L’IMPACT DES REPRESENTATIONS MEMORIELLES SUR LES RELATIONS INTERETHNIQUES

 L’IMPACT DES REPRESENTATIONS MEMORIELLES SUR LES RELATIONS INTERETHNIQUES

 La définition d’un périmètre d’étude pertinent

Le choix d’un territoire d’étude pertinent était un enjeu important : il devait être à la fois restreint pour pouvoir être étudié en tenant compte des réalités matérielle et temporelle de la recherche et représentatif, afin de pouvoir utiliser directement les résultats de la recherche de terrain pour tirer des conclusions capables de répondre à la problématique de recherche. 

Le territoire transfrontalier : un concentré des enjeux de réconciliation

Plusieurs caractéristiques font du territoire transfrontalier un territoire propice à l’étude des différences de représentation mémorielle entre Serbes et Croates. Le territoire transfrontalier est par définition un territoire séparé par une frontière, ici une frontière d’Etat, ce qui lui confère un certain nombre de propriétés. Dans le cas de la frontière, cette frontière est jeune, puisqu’elle a été instituée comme frontière Etatique dans les années 1990. Il s’agit d’une caractéristique particulièrement intéressante dans le cadre de ce travail, puisque ces frontières ont été créées dans le but même de donner un territoire Etatique à des ethnies. Cette frontière est donc une limite territoriale à la souveraineté d’une ethnie. Barbier et als. (2011), distinguent deux approches, celle de la frontière barrière et celle de la frontière interface. La frontière a été construite comme une barrière franche par les gouvernements dans les années 1990. Cette politique fait de la frontière un objet constitutif de l’identité nationale. Tous les aspects constitutifs, sa structure, sa fonctionnalité, ses institutions, et les symboles qui lui sont rattachés1 respectent une coupure apparemment nette. Cependant, du fait de l’histoire ex-Yougoslave dans laquelle les frontières en tant que barrières étaient très faibles, elles sont en partie des interfaces. En effet sur le territoire transfrontalier, les minorités ethniques sont particulièrement représentées. Ce territoire est donc une double zone de contact importante entre ethnies (cf schéma ci-dessous). Le schéma ci-dessous permet de rendre compte des dimensions structurelles et institutionnelles de la frontière ainsi que de sa porosité pour les groupes ethniques.

Un territoire transfrontalier riche de son particularisme historique

La région de Vukovar est tout d’abord le berceau de la culture Vu »edol. Cette culture s’est développée entre 3000 et 2200 avant JC dans ce qui est maintenant la Croatie moderne. Leur métallurgie du cuivre était fondée sur un nouveau procédé de coulée de masse. Elle a eu une grande influence sur d’autres cultures contemporaines dans le patrimoine européen. Son importance réside dans la place primordiale qu’elle tenait dans le tourisme de Vukovar avant la guerre. La Slavonie et la Voïvodine ont un héritage historique proche. Les deux régions Figure Figure5 : 5 LeLeterritoire territoiretransfrontalier : transfrontalier :ununterritoire territoireauausein seinduquel duquelleslesfrontières frontièressesesupperposent supperposent 34 ont, à leur origine, toutes deux appartenu au royaume des Habsbourg au XIVème siècle, après la victoire des turcs sur les serbes lors de la bataille du Kosovo, et deviennent des régions autrichiennes au XVIIème siècle. Jusque dans les années 90, la Slavonie a toujours fait partie de la Croatie, elle a donc été longtemps sous domination Austro-hongroise. L’histoire de la Voïvodine est quant à elle plus compliquée. Alors que le reste de la Serbie a été sous occupation Ottomane jusqu’au XIXème siècle, la Voïvodine faisait partie de l’empire Austro-hongrois. Elle a ensuite déclaré son indépendance en 1848, avant d’être réintégrée à la Hongrie jusqu’en 1918. Cette différence a marqué durablement la région, qui s’est toujours distinguée du reste de la Serbie. Culturellement, tout d’abord, les habitants de la Voïvodine se sont toujours sentis comme appartenant à une région à part. Vingt-cinq minorités vivent sur son territoire (dont environ 15% de hongrois), on y trouve 6 langues officielles. De plus, la région a longtemps joui d’une relative autonomie. Dans la Yougoslavie de Tito, la Voïvodine fut déclarée région autonome (tout comme le Kosovo) afin de limiter la puissance politique de la Serbie et d’équilibrer la distribution des pouvoirs au sein de la Yougoslavie. Avec la montée du nationalisme, de nombreuses familles de pères croates ont migré de la Voïvodine vers la Slavonie et inversement pour les familles de pères serbes (Gossiaux, 2002). Lorsque Slobodan Miloševi prit le pouvoir au sein de la fédération serbe, il réintégra ces deux autonomies au sein de la Serbie, les privant de leur indépendance institutionnelle et politique. Une loi de décembre 2009 (Statut d’Autonomie de la province de Voïvodine, parlement serbe et assemblée provinciale de Voïvodine) restaure l’indépendance de la Voïvodine, lui donnant un grand nombre de compétences et restaurant la puissance de son gouvernement. Cette autonomie est si grande que la Voïvodine noue ses propres relations internationales. Pendant la guerre d’indépendance de la Croatie, la Slavonie orientale est sous occupation serbe. La ville de Vukovar est assiégée par les serbes en 1991 et presque totalement détruite par les bombardements. Le siège dure trois mois durant lesquels la ville est quotidiennement bombardée. Après trois mois, la ville tombe. Elle est alors le théâtre de l’une des scènes les plus sanglantes de la guerre : les derniers résistants, réfugiés dans l’hôpital de la ville, sont raflés, transporté jusqu’à la grange d’une ferme collective, battus puis exécutés. La ville reste ensuite sous administration Serbe jusqu’au traité d’Erdut, qui définit les modalités de la rétrocession pacifique du territoire à la Croatie.

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