Grâce à ce matériau, ils ont pu (à deux reprises) mener une recherche sur le thème du logement. L’environnement du logement dans le rapport affectif . En effet, Siret et Rodriguez ont tenté de trouver un moyen de ne pas mener d‟entretiens avec les habitants, car ils considèrent que le fait de poser explicitement une question pourrait orienter et biaiser le discours de l‟habitant.
Aussi, pour éviter cela, ils ont considéré que l‟utilisation des petites annonces en tant que matériau de recherche était la méthode la plus adaptée pour répondre à leur question. Bien que le discours des annonces soit « fortement orienté par les enjeux liés à la transaction immobilière» (Siret et Rodriguez, 2002), il constitue tout de même un discours indirect produit par un vendeur décrivant son logement et dont « les éléments formant la description peuvent être considérés comme l’expression de la représentation que le vendeur se fait des maisons recherchées » (ibid.). Ainsi, l‟analyse lexicale du corpus des annonces a permis à ces chercheurs d‟obtenir une réponse à leur questionnement. Si les données extraites des annonces sont souvent d‟ordre économique, dans le cadre sociologique, la manière dont est décrit le logement est l‟élément le plus intéressant. Siret et Rodriguez se sont servis d‟un outil d‟analyse lexicale afin de répondre à leur question de recherche.
Grâce à cet outil, ils ont mis en évidence la présence de deux catégories de mots dans les annonces : les mots « objets », ceux qui décrivent le bien vendu, et les mots « valeurs », les qualités attribuées à l‟objet en question. Pour analyser la relation entre les objets et les valeurs, la méthode a été de construire un tableau dans lesquels les chercheurs ont rangé « l’ensemble des occurrences d’une valeur particulière pour un objet particulier » (ibid.).
En 2004, Siret et Rodriguez ont cherché à mesurer la part des mots relevant de l‟ambiance2 dans le discours des habitants. Grâce à la collecte et l‟analyse de plusieurs milliers d‟annonces, ils ont pu conclure que les ambiances résidentielles trouvées dans les annonces renvoient souvent à l‟idée que l‟on se fait de la maison idéale. Ils ont cependant mis en évidence un paradoxe : les valeurs attachées à l‟objet maison sont des attributs de situation (proximité des services notamment). Cela montre que les valeurs liées à l‟environnement du logement peuvent être aussi importantes que le logement en lui-même. Si Siret et Rodriguez n‟ont fait que pointer du doigt ce constat, nous allons chercher à aller plus loin dans cette analyse en utilisant le même matériau. Mais avant de l’utiliser, il faut savoir comment il se présente.